jeudi 29 novembre 2018

Règle n°1



Il n'y a pas de normes. Tous les hommes sont des exceptions à une règle qui n'existe pas.

Fernando Pessoa

mercredi 28 novembre 2018

Burlando la muerte

Stefan Rappo

mais sans courage j’ai laissé ma main
sur tes fesses froides et tu m’as chuchoté
ce rêve où dans la chambre humide
je te lisais un poème
de Leonard Cohen sorti de The Flame
dans sa loge soudain il entendait Tom Waits
et sa musique bien meilleure que la sienne
disait-il
parfois je ne pense plus à lui
nous frappe la gratte de Louis Watt-Owen
caressée d'une seule main sur la terrasse de son hlm
burlando la muerte clope au bec
murmurant toute notre haine en vers
et à l'envers
avant de nous quitter j'ai remis notre chapeau
la pluie nous gelait les os l'espoir et le sang
depuis si longtemps que nous n'espérions plus
aucune consolation


Charles Brun



dimanche 25 novembre 2018

Sursis


Pas un jour, ces temps-ci, sans agitation, paroles, colères, enthousiasmes, gestes inutiles, excès en tout genre. Comme si nous devions nous prouver en permanence que nous sommes encore en vie.


samedi 24 novembre 2018

Contre la nature


C'est contre la nature de l'amour s'il n'est violent, et contre la nature de la violence s'il n'est constant.
Montaigne

mercredi 21 novembre 2018

Le danger


Le danger aujourd’hui est que la direction des affaires soit accaparée par des oligarchies de compétents associées aux puissances de l’argent.

Paul Ricoeur (1968)


lundi 19 novembre 2018

Avec réserve


Fred Herzog

N’apprends qu’avec réserve. Toute une vie ne suffit pas pour désapprendre ce que naïf, soumis, tu t’es laissé mettre dans la tête – innocent ! – sans songer aux conséquences.
 Henri Michaux

samedi 17 novembre 2018

Les tueurs


Hermance Triay

« France Culture aurait dû être un univers de gens cultivés donc agréables. Dans les faits, c’étaient des tueurs ». Celle qui s'exprime ainsi s'appelait Pascale Casanova. Cette dingote de littérature est morte le 29 septembre dernier à 59 ans dans une magnifique indifférence. J'avais croisé cette proche de Bourdieu, dont les héros se nommaient Beckett ou Kafka,  vers 1995 dans une des émissions qu'elle anima sur la radio publique et où elle eut la saugrenuité de m'inviter à deux reprises il me semble. Impressionné par la dame, et le lieu, qu'est-ce que je foutais là ?, j'ai le souvenir d'avoir barboté une phrase par séance.
Acrimed a mis en ligne récemment un long et instructif entretien de Pascale Casanova avec Yves Lacascade, datant de 2017, et publié à l'origine dans le numéro 148-149 du Journal des anthropologues. Extrait :
- Yves Lacascade : Comment as-tu commencé à travailler à France Culture ?
- Pascale Casanova : Je crois que c’était par un membre de l’équipe du Panorama : comme ils cherchaient des gens en province, il m’a proposé d’y participer. À l’époque, au Panorama, il y avait des sujets sur les expos à Bordeaux, à Lyon, et donc moi je faisais de petits reportages sur ce qui se passait dans ma région, du journalisme culturel en quelque sorte. Je lisais La Nouvelle République pour avoir des idées de sujet. J’avais été mise en contact avec Duchateau par l’un de mes professeurs en licence et maîtrise de lettres à Tours. Voilà, c’est comme ça que je suis entrée peu à peu. Je « montais » à Paris pour commenter en direct mes reportages. Ça a dû durer trois ou quatre ans. Et puis l’émission s’est allongée et Duchateau m’a proposé de venir plus souvent et de faire d’autres sujets. Je faisais aussi des choses au mois d’août : je lançais des débats, des magazines, des choses enregistrées, pas en direct, mais des bobinos, des rediffusions. Duchateau me le faisait faire aussi à Noël, quand les autres n’étaient pas là. C’était très technique. Ça faisait partie de l’apprentissage. Ça m’apprenait à causer.

On lira sans plus tarder la suite ici et .
La chaîne, qui est restée discrète, a mis en ligne
quelques archives qu'on peut écouter ici.

vendredi 16 novembre 2018

Le code

Claude Gassian


Je n’arrive pas à déchifrer le code
De notre amour congelé
Il est trop tard pour savoir
Quel était le mot de passe

Je tends la main vers le passé
N’arrive jamais à l’atteindre
Et tout ressemble
À un ultime recours

Certes on a dit qu’on s’en tiendrait là
Et il ne reste rien
Et pourtant j’entends mes lèvres
Faire ces promesses

Certes on a gaspillé la vérité
Et il n’en reste presque rien
On peut pourtant balayer la chambre
On peut encore faire le lit

Quand le monde sera faux
Je ne dirai pas qu’il est vrai
Quand les ténèbres appelleront
Avec toi j’irai

Quand viendra la honte
À l’heure de la grande Alerte
Quand ils appelleront ton nom
Bras dessus bras dessous nous irons

Leonard Cohen, The Flame,
Le Seuil, trad. Nicolas Richard

mercredi 14 novembre 2018

The end



Les livres ont les mêmes ennemis que l'homme : le feu, l'humide, les bêtes, le temps ; et leur propre contenu.
Paul Valéry

jeudi 8 novembre 2018

Beaucoup d'imagination



De temps en temps, une femme est un substitut convenable à la masturbation. Mais bien sûr, il faut beaucoup d'imagination.
Karl Kraus

samedi 3 novembre 2018

Vases communicants


Hiromu Kira

Je m'obstine à établir une différence entre imbécillité et intelligence, et ce n'est pas aussi facile qu'il y paraît.
Pour commencer, l’imbécillité humaine est si foisonnante qu’une bonne partie échoit aux êtres intelligents, qui l’utilisent avec plus d’agilité et de confiance que ne le ferait un imbécile. Les imbéciles s'obstinent à faire (et c'est bien) ou à dire (ce qui est moins bien) des choses intelligentes. En revanche, on voit bien que les intelligents font ou disent des imbécillités tout le temps, sans le vouloir. L'imbécillité et l'intelligence se trouvent comme dans des vases communicants, passant constamment de l'un à l'autre ; il arrive qu'elles se repoussent mais, en général, elles se mélangent bien et elles créent des amitiés, des relations, des alliances et des mariages qui ne s'expliquent pas, et dont les gens disent : mais comment est-ce possible ?

Augusto Monterroso, La Lettre e,
trad. Christine Monot, éd. Passage du Nord-Ouest

vendredi 2 novembre 2018

Dix ans




il descendait par l'escalier extérieur
une chambre aménagée dans le grenier
pareille à celle de ses dernières années
au-dessus du Gambetta ?
chez la voisine ?
je venais d'embrasser ma mère
et l'ai trouvé dans la cour comme je quittais
sa maison
nous nous sommes salués à peine
comme de son vivant
des siècles que nous ne nous voyions plus
nous avons franchi la grille ensemble
le temps d'un tour de clé, il remontait déjà 
la rue Edouard-Vaillant
les périodes sans travail étaient les plus 
étranges et angoissantes
je l'ai rattrapé sans mal
tous ces matins
après-midi
où allait-il ? 
au café, voir un ami, 
Antonio el largo ? Da Cunha ?
Sylvestre ? Le Polonais ?
El Málaga ? Chevalier ?
El Rafa ? El Miguel ?
chez une femme ?
La Mona ?
cette fois, j'étais là
nous ne savions jamais
d'où il revenait
j'ai passé mon bras sur son épaule
le toucher
il s'est tourné vers moi, comme pour me parler 
sans mots, la gueule en sang, 
sans dents
je l'ai serré contre moi
je voulais lui dire tout ce que je savais
tout le peu
depuis qu'il n'était plus là
ce qui je pensais l'avait éloigné 
de sa femme, de ses propres enfants
silence secret qu'il connaissait  
selon elle 
comment autrement ?
qu'il ignorait 
selon mon frère
la ville avait beaucoup changé
il avait besoin de moi
pour le guider
le bistro du coin n'existait plus
mais le brazza plus loin où
ma sœur et moi achetions
à ses anniversaires une boîte de cigarillos
une fois un cigare
était toujours là sous un autre nom
je crois
nous nous sommes perdus 
dans une autre vie
aujourd'hui il me reste dix ans
pour arriver
place de sa mort
j'aime mieux les rêves de casse
sur un scénario de Giovanni
ils m'évitent 
d'écrire ces idioties

jeudi 1 novembre 2018

Pour le plaisir


Elliott Erwitt

Le 28 octobre 1919, André Gide écrit dans son Journal
Hier, visite de Valéry. Il me répète que, depuis nombre d’années, il n’a écrit que sur commande et que pressé par le besoin d’argent.
- C’est-à-dire dire que depuis longtemps, tu n’as rien écrit pour ton plaisir ?
- Pour mon plaisir ? reprend-il. Mais mon plaisir est précisément de ne rien écrire. J’aurais fais autre chose que d'écrire, pour mon plaisir. Non ; non ; je n’ai rien écrit, et je n’écris rien que contraint, forcé et en pestant.