Je viens d'entamer la lecture en français du livre de Vila-Matas, Docteur Pasavento, dont un portrait d'Emmanuel Bove, posant avec sa fille, orne la couverture.
J'ai évité sans scrupules la préface de Tanguy Viel et plongé immédiatement dans le voyage vers Séville de cet écrivain qui ne rêve que d'une chose : disparaître. J'aimerais pouvoir employer une expression de circonstance telle que « Comme à son habitude, l'écrivain catalan… », mais je ne connais pas les habitudes de Vila-Matas. Ce n'est que le deuxième livre que je lis de l'auteur. Et je n'en suis qu'au début, à peine 80 pages sur les 470 que compte le volume.
Le narrateur de Pasavento, ou Vila-Matas lui-même – à ce stade, je ne sais pas encore, et peut-être ne le saurais-je jamais – doit se rendre en Andalousie pour débattre de la frontière entre fiction et réalité, conférence qu'il devra effectuer en compagnie de l'écrivain basque Bernardo Atxaga. Parmi les réflexions du narrateur, la peur qu'Atxaga ne se présente pas à Séville, comme il lui est arrivé en d'autres occasions. S'ensuit une longue et jouissive divagation sur la disparition qui serait l'essence même de la littérature. C'est un texte stimulant à plus d'un titre.
Le nom d'Atxaga, qui au passage n'est pas le véritable patronyme du Basque, a longtemps fonctionné pour moi comme un talisman. Mais a également été lié à l'absence, à la disparition, au hasard, au remords. Cela remonte de nouveau à l'époque où j'étais libraire, à ma dernière année de boutique. Un livre me fascinait alors. Il s'agissait d'Obabakoak, premier ouvrage d'Atxaga traduit en français. En ce temps, c'est un peu moins vrai aujourd'hui, je lisais un peu de tout de manière anarchique et sans critères bien définis, et parfois avec obsession. La librairie était une des premières à avoir lancé une drôle de coutume : chaque employé était invité à écrire un mot sur les livres qu'il avait aimés, carton que nous insérions dans l'exemplaire du haut de la pile de l'ouvrage en question. C'est aujourd'hui une pratique assez répandue. La librairie avait également créé des Prix qu'elle décernait en fin d'année aux livres les plus aimés par les libraires.
J'avais donc fait mon petit mot sur Obabakoak. Je pense que j'étais le seul des libraires à l'avoir lu, je ne sais plus. Ce dont je me souviens, c'est de l'avoir conseillé à de nombreux clients, tant et si bien qu'un jour, nous avons reçu un appel de l'éditeur, Christian Bourgois, pour nous féliciter d'être la librairie à avoir vendu le plus d'exemplaires de ce livre ! Je me souviens également avoir reçu un savon d'Alejandro Jodorowsky, client de la librairie, à qui j'avais recommandé Obabakoak. Selon lui, ce recueil de contes était un plagiat. Jodo, comme nous l'appelions entre nous, connaissait la plupart de ces histoires qu'il avait lues ailleurs, chez Borgès, chez d'autres écrivains sud-américains ou dans Les Mille et une nuits, je ne sais plus – et ne savais à l'époque, ma culture littéraire étant alors très lacunaire, comme elle l'est aujourd'hui encore. J'ai tout de même œuvré pour que le Prix de la librairie aille à ce livre. Malheureusement, j'ai quitté mon poste avant la délibération.
Je pense que j'étais coincé par mon nouveau boulot au Centre Pompidou – des traductions simultanées de films mexicains – lorsque s'est tenue la soirée de remise des Prix de la librairie. J'ai appris par la suite qu'Atxaga – ou en avais-je immédiatement été informé ? – était venu, en compagnie de Bourgois, recueillir son prix. Il voulait connaître le fameux libraire qui avait vendu tous ces exemplaires de son livre. Et il fut extrêmement déçu de son absence, ce soir-là, du fait même qu'il ne fasse plus partie de l'équipe de la boutique.
Je pense que j'étais coincé par mon nouveau boulot au Centre Pompidou – des traductions simultanées de films mexicains – lorsque s'est tenue la soirée de remise des Prix de la librairie. J'ai appris par la suite qu'Atxaga – ou en avais-je immédiatement été informé ? – était venu, en compagnie de Bourgois, recueillir son prix. Il voulait connaître le fameux libraire qui avait vendu tous ces exemplaires de son livre. Et il fut extrêmement déçu de son absence, ce soir-là, du fait même qu'il ne fasse plus partie de l'équipe de la boutique.
Quelques années plus tard, j'étais en Espagne, au Pays Basque justement, lorsque j'ai acheté un nouveau livre d'Atxaga, El hombre solo. Le récit tournait autour d'un membre de l'ETA et se déroulait durant la Coupe du monde de football de 1982, en Espagne. Atxaga avait donné à son héros terroriste mon prénom. Extrêmement embarrassé et envahi de sentiments contradictoires et égotistes, je n'ai pas pu aller au bout de la lecture. Et je n'ai jamais plus lu de livres d'Atxaga. Je compte sur Enrique Vila-Matas pour me faire aimer de nouveau José Irazu Garmendia. Et j'ai l'impression que le processus est déjà en cours.
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