mercredi 31 décembre 2014

Misère de la littérature


© Carles Solis
- Vous êtes prof ?
- Non.
- C’est votre femme, alors, qui est prof ?
- Non, pourquoi voulez-vous qu'on soit profs ?
- Quand il y a autant de livres, c’est des profs ou des écrivains.
- Vous êtes écrivain, alors ?
- Non. Juste lecteur.
- Moi, j’ai un seul livre chez moi. La Bible. Y’a pas plus de place dans ma tête.

- Avec la tablette aujourd’hui, vous gagneriez de la place !
- Et il y aurait moins de poussière.
- Et ces cartons de bouquins, ils vont tous au rez-de-chaussée ?
- Non, au premier.
- Mais qu’est-ce qu’on vous a fait ? On est gentils, nous !
- Le commercial nous a dit que tout allait au rez-de-chaussée, c’était pas prévu, ça.
- Attendez, je vais l’appeler, on n’a pas été prévenus, nous.
- Et les étagères, elles passeront jamais par l’escalier ! Le lit non plus !
- Vous nous aviez dit que l'escalier, il était large, mais il n'est pas large du tout, là !
- Il va falloir les passer par la fenêtre, et on n’a pas l’assurance pour ça.
- La dernière fois, pareil, j’ai appelé mon chef, il est sans pitié, il a fait payer un supplément de 160 euros au client !
- Si vous voulez, vous nous donnez une petite enveloppe à chacun, et on ne dit rien.
Ça a été comme ça de 8h00 à 13h00. Ils m'ont parlé de pourboires royaux laissés par des clients ou de boîtes de chocolat à 150 euros offertes, réclamé du café, mis en avant l'allergie aux poils de chiens de l'un, le mobutisme de l'autre, demandé d'aller leur chercher des sandwichs et de la bière, se sont étonnés du prix très bas de la prestation, de l'humidité de nos futurs murs que pour 300 euros plus le matos ils me rendaient impeccables, ont essayé de me revendre un clavier d'ordinateur et une souris sans fil... On a également parlé intégration, politique, Marine Le Pen, classe ouvrière, banlieue, de leur requin de patron... Et j'étais soulagé en voyant démarrer le camion de Carlos le Zaïrois (surtout, ne pas dire qu'il est Congolais !), de Driss le Turc dont je n'ai pas saisi un seul mot, et de Kamel l'Algérien né dans le Nord qui voulait emmener ma compagne, originaire de là-bas également, en week-end à Valenciennes. 
Comme les trois jours précédents, afin de réduire le fameux devis, l'après-midi, on avait fait appel à un pote pour la vaisselle, les fringues et tout ce qu'on pensait facile à faire nous-mêmes, comme quand on était jeunes. Il nous restait quelques affaires indispensables à notre installation. Et puis, les trois zigotos avaient oublié l'étagère derrière la porte, restée ouverte tout le long de leur passage ouraganesque. On a pu la caser à l'arrière, en faisant tenir le coffre avec un tendeur emprunté sur le vélo de mon frère. On a refait deux voyages débordants de cartons. 
A la fin de la journée, levée à 6 h 00, j'étais lessivé et j'ai réclamé à ma compagne une petite enveloppe si elle ne voulait pas que j'appelle mon chef !

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