samedi 31 décembre 2022

En route vers la gloire !

Wayne Miller

 

Rarement avais-je reçu cadeau de Noël aussi prestigieux, et enviable. Je n'en reviens pas. Il me faudra cependant attendre le mois de février pour en pleinement profiter. La chérie ayant pris au pied de la lettre mon désir d'entrer dans les lettres a cassé la tirelire, ou vendu sa dent pivot sans rien m'en dire, histoire de me permettre cet hiver de boire comme un trou les paroles et conseils de l'inestimable Maylis de Kerangal, en compagnie d'une poignée de privilégiés.
L'auteure multicouronnée (Prix des Etudiants France-Culture Télérama, Grand Prix RTL-Lire, Prix Médicis, Prix Franz Hessel, Premio Von Rezzori, Prix Boccace...), traduite dans 40 langues, adaptée au cinéma et au théâtre, nous enseignera comment écrire «à l'oreille», histoire de capter la «sonorisation» d’un lieu, d’une scène, de spatialiser, d’étager les différentes pistes sonores qui composent une situation.
Nous serons introduits avec délicatesse dans l’écriture romanesque, mais aussi dans l’écriture de récits sans fiction, afin, nous dit le texte de présentation de l'atelier, d'entendre des voix plurielles, d'agencer un chœur, de libérer des solos, et penser ensemble la mémoire et la voix.
Incarnation, ponctuation, accentuation, effets de vitesses, rythme, écho, réverbération, résonance et silence, seront les «mots-manas» de cet atelier qu'organise, un nouvelle fois, le quotidien vespéral des marchés, propriété du poète Xavier Niel, et qui se tiendra dans les locaux du canard sis à deux pas de la splendide BNF François-Mitterrand dans laquelle je suis désormais certain de voir un jour entrer mes romans multiprimés.

A moi enfin la gloire, le fric et les honneurs
!
Pour les autres, pas de jalousie, mais une excellente année tout de même ―dans la mesure de l'impossible, bien entendu.

 

 

vendredi 30 décembre 2022

Si vous saviez...

Sabine Weiss

 

si vous saviez comme je me déteste
certainement vous auriez pitié
je n’ose plus me regarder dans la glace
ma gueule pâle et sale me fait horreur
une gueule qui n’aura jamais trouvé place
sur les portraits estompés des précieuses familles
ni dans les assistances distinguées
ni même dans les gazettes à scandales 

mais si vous saviez comme je m’aime
sans doute vous seriez bien dégoûtés
car quoi qu’on dise je ne vous ressemble
en rien, tueurs de temps, étrangleurs
de bonheurs innocents, étouffeurs
d’illusions intraitables
 

 

Jean-Claude Pirotte, 18, avenue Gambetta
in Le Promenoir magique, La Table ronde

jeudi 29 décembre 2022

Palmer



— Encore ?!
Ah oui, je ne t'ai pas dit. C'est ma caméra...
Comment ça, ta caméra ?
Oui, ça m'alerte dès que ça détecte un mouvement chez moi...
— C'est une caméra de surveillance ?
Oui, je viens de l'installer dans mon sous-sol.
Pour le rat ?
Ah non, pas du tout. Je ne t'ai pas dit ?
Tu ne m'as pas dit quoi ?
Pour le rat.
Non.
Tu prends quoi ?
La même chose.
Il y a 15 jours, je suis repassé chez le dératiseur.
Lequel ?
Une petite boutique pas loin de chez moi.
Finalement tu n'as pas fait appel au type que t'avait recommandé le type parti à la retraite ?
Non, c'était un type pas très pro. Je ne le sentais pas. Il fallait le contacter via son compte instagram où il posait devant des bagnoles ou en train de fumer la chicha, comme un kéké, avec les gestes d'un vulgaire rappeur. Bref, il n'est pas venu au rendez-vous. Sur son message suivant, il ne s'excusait même pas. Il m'a dit Je repasse demain, en une demi-heure, c'est réglé, tu me files un petit billet et voilà.
Un petit billet de combien ?
50 euros.
— Ce type pas pro était quand même moins cher que la boîte que tu avais contactée.
Oui, mais pas pro, justement, c'était au black, sans aucune garantie, un type pas fiable je te dis, un vrai kéké...
Bref... La petite boutique.
Quand j'ai raconté au type de cette petite boutique tout ce que j'avais tenté depuis trois mois, il n'en revenait pas. On ne fera pas mieux. Je ne vais pas vous facturer une opération que vous avez déjà faite. Dès que des travaux se déroulent dans la rue, les rats sortent de leurs galeries et se réfugient chez les gens, c'est imparable. Vous devez vivre un enfer. J'aimerais pas être à votre place. Revenez la semaine prochaine, je dois recevoir de nouveaux produits, vous m'êtes sympathique, je vous en filerai deux ou trois gratuitement si vous n'avez toujours pas réussi à vous en débarrasser.
Ah, parfait. L'humanité n'est pas tout à fait perdue...
Oui, mais moi, je ne voulais pas en arriver là... Tu me connais, je ne peux pas faire de mal à un animal. Mais c'était lui ou moi, je n'en pouvais plus. Depuis trois mois, tu te rends compte ? Je ne dormais plus... Je l'entendais creuser la nuit. Je devenais fou. Chaque nouveau piège, il le déjouait. Il s'amusait à déchiqueter les sachets et à répandre le poison tout autour. Les clapettes traditionnelles, il les déclenchait sans y laisser ne serait-ce qu'un poil de moustache. Il me narguait en permanence. Il faisait des trous dans toute la cuisine, dans les placards, derrière le frigo, où il planquait les croquettes qu'il piquait à mon chat...
Bref...
Oui. La semaine dernière, je repasse à la petite boutique. Toujours là, votre rat ? Mon pauvre vieux. Tenez, j'ai ce qu'il vous faut. C'est du matériel pro, vous ne trouvez pas ça dans le commerce. Et pour vous, c'est gratuit ! J'installe ces nouveaux pièges. Sans trop y croire. Trois mois que ça dure... Je file au boulot. Le soir, j'avais oublié, je faisais ma vaisselle du dîner, au moment de l'essuyer, je vais prendre un nouveau torchon sous l'évier : le rat était là ! Couvert de sang, agonisant. Ses yeux qui me suppliaient d'en finir... Mais j'en étais incapable. J'avais la nausée. Finalement, je prends un gant de cuisine, un sac poubelle, et je le fous dedans. Et je jette le tout, le rat encore vivant, le sac plastique, mon gant, les torchons... dans la poubelle du jardin. Je n'arrivais plus à rien. C'est atroce.
C'est ton côté vegan, ça te perdra.
Oui, c'est ça. J'ai rendu mes raviolis végétariens dans le jardin, j'avais des suées... Et puis, je me suis repris. Je suis retourné à la poubelle, j'ai vérifié : il était enfin mort. J'ai creusé un trou dans le jardin et je l'ai enterré, à côté de ma pauvre chatte. J'ai mis un caillou sur sa tombe sur lequel j'ai écrit son nom.
Il avait un nom ?
Oui, Palmer.
Ah, très astucieux... Il va te manquer.
Je crois... Je me sens très seul désormais. C'est pourquoi j'ai insisté pour qu'on se voit ce soir.
Quelle histoire. Mais alors, ta caméra ?
Rien à voir.
Alors pourquoi l'avoir installée ?
Oh, tu vas me prendre pour un fou.
Détrompe-toi, je sais que tu es fou.
Oui, ben, je te raconterai une autre fois... Tu reprends quelque chose ? Je t'invite. On va boire à la mémoire de Palmer.



mercredi 28 décembre 2022

Vieux cadavres

 

Herman Leonard


je lève les yeux et lis
l'hiver à passer
rien ne bouge
rien n'arrive
plus loin, le mur de vieux cadavres
je fore encore
quelques pages
les mots m'étouffent
irratrapable
irrespirable héritage
il m'avait dégoûté du tabac
j'aurais aimé l'alcool
la fuite et l'orage
de ces mains
jouer d'autres outils
que ces livres —
une trompette
une clarinette, mais
je n'ai plus l'âge —
les mots que j'étouffe.

charles brun, à l'espagnolette

lundi 26 décembre 2022

Vous prenez quoi ?

Lorna Simpson

 

Depuis toujours, foncièrement inadapté à cette époque inqualifiable, résigné, je me définissais comme un être du passé. Eh bien, figurez-vous qu'aujourd'hui, je suis persuadé d'être un homme de demain…
Vous prenez quoi ?

 

charles brun, à propos de la fin du monde

samedi 24 décembre 2022

La grande révolte



Fidèle à son mot de désordre —Après le film, vous avez la parole —, La Grande Distribution organise depuis quelques années des « discussions citoyennes » dans les salles de cinéma et lance du 12 au 15 janvier prochain à Paris (l'hiver s'annonce chaud) son premier festival, en collaboration avec Mediapart. 

Au programme : 12 films (dont un docu espagnol sur Julian Assange), 12 débats, des tables rondes, des soirées festives, dont un incontournable karaoké, un stand librairie...

Les parrains-vedettes du festival ont pour nom Guillaume Meurice (humoriste), Valentine Oberti (journaliste), l'ami David Dufresne (qu'on ne présente plus), Monique Pinçon-Charlot (sociologue) et Mathilde Larrère (historienne).  Que du beau monde... 

On ira donc s'amuser, les occasions sont rares, et se révolter au mythique Saint-André des arts, au 38 de la rue du même nom (et vice-versa), dans le 6e arrondissement.




vendredi 23 décembre 2022

Songs for lovers

Pierre-Jean Amar

 

les mots m'échappent
se ruent contre la
boîte cranienne
comme un dernier effort
pour rester en mémoire
je fouille
les convoque noir sur blanc
aux premières heures
du jour
imprégnées de bistouille
je faux déposer le bilan
peu d'espoir de retenir
le nom de l'auteur
le titre sur la couverture

everything happens
to me
j'entends déjà
chialer en sourdine
la trompette de chesney henry baker
chez ma jeune voisine
l'homme de l'oklahoma
plays and sings for lovers
m'a-t-elle confessé un jour
avant de décaniller l'escalier
à l'image
en noir et blanc
de son idole
la fenêtre du Prins Hendrik

ne rien attendre.


charles brun, en sourdine

 


vendredi 16 décembre 2022

Indéfinissable

Miroslav Tichý


 

Tant qu'il y aura des orties molles
Il y aura des dimanches crispés

Où l'on mangera du lapin fade
Dans un petit restaurant sous la bruine

En se faisant des idées vagues
Sur le sens de la destinée en général

Il n'y a pas de sens il y a seulement
La sensation indéfinissable.


Christan Bachelin, Atavismes et nostalgies,
éd. de l'Arbre, 1999

mardi 13 décembre 2022

Les armes du succès

Elliott Erwitt

 

Voilà, c'est décidé. Finis les bistrots. Dès aujourd'hui, en phase avec mon temps – enfin, pensent déjà certains –, je vais apprendre à écrire. Faire de la littérature. Française. Contemporaine. 

Pour cela, je viens de souscrire aux leçons proposées par Véronique Ovaldé sur le site du quotidien de l'ami Niel. Dix cours en ligne pour une heure de mon temps me garantissant le succés médiatique et critique.

Une heure, cinquante euros, pour la compagnie et les conseils avisés du prix France Culture-Télérama de 2008, c'est moins cher et plus gratifiant qu'une séance censée soulager mon dos chez l'ostéopathe.

Voici ce que je vais, me dit-on, apprendre :
- Les astuces pour commencer un roman
- Adopter un point de vue
- Faire vivre ses personnages
- Communiquer avec son lecteur
- La relecture et le choix des maisons d'édition

En exclusivité pour les égarés de ce blogue, j'en vois des qui rigolent, je vous livre le programme des plus alléchants et la durée de chaque séance :

1. Véronique Ovaldé ? Autrice, lectrice, éditrice (3'55).

2. La tyrannie du sujet (5'33).

3. L'adoption d'un point de vue (6'58).

4. Le pacte avec le lecteur (4'19).

5. La boîte à outils de l'écrivain (7'04)

6. L'effort de justesse (5'41)

7. La scène d'entrée (4'20)

8. La théorie de la fiction panier (4'25)

9. Le retravail du texte et le choix des maisons d'édition (4'56)

10. De l'envoi postal à la publication (5'11)

 

Enfin, en bonus — ne me remerciez pas —, l'irrésistible bande-annonce de ce cours sans pareil.



dimanche 11 décembre 2022

Trouble-fêtes rabat-joie

 

Gabriel Isak



(…)

Nous habillons le cadavre de notre culture
exhibée sous la bannière Grande-Bretagne,
Évoquons un passé mort et une pensée morte
Invoquant des monuments d'hommes morts
réprimés et sans amour.
Aucune île n'est un îlot
incertaine et divisée
juste une petite motte au large du continent, elle coule.

Je suis calme.

Je suis le début d'une émeute.

Mais les émeutes sont minuscules
        Et les systèmes sont immenses
La circulation incessante,
        prouve
        qu'il n'y a rien à faire.

C'est ça le business, bébé,
et son sourire est hideux.
Violence descendante.
Brutalité structurelle.

A chaque enfant sa dose
d'ordonnances et de calmants.

Mais ne te soucie pas de ça, mec.
Soucie-toi

des terroristes.

Les eaux montent !

Les eaux montent !

Les animaux –
        les ours polaires
                les éléphants meurent.

ARRÊTE DE PLEURER CONSOMME !!

Mais la marée noire ?

                Chuut.
Personne n'aime les trouble-fêtes rabat-joie.

 

(…)


Kate Tempest, Qu'on leur donne le chaos,
trad. Louise Bartlett, D' de Kabal,
éd. L'Arche, 2022

mardi 6 décembre 2022

Toute vie humaine

 

Elliott Erwitt

 

Si encore ils nous éblouissaient. Laurent de Médicis écrivait des poèmes sur la fugacité de nos jeunes années, entretenait Botticelli, logeait Michel-Ange et discutait du sens de la vie avec Pic de la Mirandole; mais Bernard Arnault, première fortune de France, achète du Jeff Koons et un yacht géant à fond transparent pour que les invités puissent voir ce qu'il y a au fond de l'eau– il ne manque plus que le papier peint panthère et les robinets en or. On se trouve, comme disait Georges Bataille, « incapable de les aimer, car il leur est impossible de dissimiler, du moins, un visage sordide, si rapace sans noblesse et si affreusement petit que toute vie humaine, à les voir, semble dégradée ». 

 

Laurent Jullier, Debord, éd. Les Pérégrines, 2021