vendredi 26 avril 2019

D'après une histoire vraie

Dieu dit à Adam : J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c'est que je viens de te doter de deux nouveaux organes : un pénis et un cerveau. La mauvaise nouvelle, c'est que tu ne pourras jamais les utiliser en même temps.

mercredi 24 avril 2019

Rien à voir


Bien entendu, je suis, comme beaucoup, outré par l'affaire Gaspard Glanz. Je ne comprends pas que dans une démocratie comme la nôtre, de tels faits soient possibles. Il est intolérable qu'un tel personnage, militant gauchiste déclaré, se pavane désormais devant les micros en victime d'une prétendue répression policière, voire d'un acharnement politique, un certain pouvoir en aurait, dit-il, fait une sorte de fixette personnelle. Et puis quoi encore ? Il est évident que cet énergumène cherche constamment — il n'en est pas à ses premiers soucis avec la justice — à en découdre avec les forces de l'ordre qui ne ripostent que lorsqu'elles se sentent en danger , et, à l'instar de ses amis zadistes et blackbloquistes ceux-là mêmes qui invitent nos policiers à se suicider ! , a pour but la destruction de la République et la destitution d'un Président démocratiquement et fièrement élu. La France a toujours craint et rejeté les réformes, par principe, et c'est tout à l'honneur du gouvernement actuel d'insister coûte que coûte — que pèse face à ce courage un œil ou une main de gilet jaune ? dans sa volonté pour moderniser notre pays. Gaspard Glanz n'est pas journaliste. Il n'a rien à voir avec ces figures qui, au quotidien, font honneur à la profession et à sa légendaire déontologie : Alain Duhamel, David Pujadas, Laurent Delahousse, Nathalie Saint-Cricq, Eric Fottorino, Laurent Joffrin, Jean Quatremer, Nicolas Demorand, Ali Badou, Thomas Legrand, Léa Salamé, Yves Calvi, Jean-Michel Apathie, Apolline de Malherbe, Bruce Toussaint..., j'en passe et des meilleurs. Non, Gaspard Glanz n'a rien à voir avec cette race d'hommes et de femmes. Il était temps de lui confisquer sa caméra Gopro, véritable arme par destination lorsqu'elle se retrouve sur le casque du premier apprenti-terroriste venu. Rappelons enfin que ce soi-disant journaliste n'a pas de carte de presse et a été interpellé en raison de sa « participation à un groupement en vue de commettre des dégradations et d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique » — il n'y a pas de fumée sans feu, c'est connu. Oui, les Français, « peuple de bâtisseurs », ont aujourd'hui honte de ce battage médiatique inutile, préfèrant se concentrer sur la reconstruction en cinq ans, nous a promis notre Président — de Notre-Dame et sur les prochaines Européennes où ils souhaient, plus que jamais, faire barrage aux extrêmistes et autres populistes de tous bords et faire enfin entrer notre start-up nation dans le XXIe siècle.



lundi 22 avril 2019

Sous l'évier

Andrea Modica

Ah ! C'est vraiment là, à l'asile, que j'ai compris jusqu'où elles étaient vicieusement tordues les familles. Ça n'a l'air de rien une famille, c'est même ce qui rassurerait le plus vu du dehors quand on passe, mais dès qu'on fourre le nez un peu vraiment dans la cuisine et sous le lit, c'est là qu'on s'aperçoit qu'elle suinte de partout la folie : du placard avec les couverts en faux argent, de dessous de l'évier, du dessus-de-lit en crochet qui descend de l'arrière-arrière-grand-mère, de plus en plus jauni et qui a tout vu depuis, lui, sur tous les lits. La vieille boîte à chaussures où s'acharnent à survivre toutes les enfances en photos dans le jardin, entre le livret de Caisse d'épargne et la liasse écrasante de fiches de paye d'une vie. Tous les objets détraqués, oubliés, qui veillent dans le grenier et dans la cave depuis six générations et qui portent, sous la poussière, toutes les empreintes de la plus vieille et plus quotidienne folie. Celle que personne ne voit, que l'on flanque chaque jour sous l'évier avec le linge sale jusqu'au jour où elle envoie quelqu'un se faire enfermer à l'asile. Alors on vient voir la folie le dimanche à l'asile et personne ne pense à jeter un coup d'œil sous l'évier. Jamais. C'est un peu fort tout de même !

René Frégni, Les Chemins noirs, 1988

vendredi 19 avril 2019

mercredi 17 avril 2019

Nous aurons encore de mauvais moments


– Pardon de t'appeler si tard. Mais j'ai eu comme un malaise. Je ne me sentais pas bien. Toute cette indécence autour de Notre-Dame, la surenchère de dons pour transformer ce monument en nouveau Disneyland... Pourquoi ai-je écouté ce monstre et son chantage à l'émotion, à l'unité du pays, un pays sinistré qu'il ne fait que diviser depuis sa prise de pouvoir ?
– Ah ? Il a encore parlé ?
– Tu n'es pas au courant ? Je me demande parfois comment tu fais pour te tenir informé... 
– Je ne sais pas. Pas comme ça. Si c'est ça, l'information, je préfère ne rien savoir.
– De la fenêtre, l'autre soir, du haut de mon HLM,  je voyais la fumée, les flammes, au loin. J'ai eu peur, mon fils a regardé sur internet et m'a dit que c'était Notre-Dame. Toi, tu n'as rien vu, depuis Montreuil ?
– Figure-toi que j'étais à Paris. Dans un café, avec notre ami Pedro.
– Ah, comment va-t-il ?
– Mal, comme tout le monde.
– Il y a longtemps que je ne l'ai pas vu... Il y avait un match ?
– Non, les matchs dans les cafés, cette époque, c'est fini... Notre bouiboui roumain de la rue Saint-Sébastien est devenu un resto gastro pour bobos du quartier. Ailleurs, une soirée foot te revient vite à deux dizaines d'euros. Vivent les hackers et le streaming !
– C'est l'amour ou le boulot qui manque à Pedro ?
– Les deux. Tu sais bien, aujourd'hui, dès que tu n'as plus de boulot, tu te sens mal, tu culpabilises, tu te demandes quand tu vas pouvoir en retrouver, payer tes factures et tes dettes, et consommer comme tout le monde... Heureusement, il est économe et n'a pas de loyer à payer.
– Et l'amour ?
– L'amour, ça va, ça vient. L'amour physique, j'entends, le sexe. Il passe d'un corps à l'autre dans la pénombre de ses lieux de prédilection. Tant que ça marche, il y va. Il se dit que le temps est compté, qu'un jour, il devra peut-être payer pour baiser. Dans le monde du travail comme dans celui de la séduction, passé un certain âge...
– ...Il a raison, qu'il en profite. Il a la chance d'avoir un physique qui ne trahit pas son âge.
– Dans la pénombre, en tous cas. Dans la lumière, ça commence à se voir. Mais il peut encore tricher dans une fourchette de 5-10 ans.
– Tricher ?
– Sur les sites de rencontre. C'est le règne du fake, comme il dit.
– Tu veux dire qu'en dehors des saunas et backrooms, il fait aussi des rencontres sur internet ?
– Désoeuvré comme il est aujourd'hui, le sexe est devenu le centre de sa vie. Il est tombé récemment sur un type qu'il a revu deux-trois fois.
– C'est bien, ça...
– Pas forcément...
– Il m'a un jour raconté que d'habitude, il n'a droit qu'à des rencontres d'une nuit. Des One shot...
– Oui, sauf que, lorsqu'on se revoit, on se découvre à chaque rendez-vous. Et quand le gars a appris la vérité sur l'âge de Pedro, il est devenu distant.
– Il a quel âge, lui ?
– Vingt ans de moins.
– Ah oui, quand même...
– Tu vois ?
–  Ce n'est pas ce que je voulais dire...
– Mais ce n'est pas une grande perte. Le type était au chômage, avait perdu son appartement, et était revenu vivre chez sa mère, avec qui il ne s'entend pas. A sa dernière visite, il a demandé à Pedro s'il pouvait en profiter pour faire une lessive... Et Pedro n'a eu droit qu'à une demi-branlette sur le canapé en échange. Il l'a largué par sms.
– C'est sordide.
– C'est notre monde, tu n'es pas informée ?
– A moi aussi, il manque parfois un homme dans mon lit. M'endormir contre son corps, sentir sa peau, ses mains sur moi... Quand je serai en Bretagne la semaine prochaine, j'irai faire un tour sur le port, je trouverai peut-être un homme.
– Sûrement, il va faire beau, tu vas pouvoir sortir ta plus belle robe...
– Non, je sortirai le livre que je lis en ce moment, Place des héros, le laisserai en évidence sur la table de la terrasse d'un café...
– Essaie plutôt Marc Lévy ou Guillaume Musso, tu auras plus de chance... Ou Houellebecq. Mais Thomas Bernhard, personne ne lit ça. Et du théâtre, en plus...
– Je pourrais mettre une annonce dans le journal local : Perdu mon exemplaire de Thomas Bernhard. Bel homme, si tu le retrouves, merci de contacter le journal qui transmettra...
– Musso ou Houellebecq, te dis-je.
– Ou alors, j'opte pour une annonce du type Femme dominante cherche homme soumis. Là, je suis sûre que j'en trouve un.
– Tu vas t'emmerder avec un toutou à sa maîtresse. Sauf si, une fois attaché, à tes pieds, tu lui lis du Thomas Bernhard... Tiens, prends ça dans tes oreilles, mon salaud !
– Tu penses vraiment que plus personne ne lit Bernhard ?
– A part quelques illuminés dans notre genre, ma belle, je ne vois pas, non...
– Ses pièces sont encore montées...
– J'ai l'impression que tu parles d'une autre époque... Tiens, l'un de ses interprètes français est mort récemment, dans la misère... Non, je t'assure, la littérature, à part quelques bluffs et quelques buzz comme Houellebecq, ça n'intéresse plus grand monde dans ce pays...
– Tu exagères. La France reste le Pays du livre.
– Arrête, on dirait une expression de Macron.
– Tu exagères.
– Nous aurons encore de mauvais moments.
– Et toi, tu parles comme un de tes prophètes scandinaves.
– Détrompe-toi, c'est le titre du petit essai d'un grand écrivain espagnol qui, justement, est mort début avril, à 91 ans, dans l'indifférence la plus ignoble. Pas un seul papier dans la presse de ce Pays du livre...
– Je ne te crois pas. 
– J'ai vérifié, car j'ai appris sa mort, par hasard, sur un site espagnol. Et je t'assure, pas une ligne, nulle part. Aucun journal français n'a signalé sa disparition.
– Comment s'appelle-t-il, ce grand écrivain espagnol ?
– Rafael Sanchez Ferlosio. 
– Connais pas...
– Attends, je dois avoir ce bouquin pas loin, je l'avais ressorti dernièrement pour une traduction... Voilà, il est là. Tiens, dis-donc, ce n'est pas mon exemplaire...
– A quoi le vois-tu ?
– Aux passages soulignés. Je ne souligne jamais rien. Mais je me souviens avoir offert ce livre à ma chérie, au début de notre histoire, ce doit être le sien. 
– Tu lui as offert Nous aurons encore de mauvais moments ? On peut dire que tu sais ce qui plaît aux femmes, toi...
– Je ne leur mens pas, en tous cas. Et la suite m'a donné raison... Bref, écoute ça, au hasard : « Contre Goethe. Jamais je ne me sentirai aussi éloigné ni ne m'opposerai davantage que de celui qui a dit : « Grises, cher ami, sont toutes les théories ; / vert, en vérité, est l'arbre doré de la vie. » Il m'a toujours semblé, à moi, au contraire, que le gris, c'était la vie  triste, sinistre, poussiéreuse et sèche momie d'elle-même. Je n'ai vu de vert que l'arbre idéal de la théorie, justement ; et dorée, la fleur imaginaire de l'utopie, qui brille entre ses branches comme une ampoule tremblante et impavide défiant l'abominable nuit dans la ville prise sous les bombardements.  »
– C'est gai...
– Attends, j'essaie de comprendre ce que ma belle a noté en marge. Désolée, je suis plutôt comme Goethe alors... Avec un point d'exclamation, la chienne...
– Elle a raison.
– C'était le fils d'un des fondateurs de la Phalange...
– Qui ? Ton grand écrivain ?
– Ce n'est pas mon grand écrivain. Il a reçu de nombreux prix tout au long de sa carrière. Et s'est toujours moqué de ces distinctions et de la pose de grand écrivain. Un peu comme Thomas Bernhard, vois-tu ? Tout le contraire d'un Houellebecq justement, qui va bientôt se faire décorer par l'Etat français auquel il a durant des années fait un sacré bras d'honneur en allant s'exiler fiscalement en Irlande.
– Dis-moi, la Phalange, n'était-ce pas un parti fasciste ?
– L'un des plus grands, oui. Mais personne n'est responsable de ses parents. A part quand ils deviennent grabataires... Il a toujours rejeté le concept de nationalisme, ça le faisait vomir, disait-il... Tout comme Dieu. Sur qui il écrivait : « Les hommes, innocents, en dernière instance, de tant de laideur, de tant de haines et de tant de souffrances, finirent par placer qulqu'un en haut, pour avoir quelqu'un à maudire et contre qui agiter un poing levé vers le ciel, dans les heures de désespoir. Autant ou plus que la louange, Dieu est une création du blasphème. »
– C'est beau comme du Cioran.
– Oui. Allez, une petite dernière, que j'ai déjà cité par ailleurs, et qui est plus vrai que jamais. « Le présent se remet entre les mains du futur de la même façon qu'une veuve ignorante et confiante se remet entre les mains de l'agent d'assurances retors et malhonnête. »
– Cioran, d'ailleurs, dans sa jeunesse, a fricoté avec le fascisme, non ?
– Il ne s'en est jamais caché et a beaucoup écrit sur ses errances de jeunesse...
– Un type qui est accusé en ce moment de faire le jeu du fascisme, c'est Juan Branco. Tu as vu ?
– J'ai survolé quelques textes sur la toile. Tout ce cirque de batailles d'intellectuels pour savoir qui est le plus à gauche de la gauche, qui n'existe pas, est exténuant. Un cirque qui amuse certainement ce Petit Paris dont parle Juan Branco. Qu'une des figures de la gauche radicale soit ce fils de la noblesse du Vivarais, il y a de quoi sourire... 
– Personne n'est responsable de ses parents, souviens-toi...
– Exact. Mais nous sommes responsables de ce que nous écrivons. Surtout lorsque l'on est un normalien ayant pignon sur rue, que l'on dirige une collection d'essais chez Fayard. Editeur, entre parenthèses, appartenant à Hachette Livres, si je ne m'abuse, propriété de l'ancien client du banquier Macron, Arnaud Lagardère, que brocarde justement l'ami Branco. Tout cela pue terriblement. D'autant que ce gauchiste de salon, proche du prolo Edouard Louis ou de Didier Eribon que j'aime beaucoup, un type en somme pour qui j'avais jusqu'ici du respect pour l'avoir entendu une ou deux fois à la radio, traite Branco de facho avec des arguments à peine dignes de Picsou magazine... A le lire, on a l'impression que Juan Branco vient d'écrire Bagatelles pour un massacre ! C'est le même type de justifications utilisés par d'autres à propos de Julian Assange.
– Ce jeune philosophe avait également affirmé que le travail de ton copain David Dufresne de recension des violences policières était "complice de l'ordre policier"... 
– Fabuleux ! Ecoute, ça m'avait échappé. Mais visiblement, le gars a pété une durite, est jaloux du succès des autres, ou bien ce sont là les relents d'une certaine classe qui, tout en prônant des valeurs humanistes, de partage des richesses et je ne sais quoi, défend les privilèges dont on l'accuse de toujours bénéficier... Je préfère me tenir loin de tout ce bruit ridicule et effrayant par bien des égards.
– Mais tu le connais, Branco ?
– Je n'ai fait que le croiser. Il m'intéresse en dépit de son narcissisme. C'est son père que j'ai rencontré longuement à plusieurs reprises et que j'aime bien, malgré son côté pirate revendiqué, pirate de la rue de Rennes et du café Flore certes, mais sans qui bien des films d'auteur n'auraient jamais vu le jour. Je me souviens de ce que me racontait mon amie Emmanuelle, qui était produite par Branco père. Elle n'était pas payée depuis plus de deux mois, allait être mise à la porte de son appartement, mais a réussi un jour à le coincer dans son bureau. Il lui a dit Emmanuelle, tu as besoin de combien ? Il a alors sorti de la poche de son veston des liasses de billets qu'il lui a filées. Un flambeur comme il en reste peu dans le cinéma, ayant fui la dictature portugaise, marié à une psy ayant fui le régime franquiste. Ces deux-là se sont parfaitement intégrés dans le petit monde culturel parisien et ont donné naissance à ce cher Juan, brillant, agaçant, dérangeant apparemment, mais plus que nécessaire. Ne serait-ce que pour comprendre pourquoi les premiers donateurs pour reconstruire la cathédrale, ces bienfaiteurs de l'humanité, à qui on accordera de nouveau un régime fiscal particulier, se nomment Arnault, Pinault, Bettencourt, Bouygues, Total ou Apple, tous spécialistes de l'évasion fiscale... Quel cirque !



samedi 13 avril 2019

Retour de l'être aimé

Saul Leiter


Cette nuit, j'ai rêvé que je baisais ma femme. C'est elle qui prenait l'initiative. Je crois que je rentrais du boulot, je ne sais pas lequel. Elle m'attendait devant un feu de bois et un dîner aux chandelles. Elle m'a servi un verre de vin et entraîné sur le canapé. Elle s'était habillée un peu pute, avait sorti tout l'attirail, les trucs qui, selon les femmes, rendent les hommes fous. Et ça marchait bien évidemment. Lorsqu'une femme se donne tant de peine, ça ne peut que marcher. Je n'ai pas eu le temps d'avaler une gorgée. Elle a soulevé sa jupe et m'a chevauché sur ce canapé rouge. En furie. En manque, comme si nous ne l'avions pas fait depuis une éternité. Nous étions aussi excités et ravis l'un que l'autre. Je bandais comme à vingt ans. Un sein dans la bouche, je laissais glisser mes doigts de ses cuisses à ses fesses que je prenais à pleines mains en lui récitant par coeur des poèmes que je ne connais pas. Elle a lâché un long cri puissant et nous nous sommes effondrés devant la cheminée. Et après le repas, succulent et arrosé du meilleur bourgogne, nous remettions ça et c'était encore plus fantastique et inoubliable. Nous baisions toute la nuit, je pense, et encore à l'aube. Il faudrait que je l'appelle un de ces quatre, histoire de savoir ce qu'elle devient...

Charles Brun, Le Retour


dimanche 7 avril 2019

Les portes de la nuit



A qui nous adressons-nous lorsque nous commençons à discuter de plus en plus avec nous-mêmes ? Qui est cet autre en nous que nous tutoyons dans le noir pendant les heures d'insomnie, à qui nous reprochons ce que nous avons été incapables de faire ? « Tu aurais dû… La prochaine fois que tu la croises dans la rue, tu lui diras ceci… » Nous préparons des fleuves de mots qui ne franchissent pas les portes de la nuit.
René Frégni, Elle danse dans le noir



samedi 6 avril 2019

Mauvais sketch


Alicia Rius

- T'es au courant pour Blanche Gardin ?
- Qui ?
- Blanche Gardin, tu sais l'humoriste... Je pensais que tu l'aimais bien...
- Ah oui, pardon, je n'y étais pas... Je pensais que tu allais me parler d'une ministre ou d'une de ces secrétaires d'Etat à la con…  Qu'est-ce qui lui arrive à cette chère Blanche ? Elle est enceinte de Louis CK ?
- Elle a refusé d'être nommée à l'ordre des Arts et des Lettres.
- Et alors ?
- Elle a envoyé une lettre assez critique pour se justifier, à propos des mal logés, tout ça...
- « Tout ça » ?
- Attends, je cherche le texte exact.
- Pas besoin. 
- Si, si. Voilà : Je suis flattée. Merci… 
- Ils sont tous flattés d'être récompensés par le pouvoir, lamentable.
- Attends…
- …Comme disait Billy Wilder, Les récompenses, c'est comme les hémorroïdes, n'importe quel trou du cul finit par en avoir…
- Oui, je sais, mais écoute le texte : Je suis flattée. Merci. Mais je ne pourrai accepter une récompense que sous un gouvernement qui tient ses promesses…
- … Donc, le gouvernement ne tiendrait pas ses promesses ? Bien sûr qu'il les tient : Macron a été mis place pour démolir le pays, remercier ceux qui, dans l'ombre, ont permis cette ascension invraissemblable, en leur permettant de s'enrichir un peu plus, pour dresser les uns contre les autres au nom de la démocratie, tabasser ceux qui s'insurgent, les mutiler… Moi ou le chaos…
- Je peux finir de lire le texte de la Gardin ? Donc : …je ne pourrai accepter une récompense que sous un gouvernement qui tient ses promesses et qui met tout en œuvre pour sortir les personnes sans domicile de la rue… Tu sais, elle se réfère à ce qu'avait dit Macron après son élection : « Je ne veux plus, d'ici la fin de l'année, avoir des hommes et des femmes dans la rue, dans les bois ou perdus ».
- C'est quoi ? C'est son dernier sketch ? Pas terrible…
- C'est sa lettre à Macron…
- Ok, d'accord. C'est quand même mieux que toutes ces plaidoiries pour le droit des animaux, mais, elle a sérieusement cru à ce genre de discours sur les personnes sans domicile, la Blanche colombe ? Ils l'ont tous tenu avant ce con ! Chirac avait été élu sur le thème de la fracture sociale, cher à Emmanuel Todd. Sarkozy avait prononcé exactement les mêmes mots, Hollande et sa Duflot aussi. Résultat, il y a plus de 10 millions de personnes dans ce pays, officiellement, qui vivent sous le seuil de pauvreté, qui n'est déjà pas bien élevé. Elle est jeune, la Blanche colombe, c'est peut-être l'explication.
- Elle semble beaucoup s'impliquer. Et dans son texte, elle dénonce les mesures qui ont provoqué l'effet inverse de cette promesse sur les SDF. A savoir, la baisse des APL, la réduction des budgets des centres d'hébergement, les coupes budgétaires dans la construction de logements sociaux et dans les emplois aidés, la suppression de l'ISF, ce qui a selon elle pour conséquence de faire chuter les dons aux associations qui luttent en faveur des plus démunis. Et elle a reversé les bénéfices d'un de ses spectacles à la Fondation Abbé-Pierre et à l'association les Enfants du Canal. 
- Bien. Bravo. Mais pourquoi s'arrête-t-elle là ? Pourquoi ne rappelle-t-elle pas toutes les mesures scélérates de ce gouvernement qui poursuit, en l'accélérant, l'œuvre des précédents : démolissage du Code du travail, hausse de la CSG pour les retraités dont un grand nombre se retrouve dans la nécessité de retourner bosser, la réforme de l'éducation, la fermeture des hôpitaux, des maternités, le durcissement des mesures de contrôle des chômeurs, ces assistés, ces feignants, ces « gens qui ne sont rien »… Sans parler de l'affaire Benalla et la fameuse réponse de l'illuminé de l'Elysée : Qu'ils viennent me chercher !, pour ensuite chier dans son froc, barricadé dans son palais. Des fausses promesses, il en a fait dans tous les domaines, ne serait-ce que ses prétendues réponses aux Gilets jaunes comme la hausse du smic, ou cette parodie de grand débat avec la complicité d'une bande d'intellectuels de salon, eux aussi flattés d'être invités par le chef de la mafia en personne, qui va faire semblant de les écouter en leur donnant deux minutes la parole, on amuse la galerie, il se permet de faire voter une loi sur les fake news tandis que ceux qui l'ont mis en place contrôlent l'ensemble des médias, on interdit les manifestations parce que certains s'en seraient pris aux prétendues valeurs de la République comme l'Arc de triomphe, symbole de l'Empire, Show must go on, le ministre de l'Intérieur peut continuer ses parties de poker avec ses copains truands, aller danser tranquillement en mettant des mains au cul à la première pétasse qui passe et parader sur les Champs-Elysées après la bataille… 
- Du calme, du calme. Prends un autre verre.
- Tu as raison, je vais me calmer, regagner le silence de la solitude, sinon, c'est pas un verre que je prends, c'est les armes !
- Tu sais que tu peux être mis en garde à vue, avec ce genre de propos ?
- Qu'ils viennent me chercher !
- Qu'est-ce que tu as contre les plaidoiries sur le droit des animaux ?
- Rien. J'aime beaucoup les animaux. Mais tous ces gens qui veulent leur octroyer les mêmes droits que ceux dont bénéficient les hommes me font frémir. Dire que les animaux doivent être traités comme les hommes, c'est accepter que les hommes soient traités comme des animaux. Donc, je préfère quand même une analyse
comme celle de Blanche Gardin, aussi naïve et incomplète soit-elle. Pendant ce temps-là, l'expulsion et l'arrestation imminentes de Julian Assange, personne n'en parle…
- Julian qui ?