samedi 28 avril 2018

Comme quoi...


Le scénario avait été écrit dix ans auparavant, une affaire de famille, le film entré en production à cette époque, puis abandonné, nouvellement remis à l'ordre du jour une ou deux fois, rejeté, transformé en un autre film, repris après, et puis ce fut la rencontre exceptionnelle avec la débutante interprète, le tournage tout juste pas fauché, arrêté un an, repris avec encore moins d'argent, le long montage, la sortie et le plus grand succès du cinéaste — comme quoi... Quelques jours plus tard, au micro de Claude-Jean Philippe, Maurice Pialat revient, sans aucune complaisance et presque pas d'amertume, sur l'aventure de son film A nos amours. C'était en 1983. Et cette nuit sur France culture. On peut, comme d'habitude, le podecaster sur le site de la radio ou l'écouter ici.






lundi 23 avril 2018

Prospection de futilités



Quand, à la devanture des librairies, nous ne verrons plus aucun roman, un pas aura été fait – peut-être en avant, peut-être en arrière… Du moins toute une civilisation fondée sur la prospection de futilités succombera. Utopie ? divagation ? ou barbarie ? Je ne sais. Mais je ne puis m'empêcher de penser au dernier romancier (…)
Ne soyons pas inutilement amers : certaines faillites sont parfois fécondes. Ainsi celle du roman. Saluons-la donc, allons même la célébrer : notre solitude s'en trouvera renforcée, affermie. Coupés d'un débouché, acculés enfin à nous-mêmes, nous pourrons mieux nous interroger sur nos fonctions et nos limites, sur l'utilité d'avoir une vie, de devenir un personnage ou d'en créer un. Le roman ? Veto opposé à l'éclatement de nos apparences, point le plus éloigné de nos origines, artifice pour escamoter nos vrais problèmes, écran qui s'interpose entre nos réalités primordiales et nos fictions psychologiques. Nous n'admirerons jamais assez tous ceux qui, lui imposant des techniques qui le nient, une atmosphère qui l'infirme, des exigences qui le dépassent, concourent à sa ruine, et à celle de notre temps dont il est à la fois la figure, la quintessence, la grimace…

Cioran, Au-delà du roman, in La Tentation d'exister (1956)

samedi 21 avril 2018

Dernières nouvelles du meilleur des mondes

Ce matin, en prenant mon café et avant de filer au travail, encore sonné par les textes de Prudon lus en pagaille hier soir par Bonnaffé et sa bande — vous avez perdu quelque chose ! —, je survolais ici et là, mais c'est pareil, les nouvelles, neuves et anciennes, divertissantes et louches, paupières encore collées, sans trop y croire. Entre mensonges, manipulation, paranoïa et bêtise généralisées, fake et check news, tout semblait merveilleusement important et harmonieux dans le meilleur des mondes, de la Corée du Nord qui se montre enfin raisonnable, à l'évacuation sans histoire de Tolbiac, en passant par la nouvelle compagne de Valls et le jeune chêne que Macron s'apprête à offrir à Trump.
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Manuel Valls, donc. L'homme qui rebondit. L'ancien maire d'Evry, sollicité paraît-il par Ciudadanos, parti centriste 2.0, serait actuellement en train d'étudier sérieusement la possibilité d'aller redresser l'Espagne en se présentant à la mairie de Barcelone, avec, bien entendu, derrière la tête (plate) l'idée (tout aussi plate) de faire la nique aux indépendantistes catalans. Ces gens-là, ça ose tout. Malin comme un vieux singe du cirque médiatico-politique, Manuel sait qu'il lui faut régulièrement se dénuder sous les sunlights. En début de semaine, le Catalan opportuniste annonçait en exclusivité à Paris-Match, qui n'a plus de Johnny à se mettre sur la couv', sa séparation d'avec Anne Gravoin, dont j'ignorais jusqu'ici l'existence, violoniste de son état, lis-je. Puis, quelques heures plus tard, le parfait petit Manuel révélait à un autre support publicitaire, VSD, que j'ignorais être encore en vie, son idylle avec Olivia Grégoire, inconnue à mon bataillon de professionnels de la profession, passée par la pub, les missions ministérielles, et aujourd'hui députée macronienne, porte-parole du groupe LREM et membre de la Commission des finances, et surtout, une dizaine d'années plus jeune que la musicienne, sacré Manu. Ici ou à Barcelone, l'inénarrable hurluberlu devrait bien s'entendre avec celle qui, nous dit-on, se définit elle-même comme un « Jack Russel et un bulldozer »...

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Sécurité toujours, avec l'arrivée en trombe des voitures-radars privées. Embarqués à bord de plusieurs centaines de véhicules banalisés, les radars flasheront désormais à tout-va sur les autoroutes et départementales, normandes dans un premier temps puis sur l'ensemble du bitume hexagonal. Le respect de la loi et du code de la route a donc été confié à une société privée filiale de Challancin, groupe sympathique et familial, spécialisé dans la sécurité et la propreté. D'autres boîtes devraient rapidement lui emboîter le pas pour se partager le gâteau national des excès de vitesse. Demain, comme on le sait, le privé se substituera entièrement à l'Etat qui, pour le moment, s'emploie à déchiqueter sans répit ce que l'on nommait encore hier le tissu social. C'était ça ou l'extrême-droite, nous n'avions pas le choix, souvenez-vous...
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Sécurité encore avec le démantèlement de la « Commune de Tolbiac ». Une opération rondement menée à l'aube par les forces de l'ordre musclées comme les aime Gérard Collomb, navigateur-en-chef et en eaux troubles. Une évacuation sans heurts donc. Mis à part, peut-être, un étudiant dans le coma après une chute provoquée par un policier, comme l'affirme le site Reporterre. Nouvelle que le service high-tech de Libé, « Checknews », s'est empressé de flouter, se contentant de mentionner le manque de preuves, et s'alignant sur le communiqué de la préfecture, le petit doigt sur la couture du pantalon d'uniforme policier : tout s'est déroulé dans le calme et sans incident, comme à Notre-Dame-des-Landes...
Plus le flux de l'info est contrôlé, plus on en sait moins. La majorité des médias concentrés a préféré se focaliser sur la dégradation des lieux par ces enfoirés de jeunes gauchistes et la facture dont l'ensemble des Français devront s'acquitter. Pas le souvenir de tels calculs après les frappes chirurgicales de notre pays en Syrie. En cherchant un peu, ailleurs sur la toile, un même chiffre revient pourtant : 16,3 millions serait le montant de l'opération française, sous les ordres de l'ami Trump et au nez et à la barbe des Nations-Unies. Démonstration de force qui semble avoir impressioné le joufflu dictateur nord-coréen qui affirme suspendre son programme nucléaire et se dit prêt à rencontrer son homologue amerloque.
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Dictature toujours avec ce magnifique cadeau de la France aux Etats-Unis. Dans le cadre de ce que l'Elysée qualifie de « Rencontre entre amis », Emmanuel Ier se rendra la semaine prochaine aux States avec maman et, dans le sac à main Vuitton de celle-ci, un jeune plant de chêne « symbolisant, dixit toujours l'Elysée, la force de la soumission des relations » entre la France et le pays de Mickey Donald. Cette bouture d'un chêne du Nord de la France sera, espère-t-on, plantée sur la pelouse de la Maison-Blanche. Au nom certainement des valeurs démocratiques que partagent ces pays amis.
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En voilà un qui, selon Le Figaro, a tourné la page, loin de la politique. Son nom, Françis Fillon. L'article est illustré par un portrait de l'ancien Premier ministre, et malheureux candidat aux dernières présidentielles, en costume (offert ?) de coureur automobile, posant sur un bolide aussi lumineux que son sourire de seigneur certain de piloter au-dessus des lois et d'échapper à une justice trop lente et laxiste avec les hommes de son extraction. Je n'ai pas lu le papier, réservé aux abonnés, et ne saurais jamais si Penélope lui sert de copilote ou si ses piges accaparent tout son temps précieux...


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Ce soir, à Montreuil, dans le cadre d'un hommage personnel et égoïste à Hervé Prudon, et en attendant la publication de poèmes inédits annoncée pour octobre ou le printemps prochain, j'ouvrirai une petite bouteille de vin naturel, histoire de ne pas trop brûler l'oesophage, et boirai en pensant sans modération à ce fabuleux amoureux de cette chienne de langue qui écrivait, peu avant de quitter notre planète chérie, sur l'un de ses nombreux cahiers noircis de verres sombres...
boire me fait prendre l’air
prendre le large prendre le temps : poser mon congé
et si je finis la bouteille
c’est par amour du vide
et parce que j’aime le goût de boire


vendredi 20 avril 2018

Le vendredi, c'est poésie


Je vous rappelle pour la dernière fois,
après ce sera trop tard,
l'hommage à Hervé Prudon
c'est ce soir

Olivier Roller
 
A 20H00
 Maison de la Poésie
Passage Molère
157, rue Saint-Martin
75003 Paris
01 44 54 53 00


La connerie, c’est comme partout, celui qui connaît pas, il a vite fait de se perdre et de s’enfoncer.

jeudi 19 avril 2018

Seul



bois seul
bouffe brûle fornique crève seul comme devant
les absents sont morts les présents puent
sors tes yeux détourne-les sur les roseaux
se taquinent-ils ou les aïs
pas la peine il y a le vent
et l'état de veille

Samuel Beckett, Poèmes, suivi de mirlitonnades, Minuit

samedi 14 avril 2018

C'est quoi, la poésie ?

 
David Dare Parker via flash of god


Je fuis généralement les colliers de coquillages, les dessins d'enfants, les cadeaux pour la fête des pères, toutes ces niaiseries qui sortent de mains dites innocentes, guidées par des enseignants peu scrupuleux et qu'il nous faut trouver merveilleuses. Hier, à la médiathèque, certainement concoctée à l'occasion du dernier Printemps des poètes, une affichette perdue entre deux affreuses peintures m'a donné envie d'aller faire la cuisine avec ma mère...

La poésie
- C'est quelque chose qui fait du bien, c'est la joie (Joachim)
- C'est comme dormir (Maëllis)
- C'est bien comme danser. C'est le bonheur (Nesrine)
- Des fois, c'est la tristesse. C'est comme une fontaine (Nina)
- C'est une écriture, c'est une musique. C'est des massages (Anis)
- C'est sortir au soleil (Sarah)
- C'est quand on va dehors et qu'on fait une bataille de boules de neige (Antonin)
- C'est le soleil (Maélia)
- C'est la mer (Lana)
- C'est des bisous (Lucas)
- C'est comme faire à manger avec sa maman (David)

vendredi 13 avril 2018

Collabos



Tout le monde est d’une certaine manière occupé et employé comme travailleur à domicile. Un travailleur à domicile d’un genre pourtant très particulier. Car c’est en consommant la marchandise de masse – c’est-à-dire grâce à ses loisirs – qu’il accomplit sa tâche, qui consiste à se transformer lui-même en homme de masse. Alors que le travailleur à domicile classique fabriquait des produits pour s’assurer un minimum de biens de consommation et de loisirs, celui d’aujourd’hui consomme au cours de ses loisirs un maximum de produits pour, ce faisant, collaborer à la production des hommes de masse. Le processus tourne même résolument au paradoxe puisque le travailleur à domicile, au lieu d’être rémunéré pour sa collaboration, doit au contraire lui-même la payer, c’est-à-dire payer les moyens de production dont l’usage fait de lui un homme de masse (l’appareil et, le cas échéant, dans de nombreux pays, les émissions elles-mêmes). Il paie donc pour se vendre. Sa propre servitude, celle-là même qu’il contribue à produire, il doit l’acquérir en l’achetant puisqu’elle est, elle aussi, devenue une marchandise.
Günther Anders, L'Obsolescence de l'homme (1956),
trad. Christophe David, éd. Ivrea/Encyclopédie des nuisances



jeudi 12 avril 2018

En dents de scie




La vieillesse vous arrache les choses une à une. C'est comme avancer à reculons à travers le temps où vous les acquériez une à une. La différence, c'est qu'alors vous pouviez fêter chaque nouveauté, mais que vous n'en aviez pas conscience. Maintenant, au contraire, la conscience vous suit comme une valise qui rebondit sur les marches derrière vous. Avec un petit écart de temps. Une cruauté en dents de scie.
Pour remplacer ce qui manque, il existe de minuscules prothèses, les nôtres ou celles d'autrui. Le fameux autre qui nous assiège toute notre vie (prochain, voisins, objets, instruments…), prend acte de la reddition et commence à s'engouffrer. Tout doucement nous nous entrelaçons.

Ginevra Bompiani, Pomme Z, éd. Liana Levi,
trad. Jean-Paul Manganaro

vendredi 6 avril 2018

Philosopher en musique et technicolor

Agnès Varda

Philosopher avec Jacques Demy, c'est ce que nous propose la semaine prochaine l'émission animée par Adèle Van Reeth sur France culture, « Les Chemins de la philosophie ». 
Lundi, Jean-Pierre Berthomé évoquera le premier long métrage de l'inimitable Nantais, Lola (1961). Mardi, la délicieuse et irremplaçable Camille Taboulay se penchera sur son paratonnerre, l'extraordinaire et en chanté Parapluies de Cherbourg, Palme d'or en 1964. Mercredi, Marc Cerisuelo s'attardera sur Les Demoiselles de Rochefort (1967) bel hommage à la comédie musicale hollywodienne et jeudi, Une Chambre en ville, dernier chef-d'oeuvre du maître (1982) sera abordé par Jean-Marc Lalanne. 
Mais, bordel, quid de Peau d'âne, Adèle ? 
A écouter et télécharger à la page de l'émission sur le site de la radio, ici-même.


mercredi 4 avril 2018

Touche salvatrice


Ernst Haas

Il paraît qu’au moment où la grande vague qui a dévasté une partie de la planète avançait tel un géant vers le rivage, les gens ne pouvaient rien faire d’autre que regarder immobiles et stupéfaits, perdant des minutes précieuses pour la fuite.
Cela ne me semble pas étrange. Si quelqu’un dans la chambre à côté, quelqu’un que je connais, entre à l’improviste, je sursaute. Alors que si une silhouette venue du néant, inconnue, impensée se matérialisait sur le mur, je resterais à regarder bouche bée.
C’est ce qui arrive avec les grandes vagues qui viennent dévaster notre vie, la changer, de continent en île, d’île en péninsule, de péninsule en désert. Et quand la vague est désormais à quelques mètres du rivage et qu’il n’y a plus de fuite possible, tu ne peux pas, comme sur le clavier, taper pomme Z et revenir en arrière, un instant plus tôt, quand la vague était encore lointaine et que tu pouvais fuir ou te mettre à l’abri et lancer l’alarme.
D’autre part, si c’était possible, si au lieu de la vie il n’y avait que ce clavier (comme cela arrive parfois, certains jours), et si tu pouvais vraiment, en tapant pomme Z, revenir un pas en arrière, où t’arrêterais-tu ? Peut-être pas au moment où tu as levé les yeux et où tu l’as vue avancer démesurée, menaçante, nouveauté sans remède, peut-être pas à ce moment où la fuite était encore possible, mais incertaine, peut-être taperais-tu à nouveau les touches et reviendrais-tu à cet autre moment de la matinée où tu devais décider entre aller à la plage ou te promener sur les collines (il y a quelques petits nuages, mais par ailleurs le ciel est entièrement bleu et les nuages ne sont qu’une frange éparpillée…)
Tu ne t’arrêterais pas à ce moment dangereux, où tout devait encore être décidé, mais où la mauvaise décision pesait avec l’insistance des démons pervers, non, encore un pas en arrière est plus sûr, tu reviens à cette nuit pleine de rêves imprévoyants, ou au soir précédent, à la mélancolie du soir, sans raison, à ton regard sur les autres, sans amour, sans pourquoi…
Ou peut-être ne t’arrêterais-tu jamais, parce que cette vague aura été soudaine, que sans doute mille circonstances, mille erreurs ne se seront pas liguées pour la gonfler, la fabriquer, la soulever au-dessus de ce rivage, mais se sont certainement liguées pour te fabriquer toi, pour te placer sur cette plage avec ce regard stupide, impuissant. Et tu déferais certainement un à un tous les moments conspirateurs de ta vie, en les voyant à chaque pas en arrière pour ce qu’ils ont été, un pas étourdi, malheureux, vers la plage. Et tu continuerais à taper sur la touche salvatrice, en reconnaissant un destin là où, toute ta vie durant, tu n’as vu qu’une avancée hâtive et distraite depuis le premier vide qui s’est créé en toi, quand tu t’es détaché et que tu as commencé à vagir.
Mais ne sommes-nous pas tous ainsi ? Ne voudrions-nous pas tous revenir en deçà du point de non-retour, même si nous ne savons pas lequel ?

Ginevra Bompiani, Pomme Z, éd. Liana Levi,
trad. Jean-Paul Manganaro

mardi 3 avril 2018

Aucune importance

Elliott Erwittvia Oddities

Bien que cela ne revête finalement aucune importance, je me demande qui des quelques personnes ayant réellement compté pour moi ou des pauvres malheureux pour qui j'ai un jour compté ont été les plus nombreux dans ma piètre existence.

Charles Brun, Désinscriptions de comptoir