mercredi 31 juillet 2019

Je suis l'homme de plusieurs dons


« Mon idée est de faire 50 films qui seront tous liés les uns aux autres, dont les sens s’éclaireront mutuellement à travers des personnages ». Jacques Demy ne réalisera jamais ce rêve prononcé à ses débuts et cité dans le fabuleux livre de Camille Taboulay, Le Cinéma enchanté de Jacques Demy (éd. Cahiers du cinéma).
En 1987, trois ans avant de tirer sa révérence,
le Nantais, réalisateur d'à peine une quinzaine de films, s'entretient avec Serge Daney, qui s'éclipsera à son tour en 1992. France culture rediffusait dans la nuit ce dialogue d'une petite heure durant lequel l'auteur de Lola, qui vient de vivre deux mauvaises expériences de cinéma, et s'apprête à en vivre une dernière, évoque son amour de la peinture, de la littérature, et revient bien entendu sur ses films.


lundi 29 juillet 2019

De l'air !


VL Kong, C. Green

C'est une agence de voyage qui nous le dit à travers une réjouissante enquête récemment dévoilée. Nos concitoyens aiment lire l'été, en vacances. A la mer, à la campagne, ou en montagne…
80% des Français envisagent de partir en vacances avec un livre, apprend-on. Formidable. 
Il ressort, en fouillant un peu, qu'ils sont 30% à déclarer lire davantage à cette période. Le sondage va plus loin, n'hésite pas à entrer dans le détail, nous offrant une carte de France des lecteurs estivaux. C'est en région Poitou-Charentes que l'on produit le plus de lecteurs (60%) suivent l'Auvergne (53%) et la Picardie (51%). Les originaires de ces contrées affirment embarquer dans leurs valises 3 à 4 livres.
De quel genre de livre parle-t-on, se demande-t-on, dis donc ? Le polar vient en tête (47%), suit, lit-on avec stupeur, le roman de fiction (27%) puis, le roman d'amour (16%).
Enfin, nous est offert un top 5 des auteurs plébescités : 54% des personnes interrogées ont prévu d'emporter un livre de Guillaume Musso, 37% des sondés se concentreront sur Maxime Chattam, 31% se taperont Joël Dicker, 26% se farciront Franck Thilliez, enfin, Katherine Pancol séduit 22% de ces grands fous de lecture…
De quoi, effectivement, avoir envie de prendre le large – et pas uniquement en été.

mercredi 24 juillet 2019

Epuisement


Tu connais Simone Weil ? Non, pas la copine de Giscard, la philosophe. La Vierge rouge, anarchiste illuminée, travaillant en usine, juive convertie au christianisme, tubarde, morte d'épuisement. Je ne sais pourquoi, elle est à nouveau à l'honneur. Allia a republié l'an dernier un petit texte intitulé Note sur la suppression générale des partis politiques. D'actualité, comme on dit. Et est annoncée pour vite une nouvelle édition du recueil La Pesanteur et la grâce, chez Plon, ça ne s'invente pas. Il était épuisé…

lundi 22 juillet 2019

Princesse

Charles Harbutt

j'avais mis la nappe les bougies
le lambrusco au frais
un air de bandoneón
la salive entre tes jambes
le temps nous a déréglés
devançant notre fragilité
je glissais sur ton dos trempé
combat de géants
happant l'air de rien
l'asphyxie escomptant l'épuiser
arrête suppliais-tu jamais
rebelle héroïne
je ne pouvais plus entre tes mains
te retenir
te retournai pour échouer
entre tes seins
ce soir d'avril écumeux
nous a endormis collés
appesantis délaissés
souviens-toi de m'y faire encore rêver
lorsque demain princesse tu m'auras oublié
Charles Brun, Princesses et mendiants



mardi 16 juillet 2019

Faire face

La notion de prestige a, dans la militation culturelle, une part déplaisante. Une part excessive certainement en tout cas. La militation culturelle n'est pas, pour les œuvres qu'elle veut imposer, réclamatrice d'affection, mais de révérence.
Il est temps de faire face non plus à la signification précise réelle du mot culture – celle d'un ensemble d'œuvres données pour exemplaires ; mais à la coloration particulière qui est donnée actuellement à ce mot et qui a réussi à transformer non pas seulement le mot mais la notion elle-même dans l'esprit du public. Le mot de culture ne signifie plus à cette heure l'ensemble d'œuvres du passé proposées pour références, il signifie bien autre chose. Il est associé à une militation, un endoctrinement. Il est associé à tout un appareil d'intimidation et de pression. Il mobilise le civisme, le patriotisme. Il tend à fonder une sorte de religion, de religion d'Etat. Il fait une énorme part à la publicité, au point que la publicité – la plus insipide, la plus grossière – se trouve maintenant impliquée dans la production d'art à un tel degré qu'un déport se produit dans l'esprit du public. Celui-ci se trouve convié à révérer non pas la création d'art mais le prestige publicitaire dont bénéficient certains artistes. Il ne lui vient pas à la pensée de s’enquérir des œuvres mais seulement des voies publicitaires qui les véhiculent.
Les artistes eux-mêmes, et pas seulement le public, sont modifiés par la valorisation de la publicité à laquelle travaille la propagande culturelle. Ils sont eux aussi conduits à penser que la publicité prévaut sur le contenu de l’œuvre. Et ils sont conduits à subordonner, non plus la publicité à la nature de l’œuvre une fois celle-ci faite, mais l’œuvre elle-même, au moment de la faire, à la publicité à laquelle elle se prêtera à donner lieu.
Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, 1968

samedi 13 juillet 2019

Pour ne jamais l'oublier


les yeux trouillés à l'insomnie
larmes trop aiguisées par le combat
fenêtre ouverte sur la rue pour nos chats
je coupe les mots avec le café
le jour se lève sur la France
un siècle qui nous semble bien plus court
au fameux cimetière de nos amours
moi aussi je connais la danse 
le sourire des filles ne me fait plus rien 
depuis qu'il n'y a plus d'étoiles dans le ciel
mais ces notes entêtantes de piano
mais cette femme 
aux cheveux déjà blancs
avance son téléphone offert à tous
comme le font les adolescents
sous la fenêtre une ombre lumineuse
elle chante à tue-tête
plus belle que ces filles aux lèvres pulpeuses
A nos amours
à peine tombée des bras de son amant
pleure-t-elle les hommes perdus
ailleurs nous sommes déjà vus
je chante avec elle 
parce que vieux et fou
je sais qu'un jour 
moi aussi je l'aimerai 
et la quitterai
pour ne jamais l'oublier

Charles Brun, Je sais plus dans quoi





jeudi 11 juillet 2019

On va s'arranger avec le stock

Gérard Depardieu sort de Cyrano, Jean Carmet de Bouvard et Pécuchet – manque Marielle, merde…
Et un matin – ne me demande pas lequel, je n'en sais rien et m'en moque – au pied du lit, durant un entretien filmé, et en attendant la charcuterie…



mardi 9 juillet 2019

Habiter le monde


Il y a quelques années, on demandait à Jean-Paul Dubois ce que représentait la littérature pour lui.
« J'adore les bouquins de John Updike, par exemple. Il était doté d'une compréhension du monde supérieure à la moyenne… mais ça ne l'a pas empêché de mourir d'un cancer comme un imbécile. Ecrire est un moyen de gagner ma vie. Et je n'ai pas plus d'importance sur Terre à cause de mes livres. C'est un boulot de longue haleine de se construire une vie qui ne mène à rien », répondait-il.
Parce que la lecture de l'ami Dubois m'accompagne depuis de nombreuses années, que je sais pertinemment que cette activité mène encore moins à quelque chose, je me réjouis d'apprendre que j'aurai bientôt son nouveau roman entre les mains et qu'il aura au moins la fonction de rendre plus courtes mes insomnies. Extrait :
J’ai compris très tôt que mon père ne serait jamais un vrai Français, un de ces types convaincus que l’Angleterre a toujours été un lieu de perdition et le reste du monde une lointaine banlieue qui manque d’éducation. Cette difficulté qu’il avait à habiter ce pays, à le comprendre, à endosser ses coutumes et ses us, déplaisait à ma mère au point que leurs conversations récurrentes à ce sujet ravivaient souvent d’autres points de friction. Malgré les seize années déjà passées en France, Johanes Hansen restait un irréductible Danois, mangeur de smørrebrød, un homme du Jutland du Nord, raide sur la parole donnée, l’œil planté dans le regard de l’autre, mais dépourvu de cette dialectique gigoteuse en vogue chez nous, si prompte à nier les évidences et renier ses engagements. De son pays d’accueil, il aimait par-dessus tout la langue qu’il utilisait avec un infini respect et une grande justesse gramma-ticale. Pour le reste, il semblait avoir les pires difficultés à trouver une vie à sa taille. Il disait souvent que de toutes les nations qu’il connaissait, la France était le pays qui avait le plus de difficulté à s’appliquer à lui-même les vertus républicaines et morales qu’il exigeait des autres. Surtout l’égalité et la fraternité. « Avec leurs couronnes de privilèges, vos présidents et vos petits marquis ressemblent tellement plus à des rois que notre pauvre reine Margrethe II ». C’est ce qu’il aimait souvent répéter à table pour éperonner ma mère. Il avait également beaucoup de mal avec l’arrogance, l’aptitude au mensonge et la déloyauté qu’il disait voir ruisseler de nos gouvernements. Quant à nos hommes politiques, il ne pouvait les imaginer que barbotant dans les thermes de la corruption et de la compromission. Anna coupait alors court à ce cortège de reproches. « Mais alors, pourquoi vivre ici ? Tu es libre de rentrer chez toi ». Mon père ne répondait jamais rien, mais, tous, nous entendions le timbre de sa douce voix : « Mon fils est ici et je t’aime ».
Jean-Paul Dubois, Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon,
éd. de l'Olivier, parution le 14 août

dimanche 7 juillet 2019

Hommage à la poésie


Le type, une dégaine de vieux cocker battu, se présente comme poète. Il a souvent travaillé avec notre hôte musicien. Un opéra-rock il y a quelque temps. Et plus récemment, un poème de 9 minutes mis en image et en musique, qu'il présentera en octobre prochain dans la ville voisine qui rend hommage à sa poésie. Il fait office de conseiller culturel dans ce qui constitue l'une des rares municipalités de droite du 93. Auparavant, il a exercé ces mêmes fonctions durant des années dans une autre ville de la banlieue sud, communiste celle-ci. Mais sans jamais avoir eu besoin de prendre la carte, ou devenir fonctionnaire, de ça il est fier, bien qu'il se dise homme de gauche. Plus je l'écoutais, plus j'avais soif. C'est surtout des créations pour faire de l'argent qui a amené ces deux-là à beaucoup travailler ensemble. A une époque, il avait une sacrée réputation. On l'appelait. On a ce budget, tu peux nous concevoir quelque chose ? Parce que notre interlocuteur au regard canin, autodidacte, ancien typographe, se dit aussi concepteur – événements, expos, livres d'artistes. Ses principaux clients, des entreprises telles que la Générale des eaux, des agences de communication… Pour le lancement de Vivendi, ils en ont palpé. Ça avait créé des jalousies, chez les gens de Canal notamment, mais c'est à lui qu'on avait fait appel pour la grande soirée à Mogador avec Messier et cie. Une belle réussite. Et dernièrement, lorsqu'il concocta ce grand événement autour de la planète Mars, il eut cette idée lumineuse de faire entrer sur scène trois Ferrari en hommage à l'astre rouge. Aujourd'hui, à bientôt 80 balais, il pourrait parfaitement profiter de son jardin, de ses petits-enfants et de ses chats, mais brûle encore en lui, dit-il, le feu de la création, qui le pousse à distiller toujours ses conseils culturels, ne jamais rater le Printemps des poètes, et à organiser des concours de poésie et des ateliers d'écriture. La collectivité territoriale, reconnaissante, financera la soirée hommage dans un petit resto associatif bien sympathique. Pour services rendus, dit-il non sans une certaine modestie, sa poésie sera enfin mise en avant, ce qu'il, par déontologie, s'était jusqu'ici gardé de faire. Avant de disparaître en Uber, il a balancé, accompagné par un bœuf batterie-guitare, quelques vers personnels et conclu par un standard de Vian, le tout malheureusement démoli par une balance mal réglée. J'ai encore mal dormi.

samedi 6 juillet 2019

La vie, l’amour, la mort



Il y a quelques jours, France culture diffusait une heure d'émission consacrée à Jacques Higelin. Si l'on parvient à surmonter une nouvelle prise de parole de l'impayable Goupil, on se délectera de celle du grand Jacques, et du témoignage de quelques uns de ses proches et collaborateurs.
C'est donc, si l'on peut, à écouter ci-dessous ou à télécharger ici.

vendredi 5 juillet 2019

Le nom des gens


– Tu connais le nom du Directeur Général de Calmann-Lévy, maison qui autrefois publiait Flaubert, Stendhal, Balzac, Hugo et qui aujourd'hui édite Laurent Gounelle, Guillaume Musso, Laurent Baffie, Michael Connely, Patricia Cornwell, Donna Leon, Eric Dupont-Moretti, Alex Vizorek, Philippe Vandel…, ce gars qui achète des « auteurs » comme d'autres achètent des footballeurs, un type qui est chevalier de la Légion d'honneur et des Arts et Lettres, qui a créé récemment la Fondation pour l'écriture après avoir été à l'origine du Labo des histoires…, tu sais le nom de ce mec ? Robinet. Philippe Robinet.

jeudi 4 juillet 2019

Autour de minuit

Brassaï


A minuit, je sucre des fraises
J'ai la feuille de vigne embrasée
Je me lève, je pèse mon pèze
Rue Saint-Denis, y'a bon baiser

Pas besoin d'être une sorcière
Pour avoir un manche à balai
J'en ai un qui me dit Poussière !
Tu iras où je veux aller

Il me nargue, il me tarabuste
M'enfournant dans ses réacteurs
Ce relatif petit arbuste
S'enracine au fond de mon cœur

Que désigne-t-il cet index
Pointé toujours vers l'azimut
Comme si le ciel avait un sexe
Comme si Dieu même était en rut?

Alors à minuit, moi je mange
De la femme avec mon bec tendu
Oui, j'en mange comme on se venge
D'être un ange trop mal foutu

D'avoir là, sous cette ceinture
Ah non, ça n'est pas élégant !
D'avoir là, qui dure, qui dure
Ce doigt borgne obsédé de gant

A minuit, je mange de l'homme
C'est mon métier, c'est mon destin
C'est comme du sucre de pomme
C'est mon sentier, c'est mon festin

A minuit je mange du jouine
Et du vieil, et de l'entredous
Je suis une groigne, une fouine
Un, un, je les mangerai tous

A minuit, je mange mon fils
Et mon père et le chancelier
Le sang tout blanc du maléfice
A faim de se multiplier

Les hommes naissent sur les berges
Du val de morts, dans tous les choux
Rouges, dans le genou des vierges
Comme du blé, comme des fous...

Alors à minuit, moi je mange
De l'homme, je croque grandes dents
Je bouffe le ruban orange
Et les souvenirs obsédants

Je mange la tête et le foie
Le jeu, le crime, le devoir
J'ouvre bien ma gueule qu'on voie
Que dedans nul ciel n'est à voir

Claude Nougaro/Jacques Audiberti