jeudi 22 septembre 2022

Trouvailles


Il est rare lorsqu'on se prend à fouiller dans les boîtes à livres de tomber sur des perles. Mais aujourd'hui, dans une de celles qui, d'habitude, nous offre des curiosités signées Danielle Steel ou Paul-Loup Sulitzer, quelle ne fut pas ma surprise de trouver, oui, oui, dans la même journée, les titres ci-dessous.

Un Carco prometteur…
Un Burroughs que j'avoue ne pas connaître, avec son marque-page sous forme de bon de réduction pour notre prochain achat d'un lot de 4 boîtes de lait Gloria, hélas en francs…

 
Un Guimard au scotch usé…


Avec sa dédicace… Est-ce la signature de l'auteur ?


Deux ouvrages de la collection Les Écrivains célèbres des éditions d'art Lucien Mazenod…

 


Et enfin, celui qui m'excite le plus, n'ayons pas honte – on n'est pas pilier de comptoir pour rien…


Pour la peine, quelques extraits, au hasard, de ce dernier volume :

 

Je perds mon temps au bistrot, comme ça je sais où je l'ai perdu !

***

Les congés maladie, faut pas les gâcher en étant malade.

***

Godard et Woody Allen, la différence, c'est les dialogues.

***

C'est peut-être une question qui vous paraîtra bête, mais vous êtes qui?

***

– J'ai pleuré une heure !

– Ça fait du bien de pleurer.

– Le doigt que tu m'as mis dans l'œil, pauvre con!

 ***

Le téléphone, c'est une invention qui aura servi à rien, pour dire quoi?

***

Si jamais je suis remplacé par un robot, il est pas couché le mec!

***

Quand t'es mort, tu ne penses plus à la mort, c'est l'avantage.

***

On m'a transfusé du sang de bonne femme ou du sang de pédé, je mange que des fruits!

***

La poésie toute seule, c'est comme le sel, faut que ce soit mis dans quelque chose.

***

C'est con, la guerre, mais la paix, on se fait chier.



vendredi 16 septembre 2022

La vie, c'est du sérieux

 

Ferruccio Ferroni

tu es tellement belle mais
tu n'en as pas assez profité,
lui dit sa vieille amie.
c'est vrai, songe-t-elle
tandis que déjà ivre,
j'écoute Lover
par Coltrane
enregistré lorsque, éjecté
du quintet de Miles Davis
en raison
de ses diverses addictions,
il était retourné vivre
chez sa mère je crois mais
je ne peux plus lire
le texte au dos de la pochette,
pourquoi ne l'ont-ils pas ajusté
au format du CD,
à l'âge de ceux qui écoutent
encore cette musique ?

Que la vida va en serio
ainsi commence l'un des
poèmes posthumes
de Gil de Biedma.
la vie, fallait la prendre au sérieux,
on ne le comprend que plus tard
– il n'écrit pas trop tard :
plus tard –
après
l'avoir malmenée
écrasée
oubliée.
vieillir, mourir
ne sont, pensait-il,
que les dimensions du théâtre
avec le temps
ils se révèlent être
le seul sujet de la pièce.

j'ai proposé de remplir les verres
elles ne m'ont pas entendu
une nouvelle fois
elles fumaient une cigarette
sur la terrasse et
parlaient cheveux, couleurs
je crois
je donne du volume au saxo
j'aperçois chaque note
mais n'entends plus les images.



charles brun, on était là pour rigoler

mercredi 14 septembre 2022

Fatigué

Jorge Aguirre

 

Fatigué
Oui !
Fatigué de n’user que d’une seule rate
deux lèvres
vingt doigts
je ne sais combien de mots
je ne sais combien de souvenirs
grisâtres
fragmentaires.

Fatigué
très fatigué
de ce squelette froid
tellement pudique
tellement chaste
que je ne saurai une fois dénudé
s’il est bien celui dont j’ai
usé de mon vivant.

Fatigué
Oui !
Fatigué
de ne pas être pourvu d’antennes
d’un œil à chaque omoplate
et d’une veritable queue
joyeuse
déchaînée
et non ce bout hypocrite
dégénéré
rachitique.

Fatigué
surtout
d’être toujours en ma compagnie
de me retrouver chaque jour
lorsque le songe prend fin
où que je sois
avec le même nez
et les mêmes jambes
comme si je ne pouvais désirer
attendre le brisant la peau dorée au soleil
offrir à la rosée deux seins magnolia
caresser la terre avec le ventre d’un vers,
et vivre, quelques mois, à l’intérieur d’une pierre.

 

Oliverio Girondo, Cansado,
trad. maison

mardi 13 septembre 2022

Frédéric, Fernando et Jean-Luc

Carole Bellaïche

 

Récemment, à trois reprises, sur la scène de la Maison de la poésie de Paris, avec la complicité de Christophe Marguet à la batterie et Claude Tchamitchian à la contrebasse, l'ami Pierrot lisait disait scandait chantait Le Livre de l'intranquillité. Il se rappelle ici, notamment, avoir découvert Fernando Pessoa en tournant avec Jean-Luc Godard en 1995. Une vieille histoire. On en a d'autres, mais une autre fois...

 

samedi 10 septembre 2022

Options


Michael Wolf

 

J’aime mieux le cinéma.
J’aime mieux les chats.
J’aime mieux les chênes de l’autre côté.
J’aime mieux Dickens que Dostoïevski.
Je m’aime mieux moi-même aimant bien les humains
que moi-même aimant l’humanité.
J’aime mieux avoir sur moi une aiguille et du fil.
J’aime mieux la couleur verte.
J’aime mieux ne pas affirmer
que la raison est coupable de tout.
J’aime mieux les exceptions.
J’aime mieux sortir plus tôt.
J’aime mieux, chez les médecins, parler d’autre chose.
J’aime mieux le ridicule d’écrire des poèmes
que le ridicule de ne pas en écrire.
J’aime mieux, en amour, des anniversaires pas ronds à fêter tous les jours.
J’aime mieux les moralistes
qui ne promettent rien.
J’aime mieux la bonté rusée à celle un peu trop crédule.
J’aime mieux la terre en civil.
J’aime mieux les pays conquis que conquérants.
J’aime mieux avoir des objections.
J’aime mieux l’enfer du chaos que celui de l’ordre.
J’aime mieux Charles Perrault que les unes des journaux
J’aime mieux les feuilles sans fleurs que les fleurs sans feuilles.
J’aime mieux les chiens à la queue non coupée.
J’aime mieux les yeux clairs car les miens sont foncés.
J’aime mieux les tiroirs.
J’aime mieux beaucoup de choses que je n’ai pas citées
que beaucoup d'autres choses que je n’ai pas citées.
J’aime mieux lez zéro en vrac
que les zéros en file d’attente derrière un chiffre.
J’aime mieux le temps des insectes que le temps des étoiles.
J’aime mieux toucher du bois.
J’aime mieux ne pas demander combien de temps encore, ni quand.
J’aime mieux prendre en compte jusqu’à cette hypothèse que l’existence aurait une raison quelconque ¹.

 

 

 

¹ J’aime mieux « j’aime mieux » que « je préfère ». 

 

 

 

Wislawa Szymborska, in De la mort sans exagérer,
trad. Piotr Kamisnski, Poésie/Gallimard

Deux sur mille

Un-Posed

 

Certains —
donc pas tout le monde.
Même pas la majorité de tout le monde, au contraire.
Et sans compter les écoles, où on est bien obligé,
ainsi que les poètes eux-mêmes,
on n’arrivera pas à plus de deux sur mille. 

Aiment —
mais on aime aussi le petit salé au lentilles,
on aime les compliments, et la couleur bleue,
on aime cette vieille écharpe,
on aime imposer ses vues,
on aime caresser le chien. 

La poésie —
seulement qu’est-ce que ça peut bien être.
Plus d’une réponse vacillante
furent données à cette question.
Et moi-même je ne sais pas, et je ne sais pas, et je m’y accroche
comme à une rampe salutaire.

 

 

Wislawa Szymborska, in De la mort sans exagérer,
trad. Piotr Kamisnski, Poésie/Gallimard

 

mardi 6 septembre 2022

No fake news

 

Pierre Le Gall

 

— Ce ne sont pas des balivernes, ma chérie.
Montre...
Ressers-nous un verre, plutôt, installe-toi, et écoute : c'est à propos du resvétatrol...
Encore un médicament controversé ?
Si on veut. C'est un composant de la peau du raisin. Et par conséquent, du vin.
Ah oui, ça me dit quelque chose. Ce n'est pas un antioxydant?
Exact. Non seulement, selon une étude américaine  pas cons, les Américains, pour une fois... le resvétatrol joue un rôle important pour la préservation de la mémoire, après 60 ans putain, c'est pour bientôt il est d'ailleurs recommandé chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer... Moi qui buvais pour oublier la connerie ambiante, tout s'explique! Bref, ça continue, donc non seulement c'est bon pour la mémoire, mais ce serait également une solution aux problèmes cardio-vasculaires...
Je ne te crois pas !
C'est l’Organisation mondiale de la Santé qui l'affirme... Après avoir voulu nous trucider avec leurs vaccins, ils essaient peut-être avec le vin ce qui tout de même plus salutaire. En tous cas, selon l'OMS, le resvétatrol, grâce à ses propriétés vasodilatatrices, réduirait à lui seul 40% des risques d’accident cardiaque et d’infarctus!...
Incroyable ! Tu ne serais pas en train d'inventer tout cela sous prétexte de ne pas arrêter de boire ?
—Tu me connais mal, ma chérie. Je n'ai pas besoin d'inventer des prétextes, le monde nous en fournit suffisamment tous les jours... Ecoute plutôt, ce n'est pas fini : chaque verre de vin rouge consommé par mois réduirait le risque de cancer du poumon...
— Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? C'est une fake news, j'en suis sûre.
Ça se pourrait car ça vient encore des Etats-Unis. Mais ça a l'air très sérieux. L’association américaine pour la recherche sur le cancer est arrivée à ces conclusions : chaque verre de vin rouge consommé par mois réduirait le risque de cancer du poumon. Tu m'entends? Chaque verre!
Ton père pourtant, qui n'était pas le dernier à lever le coude comme tu me l'as souvent dit, n'est-il pas mort d'un cancer du poumon ?
— Rien à voir. Il fumait comme un pompier. Par son boulot sur les chantiers, il a été exposé à toute sorte de produits toxiques, dont l'amiante... Et puis, il buvait beaucoup de pastis dans mon souvenir. Et lorsqu'il y avait du vin à la maison, il devait être de piètre qualité. Va savoir ce qui l'a tué...
— Il est vraiment pas mal, ce petit vin, tu me ressers?
— C'est appréciable, ce moment, avec nos verres, cette boîte de sardines, toi sur le canapé, n'est-ce pas? Si on arrêtait complètement l'apéro, je crois que tu serais bien embêtée...
— Tu viens près de moi ?
— Attends, je n'ai pas fini.
— Ah oui ?
— Des chercheurs hollandais, cette fois, estiment que les hommes qui boivent un verre de vin par jour auraient une espérance de vie supérieure de 3,8 années par rapport à ceux qui n’en boivent pas...
— C'est dingue... Ce doit quand même être une question de dosage, mon chéri.
— Comme pour tout, non ?
— Oui, mais tu te gardes bien de l'évoquer... Tu ne mets en avant que les vertus du vin. Tiens, la bouteille est finie...
— Attends, un dernier point. Une étude conjointe de deux universités américaines, encore eux, décidément, affirme que les hommes qui boivent du vin régulièrement sont moins susceptibles d’éprouver des troubles érectiles, et tout cela grâce à des pigments qu’on retrouve principalement dans les bleuets, les mûres, les radis et... le vin rouge ! : les flavonoïdes...
— Sur ce point, je ne peux pas contredire les Américains.
— Comme pour le reste, crois-moi !
— Bon, tu as fini ta lecture ? Tu viens près de moi que je vérifie ce dernier point?
—Tu veux dire que chez toi, le vin n'a pas d'effet bénéfique sur la mémoire ?
— Tu m'as dit que cet effet se vérifiait passé le cap fatidique des 60 ans, j'ai encore de la marge, profite...
— Quand même, c'est un peu fâcheux que tu ne te souviennes de rien sur ce plan-là...
— Tu vois, quand je te dis que tu me fais perdre la tête, tu ne me crois jamais...
— Dans ce cas-là, laisse-moi finir ton verre et je promets de tout te faire oublier!

 



samedi 3 septembre 2022

Un nouvel âge viendra

 

Diane Arbus

 

Un nouvel âge viendra différent de celui-ci.
Et quelqu’un dira :
« Tu n'as pas bien parlé. Tu aurais dû raconter
d’autres histoires :
des violons déferlant indolents
le long d'une nuit de denses arômes,
de jolies formules qualificatives
exprimant un amour infini,
un amour enfin pour les choses
de toute sorte ».

Mais aujourd’hui,
devant cette lueur de l’aube
telle l’écume sale
d’un jour par avance inutile,
me voici,
insomniaque, épuisé, veillant
mes armes défaites,
chantant tout ce que j’ai perdu et dont je meurs.

 

Ángel González,
in Sin esperanza, con convencimiento (1961),
trad. maison

vendredi 2 septembre 2022

Les larmes des empereurs

 

Adski Kafeteri

 

plus tu bois vite
plus tu te sens
immortel.

pas immortel au sens de
la vie éternelle
mais immortel au sens d'éprouver
le sentiment d'avoir presque toujours
vécu

et tu es toujours là
en dépit de
tout
et
presque
en dépit de
toi-même.

pourquoi les gens veulent décrocher de
l'alcool, c'est un truc
qui me
dépasse
même si j'ai conscience des effets
sur le foie
sur le cœur
et
tout
le reste.

je suis prêt à payer ce
prix

les gens qui ne savent pas gérer l'alcool
ont tendance à se planter
dans bien d'autres domaines
aussi
et ce n'est pas l'alcool qui constitue
le fléau
c'est la personne
en cause.

c'est une bonne
deuxième bouteille.

on se regarde elle et moi
dans le petit
matin
et c'est
une chouette liaison
amoureuse : honnête
directe
et tout
— dévorante

et mes doigts continuent de voler
sur ces touches

tandis que je pense à Li Po
des siècles
et des siècles en arrière
buvant son vin
écrivant ses poèmes
et puis
les jetant
au feu
avant de les envoyer voguer
sur la
rivière.

pendant que les empereurs
pleuraient.



Charles Bukowski, in Sur l'alcool
trad. Romain Monnery
éd. Au diable Vauvert