jeudi 30 septembre 2021

Seule compte la beauté

 


 

En juin dernier, je suis tombé dans un escalier. Celui de la salle de l'auditorium Picasso de Malaga. J'ai commencé en haut des marches et j'ai continué jusqu'à atteindre la scène pour ainsi dire. Je me suis relevé encore vivant, produisant de pathétiques efforts pour sourire et ne pas boiter. Je pense que j'ai eu honte de mourir. Si je n'étais pas aussi timide, je me serais tué sans problème. Tandis je me décoiffais au ralenti, j'ai eu le temps de penser : «Pas comme ça, pitié! Quel intérêt?» Franchement, me suis-je dit, tu peux trouver cent meilleures façons de mourir. Faire ça dans des escaliers lointains, au prix de pitoyables rebonds, sans aucune coordination, comme un ballon de rugby, cela m'a semblé ridicule, mais, surtout, peu esthétique. Affreusement laid.
J'étais venu dans cette salle pour parler d'une scène de Paris, Texas, le film de Wim Wenders, durant une minute. Le Festival de Malaga avait invité sept artistes dont je faisais partie à choisir la scène d'un film évoquant l'idée de l'éloignement. L'extrait ne pouvait durer plus de deux minutes, et notre prise de parole, à la suite, ne devait excéder une minute. Ces circonstances –une allocution d'une pauvre petite minuteaccentuaient le côté ridicule de l'accident. Faire le voyage d'Ourense à Malaga pour parler soixante secondes, et, juste avant de commencer, je trouve la mort? Quelle horreur. Je ne méritais pas ce destin, même après toutes les saloperies que j'ai pu faire au cours de ma vie.
Nous étions en pleine répétition, une demi-heure avant l'entrée du public dans la salle, si bien qu'il y avait là une douzaine de témoins, tous très attentifs à la chute. Effroyable. Si j'avais été seul, les choses auraient été différentes. Vous tombez, vous vous brisez la nuque, et mourez sans témoin, chapeau! Une chute impeccable, classieuse. Respect. Mais les petits acccidents personnels, à la vue des autres, perdent de leur fragile beauté. Ils en deviennent simplement comiques. Selon Charles Chaplin, par exemple, placer une peau de banane dans un film afin que quelqu'un se casse la figure était toujours un gage de succès. Même s'il n'est pas utile de marcher dessus. Le premier plan, affirmait-il, doit être la peau de banane, ensuite, vous montrez le personnage qui s'en approche, puis la pelure et le comédien réunis dans le même plan. Et pour finir, le personnage parvenant à éviter la peau de banane mais chutant dans la foulée dans une bouche d'égoût.
En ce qui me concerne, tout fut utile. Ce fut un accident lent, long, avec ses différentes étapes, et un certain rythme désespérant, comme un générique de fin avec lequel, dans un sens, on veut éviter l'inévitable, la fin du film. Ça ne s'est pas produit, comme dans bien des chutes, d'un seul coup, dans un simple mouvement calamiteux, extrêmement grossier, où presque tout est la fin, car le temps de comprendre ce qui vous arrive, vous êtes déjà par terre, immobile, étourdi, et tout est déjà fini. J'ai commencé à tomber, et dès lors, les choses se sont succédé sans répit. J'ai subi, pourrait-on dire, l'histoire de la chute et non une simple chute.
C'était une chute non seulement extérieure, mais également intérieure, où toutes les pensées tournaient et se retournaient dans ma tête. J'ai tout le long beaucoup pensé. J'ai eu le temps d'observer que les marches de l'auditorium étaient longues, larges, peu élevées et molles, couvertes de moquette. Je les ai toutes essayées. Certaines étaient frappées par ma tête, d'autres par une épaule, les côtes, un genou, la tête de nouveau, les fesses. Une grande variété.
J'ai immédiatement compris qu'il ne fallait pas résister au choc. Dès la deuxième marche, il me semble. Ne t'oppose pas à la chute, me suis-je dit. Mets-y du tien. Collabore. Sois la chute. Ces considérations m'ont fait oublier la douleur, tout comme lorsque j'ai vu la tête de mon ami Manuel. A son expression, j'ai deviné ce qu'il pensait : «Pourvu qu'il ne meure pas, que je puisse rigoler». Lorsque j'ai saisi que rien ne m'arrêterait avant le bas de l'escalier, la mort n'avait plus aucune importance. Certes au début, je n'ai pu éviter de me dire : «Putain, je vais me tuer.» Mais après quelques marches, je ne me suis soucié que du style. Essaie au moins de bien tomber, me suis-je dit. Il est probable que, finalement, seule compte la beauté.

 

Juan Tallón, chronique Restez bourrés,
El Progreso, 24 septembre 2021,
traduction maison


mardi 21 septembre 2021

Corrélation

 

Victor Guidalevitch

 

Quiconque se voue à une œuvre croitsans en être conscient —qu'elle survivra aux années, aux siècles, au temps lui-même... S'il sentait, pendant qu'il s'y consacre, qu'elle est périssable, il l'abandonnerait en chemin, il ne pourrait pas l'achever. Activité et duperie sont termes corrélatifs.

 

Cioran, De l'inconvénient d'être né

vendredi 17 septembre 2021

Soulagement

Craig Semetko


 

Je sens la nullité gagner du terrain en moi à mesure que la bêtise des autres m'indiffère.

 

charles brun, désinscriptions d'automne

mercredi 15 septembre 2021

Sens interdit

 

Anna Bodnar

Et je repense à une phrase que j'ai lue un jour dans un livre dont j'ai oublié le titre: « Il est trop tard en moi pour une part de moi. » Une phrase. Je la retrouverais si je fouillais les piles de livres qui sont là, et que je n'ouvre plus. Une phrase de Bernard Noël, je crois. A quoi bon me remettre à lire? A vivre par procuration, et de quel livre le sens ne m'échapperait-il pas? La poursuite du sens n'a pas de sens. Folie du sens, sens interdit. Mais cette part de moi, Mémoire, vieille putain fétide, retrouve-la, je t'en prie, restitue un peu de moi-même avec la pluie de Rethel et reprends ta morne masturbation. Viens-t'en tirer gloire de la giclée de sperme du pendu, Mémoire, gardienne des blessures, maquerelle des vieux étés.

 

Jean-Claude Pirotte, La Pluie à Rethel
ed. la table ronde

mardi 7 septembre 2021

Le miroir où tout se confond

 

Alexander Rodchenko

Après l'impressionnant recueil de 5000 poèmes paru l'an dernier au Cherche Midi sous le judicieux titre de Je me transporte partout, c'est un seul et unique et inédit poème que les éditions de la Grange Batelière — qui doivent leur nom, je me le rappelle en passant, à la rue du 9e arrondissement parisien que j'ai bien connue pour y avoir vécu deux ans durant, seul, dans un ancien hôtel de passe transformé en logement insalubre et lugubre, à deux pas des passages Verdeau et Jouffroy, artère devant quant à elle son nom à un cours d'eau souterrain ayant plus ou moins existé, mais c'est une autre histoire, jonction parfaite entre l'alors encore populaire Faubourg-Montmartre, ses marchands de falafels et de cornes de gazelle, sa boutique de farces et attrapes et son Palace, et de l'autre côté, la rue Drouot et son hôtel des ventes, Barbara, ses antiquaires, ses gargotes guindés et ses froids sièges de monstrueuses banques — bref, publient aujourd'hui. Un livre court, impeccablement fabriqué par Arnaud Frossard, consacré à un bandit londonien, intitulé Les Poèmes de Julius White, qu'on lira comme on veut, de A à Z, comme une nouvelle en vers, un journal de bord, ou pourquoi pas au hasard, mais de haut en bas, tels des morceaux lyriques à thème unique, que l'on relira avec appétit pour en mieux saisir la richesse, la générosité et la liberté de l'auteur, un certain Jean-Claude Pirotte, qui se cache à peine sous le nom d'Ange Vincent, le prétendu traducteur du prépendu Julius White. On se tait, extrait:

 

c'est comme si je tenais un journal
où seul le brouillard est présent
et qu'autour de moi les fantômes
lisaient par dessus mon épaule

la certitude d'être jeune
et le sentiment d'être vieux
se reflètent dans l'eau du fleuve
à condition de s'approcher
du miroir où tout se confond

et comment pourrais-je savoir
à quel oracle m'adresser
quand le vent chasse les brouillards
les fantômes et le passé

 

 






lundi 6 septembre 2021

samedi 4 septembre 2021

A l'origine

 

Léon Claude Vénézia

 

à l’origine des tempêtes
se trouve un verre d’eau
jamais nous n’entendrons
parler d’une tempête
dans un verre de vin.

 

Jean-Claude Pirotte, Autres séjours,
éd. Le Temps qu'il fait

mercredi 1 septembre 2021

Par ici la sortie

 


Ce roman intense dresse la fresque d’une époque, des années quatre-vingt à nos jours, et interroge le rapport des femmes au corps et au désir, à l’amour, à la maternité, au vieillissement et au bonheur...
Une immersion sensuelle et implacable dans un monde où il faut aller au bout de soi-même pour préserver son intégrité...
C'est son livre le plus personnel...
Roman intelligent et féministe où un personnage de fiction écrit sa propre autofiction, où le lecteur se demande ce qui est caché quand tout est montré...
Avec son style inimitable...
Ce premier roman offre le récit intime et pudique d’une grande dame de la révolution...
Roman inquiétant, à l’humour glacial...
Premier roman époustouflant, qui emporte le lecteur dans les tumultes des deux conflits mondiaux...
L'auteur livre ici, avec l'acuité psychologique qu'on lui connaît, un roman haletant sur la grande époque...
Roman éblouissant, évocation puissante d'un royaume où la parole est reine, odyssée bouleversante de deux êtres qui ne cessent de se rejoindre, de s'aimer et de se perdre...
Avec ce magnifique roman d’aventures, il s’inscrit dans la lignée des grands enchanteurs de la littérature...
Elle mobilise toute la puissance du roman pour brosser le tableau d'un monde qui ne veut pas mourir...
Dans cette épopée baroque et tragique où on retrouve toute sa puissance romanesque...
Un livre magnifique et lumineux...
Un portrait de femme foudroyant d'intensité et d'émotion...
Un roman d’ambiance avec des personnages déconcertants et attachants, puissant comme une prise de catch...
Sa plume se pare de tics anciens, adopte un rythme lent et chantant...
Vie rêvée et vie vécue ne font désormais qu'une...
C'est l'œuvre majeure d'une romancière passionnée par l'invention des formes...
Un texte d’une puissance inouïe sur le silence et l’inaction...