jeudi 16 mai 2024

Dérivatif

 

Ray Rapkerg

 

Qu'exigeons-nous du ventre d'une femme, sinon le plus somptueux dérivatif à notre misère d'être au monde ?

 

André Hardellet, Lourdes, lentes..., Gallimard

dimanche 12 mai 2024

Plus que la pluie

Betty Spann

je voilais tous les mots que tu attendais
avant la dérobade
histoire de me croire
vivant
de faire le malin
fier de ma solitude
de ce que nous nommions liberté
 
les chats font leur toilette
devant les cadavres rouges
la sueur coule le long de mes doigts
et l'enthousiasme de ta présence
notre sang mêlé pour l'éternité
disais-tu

libérés d'une armée de projets

sous nos ordres

hier encore
tu évoquais cette mélodie andalouse
un chant d'honneur et de gloire
et le destin de cette femme irlandaise
ou suédoise

dont tu ignorais désormais le nom
morte sur une plage du nord
le temps nous fuit

tu refermes le livre
et jures de ne jamais plus
lire de romans
ou de ne plus voter
je n'entends rien à ta poésie
de là où je suis et l'état
dans lequel tu voudrais
ne pas me laisser

allons nous recoucher
dis-tu
comme de vieux rockers ridicules
et sans dieu
quelque chose comme ça
c'est bien plus que la pluie
plus qu'un adieu




charles brun, plus qu'un adieu



mercredi 8 mai 2024

Lettre d'un naufragé

Sune Stigsjöö


 

A 26 ans, Stig Dagerman désespère, considère qu'il a perdu sa magie. Il ne croit plus à son talent littéraire, encore moins journalistique. Ecrire le dégoûte et il peine à terminer son roman, le dernier, Ennuis de noce. Dans une lettre adressée en octobre 1949 à son ami, soutien et éditeur Ragnar Svanström, Dagerman évoque le désarroi qui va le conduire au silence, puis à la mort.

(…) Si jeune et déjà si naufragé – c'est une attitude ridicule, si c'est une attitude. Mais je suis si radicalement épuisé et je ne me défais pas du sentiment que quelque chose est perdu. Il me paraît incroyable d'avoir, il n'y a pas si longtemps, été capable de formuler une phrase originale, d'assembler des mots possédant un certain rayonnement. Je suis jaloux de celui que j'étais jadis. Maintenant chaque page me fait l'impression d'une épreuve d'imprimerie, d'une collection de subordonnées sans importance. Et, s'il m'arrive de croire que j'ai quelque chose à dire, cela se fane dès que je le mets sur le papier. Si c'est passager– pourquoi est‑ce que cela dure aussi longtemps? Et si ce ne l'est pas- pourquoi alors continuer à faire semblant de croire qu'il y a de l'espoir? Je n'ai plus ressenti la joie d'écrire depuis Où est mon chandail islandais ? Cette année stupide passée en France a peut‑être eu de bien fâcheuses conséquences (…) Où est ce chemin que je cherche partout ? Des pays étrangers, un nouvel amour, un dieu ? (…)

 

Stig Dagerman, Lettres choisies,
trad. Olivier Gouchet, Actes sud, 2024



samedi 4 mai 2024

Comme un écrasement


Paul Ginoux

 

On peut écrire, et l’on écrit ;
On peut se taire, et l’on se tait.
Mais pour savoir que le silence
Est la grande et unique clef,
Il faut percer les symboles,
Dévorer les images,
Ecouter pour ne pas entendre,
Subir jusqu’à la mort
Comme un écrasement
Le poids vivant de la parole.

 

Armel Guerne, Le poids vivant de la parole