jeudi 30 décembre 2021

Les règles du jeu



 

Je ne veux pas continuer à être celui que je ne suis pas.
Je
ne veux pas me rappeler ce que justement tu oublies.
Je préfère que tu ne sois pas là plutôt que de te savoir partie.
Je
ne veux pas que tu m'expliques ce que tu as voulu dire.

Je me contente de bien plus que ce que je mérite.
Je
ne veux pas que la mort me surprenne à l'attendre.
Je
ne veux pas retourner sur les lieux que j'ai fuis
pour y chercher les raisons qui m'ont poussé à partir.

Je ne veux pas dire ce que tu veux que nous entendions.
Je
ne veux pas être ta dernière cartouche.
Je ne veux pas de longues journées qui ne nous mèneraient pas assez loin
ni être seul dans un lieu où il y aurait toujours quelqu'un d'autre.

Je veux pouvoir sortir sans susciter de soupçons.
Je
ne veux pas me demander ce que ça aurait pu donner.
Je ne veux pas découvrir qu'il y a des années
que je n'ai rien fait pour la première fois.

Je ne veux pas que les choses en restent là où elles étaient.
Je
ne veux pas le secret que tu gardes pour moi.
Je veux qu'au réveil tu te rappelles ce dont j'ai rêvé.
Je
ne veux pas qu'il nous reste encore du temps à perdre.

Je ne veux pas que tu m'expliques de quoi il retourne.
Je
ne veux pas que nous ayons à nous résigner.
Je
ne veux pas que les prophéties se vérifient
que les choses se déroulent comme prévu.

Je ne veux pas que nous ayons plus de mots qu'il n'en faut
et que le premier venu dise ce que j'ai voulu taire.
Je
ne veux pas voir le verre à moitié plein.
Je
ne veux pas imaginer que ça aurait pu être pire.

Je veux juste
savoir que parmi tous les autres c'est moi que tu choisirais.


Benjamín Prado, Acuerdo verbal,
trad. maison

 

lundi 27 décembre 2021

Pieds nus

 

Rollie McKenna

 

M'aimer déchaussée
c'est aimer mes longues jambes brunes,
ces deux amours, aussi bonnes que des cuillères,
et mes pieds, ces deux enfants
sortis jouer nus. Bosses complexes,
mes orteils. Enfin libres.
Et quoi d'autre, voir les ongles et
les articulations préhensiles des jointures
et les dix montants, de souche en souche.
Tout animé et sauvage, ce petit
cochon s'est rendu au marché et cet autre s'en est resté.
De longues jambes brunes et de longs orteils bruns.
Plus haut, mon chéri, la femme
y convoque ses secrets, des petits abris,
petites langues qui te racontent.

Il n'y a personne d'autre que nous
dans ce nid sis sur une langue de terre.
La mer porte une clochette incrustée dans son nombril.
Et je suis ta nana aux pieds nus
pour une semaine entière. Tu aimes le salami ?
Non. Tu ne préférerais pas un scotch plutôt ?
Non. Tu ne bois pas d'alcool en fait. Mais moi
tu me bois. Les mouettes tuent des poissons
en hurlant comme des enfants de trois ans.
Les vagues, aux vertus soporifiques, crient
Je suis, je suis, je suis
toute la nuit durant. Pieds nus
je pianote sur ton dos de haut en bas.
Le matin je cours d'une porte à l'autre
de la cabane en jouant à chat perché.
Maintenant tu m'attrapes par les chevilles.
Tu remontes le long de mes jambes
et me transperces là où j'ai le plus faim.

 

Anne Sexton, Tu vis ou tu meurs, œuvres poétiques (1960-1969),
trad. Sabine Huynh,
éd. des femmes-Antoinette Fouque, 2022

vendredi 24 décembre 2021

Monsieur mien


Hasisi Park

 

 

Remarquez comme il a numéroté les veines bleues
de mon sein. En plus il y a dix grains de beauté.
Maintenant il va à gauche. Maintenant il va à droite.
Il construit une ville, une ville de chair.
C'est un industriel. Il a connu la faim dans des caves
et, messieurs dames, il a été brisé par le fer,
par le sang, par le métal, par l'acier,
triomphant de la mort de sa mère. Mais il repart.
Maintenant il me bâtit. Il est consumé par la ville.
A partir de planches glorieuses il m'a érigée.
A partir du béton merveilleux il m'a moulée.
Il m'a donné six cents plaques de rue.
La fois où j'ai dansé il a construit un musée.
Il a construit dix rues quand j'ai bougé dans le lit.
Il a construit un échangeur quand je suis partie.
Je lui ai donné des fleurs et il a construit un aéroport.
En guise de feux de signalisation il a distribué des sucettes
rouges et vertes. Pourtant dans mon cœur je dis : allez-y mollo les enfants.

 

Enfin, et donc for the first time, viennent d'être traduits les quatre premiers recueils d'Anne Sexton sous le titre Tu vis ou tu meurs (référence à l'Herzog de Bellow qui ne vous aura pas échappée). Le boulot semble remarquable sous la plume de la traductrice Sabine Huynh pour qui, nous dit-on, il s'agit de l'œuvre d'une vie, rien que ça. C'est aux éditions des femmes-Antoinette Fouque et, patience, dans toutes les bonnes librairies dès le 13 janvier prochain. On y reviendra. D'ici là, le taulier de ce blogue souhaite à tous les lecteurs égarés par ici d'excellentes fêtes de fin d'année. Dans la mesure de l'impossible, bien entendu.

mardi 21 décembre 2021

Si je vous disais la vérité...

Izis


 

Lorsque vous possédez tout, le reste n'a plus aucune importance.

 

Nous finissons par ressembler à tout ce que nous ignorons.

 

Si je vous disais la vérité, je vous mentirais.

 

Certains morts nous apprennent à vivre.

 

Ce qui nous tue vraiment nous rend également plus forts.

 

Ne faites jamais confiance à quelqu'un qui ne ressemble pas à ses paroles.

 

 

Benjamín Prado, Pura lógica,
trad. maison

vendredi 17 décembre 2021

Et pourtant…

Gilles D'Elia



 

J'aimais moi aussi regarder dans les miroirs.
Jusqu'au jour où j'ai compris ce que signifie partir
« Comme le doit tout corps ». Il ne sert à rien de protester.
Les gens âgés le savent, c'est pourquoi ils se taisent.


***

 

Le sublime, c'est s'exposer délibérément sans défense aux moqueries. 

 

 ***

 

La différence n'est pas grande entre une poésie dans laquelle un « moi » se raconte et une poésie qui « chante les dieux et les héros » car, dans les deux cas, des créatures mythifiées constituent l'objet de la description. Et pourtant…

 

***

 

Ils veillent à tout sauf au plus important
Ils courent comme s'ils croyaient qu'ils vivront éternellement
Et chacun est à ses propres yeux précieux
Et chacun s'estime unique.


***

 

La poésie, comme tout art, est une tare qui rappelle aux sociétés humaines que nous ne sommes pas sains même si nous éprouvons quelque difficulté à l'avouer.

 


Czeslaw Milosz, Le Chien mandarin,
trad. Laurence Dyèvre,
éd. Mille et une nuit/Fayard

mardi 14 décembre 2021

Nécessité

Les indispensables éditions de l'échappée ont eu l'excellente idée de republier le roman du Chilien Manuel Rojas, Fils de voleur, paru en 1951 et qui marque un tournant dans la littérature sud-américaine. Roman éclaté d'apprentissage, de débrouille, de la marge, de la précarité et du voyage, politique bien entendu, tendance anar, profondément sincère et remuant. Extrait :

Mes parents étaient nomades. Non nomades de la steppe, mais nomades des villes, errant de cité en cité et de république en république. Ils appartenaient aux tribus qui préférèrent les troupeaux aux clôtures maraîchères, et les joies de la mer à celles de l'artisanat. Tribus qui résistent encore, avec des fortunes diverses, à la journée de huit heures, à la rationalisation du travail et à toutes les règles de transit international, choisissant des travaux – simples, compliqués ou dangereux– qui leur permettent de conserver leur coutumes et de vagabonder dans les deux hémisphères ; tribus de pélerins souvent maudits, dont on envie la liberté et auxquels l'on ferme peu à peu toutes les routes… 

Sur sa route, justement, à sa sortie de prison plus précisément, notre jeune héros, Aniceto, fait notamment la connaissance d'Echevarría, un prolo errant qui le prend sous son aile et lui enseigne quelques rudiments de survie.

…Moi, on m'appelle le Philosophe, non que je le sois, simplement parce qu'il me prend parfois de terribles envies de parler : je sens une sorte de fourmillement sur les lèvres, des crampes dans les muscles mandibulaires, et le seul remède est de parler, et je parle. Les gens croient que celui qui parle beaucoup est intelligent : erreur, mais les gens vivent d'erreurs ; et comme je parle toujours de l'homme et de son destin, on m'appelle le Philosophe.

(…) Avez-vous essayé d'imaginer ce qui se produisit lorsque l'homme découvrit que l'on pouvait faire cuire les aliments et manger chaud ? Il signa sa sentence d'esclavage éternel. Finie la vie au grand air, les voyages, l'espace, la liberté. Il devint nécessaire de maintenir le feu et de chercher un lieu adéquat pour cela (…) L'homme se mit la corde au cou et la femme devint esclave de la cuisine. La coutume de manger des aliments cuits au lieu de crus entraîna la chute des dents. Néanmoins, tout parut préférable aux pommes de terre ou à la viande crues, et non sans raison…

Et notre héros de poursuivre de la sorte :

En moi, tout s'incrustait : les larmes et les rires, les paroles dures et les mots tendres, l'expression sereine, le geste violent, la pitié des uns, la colère ou le mépris des autres, ce regard et ce sourire, et je devais demeurer là où j'étais et attendre. Attendre quoi ? Rien, rien de défini. Attendre, sans plus, attendre que le temps passe. Tout le monde attend ceci ou cela, le ridicule ou le grandiose, le vrai et le faux, le petit et le grand, ce qui arrivera et ce qui ne viendra pas, ce qui peut arriver, ce que l'on mérite, ce que l'on ne mérite pas. Les êtres vivent dans l'attente et meurent attendant, sans que rien n'arrive sinon la mort que l'on n'attend jamais. Nul n'a dit la veille de sa mort : « Voilà ce que j'attendais », personne ne l'a reçue de plein gré. Certains, il est vrai, n'attendent pas, et d'autres n'attendent qu'à moitié, ne font qu'à demi-confiance à la Providence et donnent un peu d'eux-mêmes, travaillent, suent, veillent, luttent, mentent même, volent et assassinent, salissant ainsi et ce qu'ils attendent et ce qu'ils reçoivent.

Personnellement, rien ne m'incitait à faire ceci plutôt que cela. Je travaillais pour manger et mangeais pour vivre. Nécessité, voilà tout. Je n'attendais rien. Il n'arriverait rien : ma mère était morte, mes frères dispersés et mon père purgeait au fond d'une geôle une peine indéfinie (…) Je ne vivais pas d'espoir mais de besoins – donnez-moi à manger et un toit et gardez vos espoirs – peu de besoins, mais des besoins urgents, et il en était pareil des gens qui m'entouraient : de la nourriture même sans abondance, des vêtements même sans élégance, un gîte même sans luxe, n'importe quoi pourvue que je n'aie plus faim, que je ne crève plus de froid et que les passants ne regardent plus mes souliers percés, mes cheveux longs, mes pantalons en loques et ma barbe d'un mois…

 

(traduction de Robert Lorris, qu'on aurait peut-être aimé voir dépoussiérée…)



samedi 11 décembre 2021

Avenir facultatif

Ibai Acevedo

 

Les esprits lucides, pour donner un caractère officiel à leur lassitude et l'imposer aux autres, devraient se constituer en une Ligue de la Déception. Ainsi réussiraient-ils peut-être à atténuer la pression de l'histoire, à rendre l'avenir facultatif...

 

Cioran, Syllogismes de l'amertume, 1952

vendredi 10 décembre 2021

Chronique d'une mort annoncée

Henry Nicholls

 

À moins d'un changement de cap, la civilisation mondiale sera devenue d'ici à quelques années une dystopie de surveillance postmoderne, à laquelle seuls les plus habiles auront une chance de se soustraire.
Julian Assange, Menace sur nos libertés,
éd. Robert Laffont

 

 

A l'occasion de la célébration de la Journée de droits de l'homme, et faisant fi de l'état de santé de Julian Assange, la justice britannique annonce qu'elle décide d'annuler le refus d'extrader le fondateur de Wikileaks vers les Etats-Unis où il risque une peine de 175 années de prison. Encore une belle victoire pour nos démocraties.

vendredi 3 décembre 2021

Donner le change

 

Ed Van Der Elsken

 

ils ne se touchent plus
l'homme, oubliant son état,
abandonne la table de la cuisine sur laquelle
stupidement
il a posé
tous les volumes
d'un de ces auteurs tant fêté dans sa jeunesse
peut-être espérait-il comprendre ce qui dans ces textes l'avait davantage ému que le corps de la petite pin-up
qui s'était offert à lui
un jour pluvieux et froid comme celui-ci devant un film de lubitsch dans un cinéma du quartier de la fac.
 
au prix d'un effort presque démesuré,
il se colle à la fenêtre et observe
essoufflé,
filer les dernières heures de cette journée d'automne.
hier, je suis parvenu à prendre une douche et ce matin à me raser
le cœur gros, se dit-il…
d'où vient cette expression ?
lorsqu'il est monté à la salle de bains après son café
il l'a senti s'emballer dans sa poitrine.
vais-je vomir cette vie médiocre
la voir défiler sur le plancher, filer le long de l'escalier ?
tout est rapidement rentré dans le désordre de son existence.
pas de quoi, cette fois-ci, en faire une histoire.
 
il n'avait pas senti les larmes monter face au miroir.
l'épiderme et ses recoins
masqués par le savon à barbe,
il pouvait donner toujours le change,
mais
pin-up, femmes mariées ou veuves joyeuses avaient perdu de leur intérêt.  
j'aime cette femme et j'attends son retour. 
la chlorophylle s'amenuise et les feuilles du platane des voisins recouvre
d'un jaune sans grand éclat ce qu'il perçoit du jardin.
hier la lumière invitait à la sortie, j'aurais dû en profiter, me forcer.
là, je ne suis que frissons et inertie
déambulations fantomatiques dans la maison vide.
il doit rejeter
immédiatement 
ces délectations moroses
de gamin,
ce n'est pas encore
pour aujourd'hui.
 
et quand bien même,
la chienne,
n'est-ce pas la première fois qu'il peut enfin l'envisager
tranquillement

grâce à cette femme et à cette maison ?

 

charles brun, pas de quoi en faire une histoire

mardi 30 novembre 2021

Le temps des cerises



Alva Bernadine

 

 

Le gai rossignol le merle moqueur
M'ont tout déchiré dans les aubépines
Le gai rossignol le merle moqueur
Ont gâché ma vie m'ont saigné le cœur
Je les tuerai d'un coup de carabine. 

J'aimerai toujours les dents de Cerise
Quand elle sourit cruelle souris
Nous eûmes ensemble un printemps pourri
L'amour en est mort l'alcool me dégrise
J'aimerai toujours les dents de Cerise. 

Quand vous en serez au temps des cerises
N'hésitez jamais partez vers le Nord
Où la cerise est inconnue encore
Quand vous en serez au temps des cerises
N'hésitez jamais bouclez vos valises. 

C'est de ce temps-là que je garde au cœur
Une rose en fil de fer barbelé
Cerise de sang qui m'a désolé
C'est de ce temps-là que je garde au cœur
Jusqu'à la garde un couteau de piqueur. 

Il est effrayant le temps des cerises
J’aime mieux l’hiver la neige et la bise
Il est effrayant le temps des cerises
Où je vais tout seul sur un chemin blond
Comme elle tout seul comme un pauvre con.

 

 

René Fallet,
in Dix-neuf poèmes pour Cerise,
Denoël



mardi 23 novembre 2021

Errata

 

Martin Bogren

 

Où il y a neige
lisez morsures des dents d'une vierge
Où il y a couteau lisez
tu as traversé mes os
comme un sifflet de policier
où il y a table lisez cheval
Où il y a cheval lisez mon ballot d'émigrant
Les pommes laissez-les des pommes
Chaque fois qu'un chapeau apparaît
pensez à Isaac Newton
en train de lire l'Ancien testament
Supprimez tous les blancs
Ce sont des cicatrices provoquées par les mots
que je n'ai pas eu le courage de dire
Cachez du doigt chaque lever de soleil
Sinon il vous aveuglera
Cette sacrée fourmi remue encore
Restera-t-il assez de temps pour dresser la liste
de toutes les erreurs à corriger
mains fusils hiboux assiettes
cigares étangs bois et d'en arriver
à cette bouteille à bière ma plus grave faute
le mot que je me suis permis d'écrire
Alors que c'est son nom à elle
Que j'aurais voulu hurler

 

 

Charles Simic, Démentèlement du silence,
trad. Mary Feeney et Madeleine Follain,
éd. Rougerie

 

vendredi 19 novembre 2021

La fin dans le monde


j'ignore comment est arrivé
le relâchement
les premiers échanges sont
pourtant
en ma faveur
fidèle à mon style
discret
je prends les initiatives
ne baisse jamais la garde
vole comme une abeille
fais bonne impression
j'esquisse mon swing
esquive gauche et droite
sautille autour
de l'adversité
la pousse
dans les cordes
à son retour
j'encaisse sans broncher
les attaques au thorax
au plexus
sans perdre la foi
les crochets à l'estomac
je reste droit dans mes bottes
devant les directs du gauche
j'emporte au poing
la carne de boucher
parade
fais le beau
saillir les muscles
mon cinéma
ça jubile autour
entendiez-vous ces rumeurs de satisfaction
ces clameurs qui effacaient la peur ?
j'en ai rêvé
du dernier tour de piste
porté en triomphe
sorti de l'ombre
pour son cœur et ses mirettes
qui ne reconnaissent que les vainqueurs
je ne sais comment est venue
progressivement ?
l'inattention
l'humiliation
la demi fraction
du battement d'aile d'un papillon
défiant la suspension
projetant ma défaite
l'abaissement
la vie est mal faite
l'air de rien
progressivement
tout se dérègle
le sang coule le long de
l'avenue de l'affliction
au son de la cloche
je retrouve mes esprits
j'ouvre l'œil collé au tapis
et mesure le carnage
vidé
évacué vers la sortie
trop tard
circulez
restait tout à voir
compté dix
fin de partie


 

charles brun, la fin dans le monde

lundi 15 novembre 2021

25 boulevard Beaumarchais


« C’est là que j’ai commencé à photographier, que j’ai appris la lumière, les ambiances, la lumière directe, le contre-jour, la mise en scène de mes modèles dans tous les coins de l’appartement, les perspectives, et où est née cette passion pour les maisons, les lieux, qui deviennent des décors, comme s’ils appartenaient plus à un monde de fiction qu’au réel.»
L'amie Carole Bellaïche propose à partir de jeudi prochain une déambulation dans les pièces de l’appartement parisien du boulevard Beaumarchais dans lequel elle a passé enfance et adolescence et effectué ses premiers pas de photographe. 

 


Des cartons entiers de tirages et de négatifs couleur et noir et blanc ont survécu aux déménagements et autres aléas de la vie. L'exposition sera composée de recherches personnelles, quelques pages d’albums et les clichés de modèles recrutés sur les bancs du collège ou dans la rue, ainsi que quelques uns des comédiens que Carole Bellaïche fit venir dans l'appartement familial l'éminente photographe travaillera longuement pour Les Cahiers du cinéma 
Un beau livre publié par les éditions Revelatoer accompagne cette exposition.
 
 Galerie XII
14, rue des Jardins Saint-Paul
75004 Paris
01 42 78 24 21

mercredi 10 novembre 2021

Eperdument

 


C'est parce qu'il est subjugué par le film d'Agnès Varda – et par son interprète féminine– que René Fallet, Prix du roman populiste pour sa trilogie de débutant, et qui était autre chose que le pote de Brassens, baptise son journal intime, Journal de 5 à 7.  Pages restées, comment est-ce possible?, inédites. Les éditions des Equateurs parent à cette incongruité et il y a de quoi se régaler.  



Lu L'Épopée de la revolte, paru chez Denoël. La chanson de gestes de l'anarchie. Le communisme a tué l'anarchie. Il y a du bourgeois et du pire dans le communisme, et c'est sa séduction. L'anarchie ne disait pas : « Un jour, vous serez comme eux.» Le communisme le dit, et les foules battent des mains. Figures de Vaillant, de Henry, de Jacob ? Tout cela ne reviendra-t-il jamais plus? Pour un flic mort, hélas, s'en dressent 10 000 bien en vie. Et les concierges délateurs de 71 ont eu beaucoup d'enfants. La doctrine anar, sans la violence, est un jeu stérile, une vue quelconque et basse de l'esprit. 

***

Jadis, je parlais, et pour cause, la langue exacte du peuple. Je puis encore me faire comprendre, mais j'ai perdu l'accent, et je passe pour un étranger. Cela me cause une petite peine, car, dans le 16e, on me prend quand même et toujours pour le plombier.  

***

Gide, sa pitié. S'il venait d'où je viens, il n'aurait pas cette compassion de bourgeois pour le pauvre. Car moi, je les connais, j'en suis. On ne se lave jamais de la pauvreté. Sa tache laisse loin derrière elle le sang de Lady Macbeth. Je n'ai de pitié que pour les chats, les chiens. La politique est l'aristocratie des escrocs au sentiment. Je n'ai jamais voté. Masse de michetons éternels tenus en laisse par une poignée de macs !

***

Une seule chose, si rare hélas, m'aura réellement passionné sur terre : rire, éperdument, rire.  

***

Ci-gît René Fallet qui se trompa de siècle

Et ne fut pas foutu de trouver rime en « iècle ». 

***

Dans un cimetière normand, j'ai vu la tombe de MODESTE GORGE.

***

L'épitaphe de Georges par lui-même :
Ci-gît Georges Brassens qui vécut à Saint-Maur
Et devint immortel en parlant de la mort.

Il précise : « Astérique, après Saint-Maur, car je n'y ai jamais mis les pieds. »

***

Pour une vraie solitude, il faut être deux. 

***

Les chiens ne sont jamais là quand on veut leur jeter un os. 

***

Je pense ma vie sentimentale achevée. Je ne fais plus de bicyclette, que j'ai tant aimée.

***

Avec la fermeture des bordels, ce banc d'essai, l'érotisme a fait un irréparable pas en arrière. 

***

« Populiste », il me faudra toute ma vie prendre le métro pour ne pas être coupé de mes sources d'inspiration. Serai-je toute ma vie le chantre inégalé des pieds sales et des gueules de con ?

***

Ces généraux, ministres, curés, papes, me font l'effet d'irrésistibles anachronismes. J'en suis à me demander pourquoi personne ne rigole en les voyant. Vrai, cette civilisation passera sans avoir connu la civilisation. La petite lumière de l'anarchie n'aura vécu que le temps d'une bougie.

 ***

Ma peur de la mort s'éloigne. Ma peur de la vie grossit.

 

 

 

samedi 6 novembre 2021

Absolument !

Jumy-M

 

— J’ai toute ma vie nourri cette extraordinaire prétention d’être l’homme le plus lucide que j’ai connu. Une forme incontestable de mégalomanie. Mais au vrai, j’ai toujours eu le sentiment que les gens vivaient dans l’illusion moi excepté. J’étais profondément convaincu qu’ils ne comprenaient rien. Il ne s’agit pas là d’une forme de mépris, mais simplement d’un constat : tout le monde se trompe, les gens sont naïfs. Moi je m’arrogeais la chance ou la malchance, comme vous préférez de ne pas me tromper, et par là même, de ne participer au fond à rien, de jouer la comédie à destination des autres, sans y prendre réellement part. 

— Pensez-vous, avec le recul, avoir eu raison ? 

— Absolument !

 

Cioran
in Gabriel Liiceanu, Itinéraires d'une vie : E.M. Cioran,
ed. Michalon

mercredi 3 novembre 2021

Pauvres fientes

 

Fritz Guerin

 

Hardellet, on ne l'a jamais reconnu pour ce qu'il était, pour ce qu'il reste... Un écrivain infiniment précieux, un chercheur proustien du temps perdu... un ange fourchu du bizarre. Dans les belles lettres comme partout règne l'injustice la plus évidente. On adule plusieurs générations de pauvres plumitifs à l'écriture fade... faux penseurs, poètes pacotilles ! Certains, dès leur apparition, leur premier bout de texte. Un palichon roman gallimardeux, toute la coterie, les affectés spécieux, les salons, les petites revues vous le proclament grand tauteur... celui qu'on attendait. Ça se discute plus ultérieur... c'est admis une fois pour toutes. Il peut pondre n'importe quel pensum, faribole... on étudie ses pauvres fientes en faculté, on ensnobe les garnements... On le traduit dans toutes les langues. Il est le messager de la France. D'autres pourront produire, pendant ce temps, des choses sublimes, des petits joyaux ciselés d'émotion, d'expérience, de goût... personne, mis à part quelques amateurs obscurs sans influence aucune, ne parle de leurs œuvres. Ce qu'il faut faire je crois, beaucoup de schproum, de salades, de proclamations, de scandale, un exercice pour lequel Hardellet n'était pas doué.

 

Alphonse Boudard, Le Banquet des léopards,
La Table ronde, 1980

mardi 2 novembre 2021

La vérité sur Eric Zemmour

 

– Eric Zemmour est-il fasciste ? Eric Zemmour est-il négationniste? Eric Zemmour est-il raciste? Eric Zemmour est-il révisionniste? Eric Zemmour est-il suprémaciste? Eric Zemmour est-il pétainiste? Eric Zemmour est-il gaulliste? Eric Zemmour est-il anti-système? Eric Zemmour est-il un produit du système? Eric Zemmour est-il censuré? Faut-il boycotter Eric Zemmour? Eric Zemmour est-il en campagne? Eric Zemmour est-il un danger pour la démocratie? Eric Zemmour ira-t-il jusqu'au bout? Eric Zemmour est-il présidentiable? Eric Zemmour ferait-il un bon président? Eric Zemmour a-t-il un programme? Qui sont ses soutiens? Qui sera son premier ministre? Quel âge a sa maîtresse? Ferait-elle une bonne première dame ? Macron utilise-t-il Eric Zemmour pour se faire réélire?…
Tu veux mon avis
? Ces questions. Se poser ces questions. Les considérer comme importantes. Le pays où elles sont posées et présentées comme importantes. Les personnes qui les posent. L'étron médiatique à propos duquel ces questions sont posées. Sont à vomir…
T'en reprends une ?


samedi 30 octobre 2021

Pour ne pas disparaître entièrement

Theodore White, Antoine Demilly


Qui ne pense qu'à soi, ne pense à rien. 

C'est un jour comme un autre. Disons qu'il fait soleil. 

J'observe la rue,
                       vois passer des femmes et des hommes,
je me demande
                qui ils sont,
                                quelles sont leurs luttes,
                                                                    leurs buts,
                                                                                si leurs maisons
sont vides ou si quelqu'un les attend. 

L'un d'eux pourrait dire comme Montaigne :
«Ma vie a été pleine de terribles malheurs
dont la plupart ne se sont jamais produits
».
Un autre penser :
« J'ai toujours essayé
d'être semblable aux autres et différent de moi
».

On écrit un poème pour ne pas disparaître entièrement,
pour que l'empreinte survive à la neige.
Mais aussi
                    pour raconter l'histoire
de ceux qui le liront.

Qui ne pense qu'à soi, ne pense à rien. 

 

 

Benjamín Prado,
trad. maison

 

mercredi 27 octobre 2021

In bed with Alain Delon

 

Roman Zlobin

 

— Déjà ?
Tu as bien dormi ?
J'aurais voulu que ça continue...
C'est toujours trop tôt.
Je n'en reviens pas...
Tu le découvres ?
Quoi donc ?
Que c'est toujours trop tôt... Ou trop tard. Pourtant, je t'assure, c'est toujours le cas.
Ce n'est pas ça. Figure-toi que j'étais avec Alain Delon. A la fac. Je n'en reviens pas.
Comment ça, avec ? Tu veux dire que Delon, c'était ton mec ?
Bah oui...
Ton inconscient ne doute de rien...
Quand il a pris la parole, c'était toi. Il parlait de cinéma, de nanars qu'il venait de revoir et qui étaient formidables.
Je ne parle jamais de nanars...
Tu vois ce que je veux dire...
Pas vraiment. Je rêve rarement d'Alain Delon. Dire que j'ai failli l'écraser un jour, en scooter...
Ne sois pas jaloux : j'étais avec toi. Simplement, tu avais le physique de Delon.
Effectivement, j'aime mieux ça...
— Il t'est déjà arrivé de rêver de Catherine Deneuve, en me disant qu'en fait, tu avais rêvé de moi...
Il existe une certaine ressemblance entre Catherine et toi, c'est indéniable. Entre Alain et moi, ça peut se discuter...
C'était toi, te dis-je, mais en mieux.
Comment est-ce possible ? Si moi, j'étais Delon, ou Delon, c'était moi, toi, tu étais qui ? Romy Schneider ?
— Non, j'étais moi.
— En toute modestie...
J'étais très amoureuse. Il était tellement beau....
Tu parles de moi ?
Non, de Delon.
Comme Delon parle de lui à la troisième personne, j'ai cru que tu parlais de moi également à la...
...Oui, oui, j'ai compris.
Je ne suis pas bien réveillé, faut me pardonner...
Tu vas surtout être en retard.
— C'est le propre des stars, se faire attendre.
Tu expliqueras ça à ta directrice. Va faire ton café, je vais tenter de le retrouver.
Essaie la piscine, tu profiteras davantage de mon physique que dans un amphi de fac.
Ce n'était pas le Delon de La Piscine. Il était dans la cinquantaine. C'est encore mieux.
Comme moi, en quelque sorte...
Tu es quand même désormais plus proche de la soixantaine...
La journée ne pouvait pas mieux commencer...
Delon, même à la soixantaine, il était encore très séduisant.
Exactement comme moi...
Allez, file.
Imagine : je sors de cette chambre, tu replonges dans tes rêves et te retrouves dans les bras de Zemmour.
Quelle horreur !
Politiquement, ça se tient.
Je ne peux pas rêver de lui. Il a fait carrière grâce à la télé, à une époque où je ne la regardais déjà plus. Je ne sais même pas à quoi il ressemble, je ne l'ai jamais entendu parler...
Tu dois être la seule personne dans ce pays à tout ignorer de ce grotesque bateleur soutenu par les grands financiers des médias, le patronat et la bourgeoisie.
Ce devrait être pareil pour toi, ça fait des années que tu n'as pas la télé...
Tu vois ce que c'est, internet ?
A peu près... C'est là que je trouve des meubles pour la maison ?
Exact. On y trouve aussi les charlatans qui meublent les médias.
Nous ne sommes pas obligés de les écouter.
Que tu crois... Ils squattent l'espace médiatico-politique, assurent le spectacle de ce cirque. Tous les micros se tendent devant eux pour créer le buzz, l'événement, alimenter les pseudos débats de café du commerce, multiplier les sondages, l'écœurement permanent pour cacher le vide de la pensée...
— Je ne comprends pas. Comment peut-on accorder du crédit à un discours aussi grossier ?
— Pour cette même raison. C'est grossier, simpliste, creux, caricatural. Appelle ça comme tu veux, le résultat est le même, depuis toujours. Plus c'est énorme et répété à satiété, plus ça finit par constituer une évidence, une vérité incontestable, communément admise.
— Ce qui est une évidence, c'est que tu vas encore être en retard. Quelle excuse vas-tu donner cette fois-ci ?
— J'ai surpris ma femme au lit avec Delon. Une bagarre s'en est suivi. Un trio s'est formé. Lorsque Zemmour a sonné à la porte... Un truc dans le genre...
— Ça devrait marcher : plus c'est gros, plus ça passe.

 

mardi 26 octobre 2021

Size matters

 



Un mensonge colossal porte en lui une force qui éloigne le doute. Les foules se laissent plus facilement impressionner par les gros mensonges que par les petits, étant donné qu’elles sont composées en majeure partie de gens qui pratiquent le mensonge mesquin dans des choses insignifiantes, mais qui seraient incapables d’énoncer sans rougir une contre-vérité aux proportions monumentales. Il ne leur vient donc pas à l’idée que d’autres puissent avoir le front de défigurer la vérité jusqu’à la rendre méconnaissable. 

L’esprit réceptif des foules est très pauvre, et leur compréhension fort limitée… La propagande doit donc faire appel à leurs passions, et non à leur jugement. 

Une propagande habile et persévérente finit par amener les peuples à croire que le ciel n’est au fond qu’un enfer, et que la plus misérables des existences est au contraire le paradis.

 

Ces judicieux préceptes, extraits du fameux livre du peintre autrichien brun, incessamment remis au goût du jour, sous toutes les latitudes, ouvrent le fascicule anonyme L’Art de mentir, Petit manuel à l’usage de tous ceux qui s’exercent à l’art délicat du mensonge, illustré de quelques exemples choisis, dus à la plume des « Maîtres du monde », édité en 1944 par le Bureau d'information anglo-américain, illustré par Rowland Emett, que rééditent aujourd'hui les réjouissantes Nouvelles éditions Wombat pour la modique somme de 13 euros.

 

samedi 23 octobre 2021

A la sauvette

Steve McCurry

 

J'ai toujours écrit –poésie, roman, toutdans des conditions bizarres, précaires, à la sauvette. Je ne pourrais peut-être pas supporter de «bonnes conditions », je me sentirais séparé, j'éprouverais une claustrophobie particulière dans la tour d'ivoire.

 

Henri Thomas, Amorces,
Fata Morgana, 2021


mercredi 20 octobre 2021

Visages de ceux qui ne sont rien

 


L'exceptionnelle exposition VISAGES DU MONDE OUVRIER
Photographies 1880-1940
se tient depuis une semaine
chez Marion Pranal et Philippe Jacquier,
Galerie Lumière des Roses



 

C'est à Montreuil (93),
12-14 rue Jean-Jacques Rousseau

01 48 70 02 02

 


du mercredi au samedi 14h-19h
et ce,
jusqu'au 29 janvier 2022.

mardi 19 octobre 2021

Personne ne s'en apercevra


Naissons, dépérissons, périssons.

 

Il était résolu à ne plus émettre une seule banalité. Le coup de feu retentit. 

 

Il n'apprit qu'après sa mort — en voyant ça de haut qu'il était la risée des hommes. On s'était bien fichu de lui. Et ceux qui n'avaient pas ri avaient haussé les épaules.

 

Etre un homme m'a toujours coûté. 

 

La solitude n'est pas supportable, la relation non plus. On choisit quand même la relation parce que l'autre a toujours plus de substance que soi, on préfère une opacité à un néant.

 

Je suis misanthrope quand je vois à quel point l'autre ne diffère pas de moi. 

 

Ils n'aiment vraiment pas être cons tous seuls, ils se liguent.

 

On ne lui proposa plus rien de nouveau dès le lendemain de sa naissance.

 

Nos promenades sentimentales, main dans la main, avec nos images d'Epinal...

 

Je crois que si un jour le soleil se lève à l'ouest, personne ne s'en apercevra.

 

Je suis le bon chien qui court après la balle; et le plus souvent je dois la lancer moi-même.

 

Homme : animal supérieur de haute complexion cérébrale qu'on voit généralement s'engouffrer dans un bar. 

 

Il faut beaucoup se méfier des timides, des inhibés, des complexés, ils peuvent vite devenir des terroristes ou des écrivains.

 

Je n'attends pas que la société me sauve la mise; depuis qu'elle s'occupe de moi avec son air hypocrite, j'ai bien compris qu'elle cherchait surtout à me pulvériser: elle est 100000 fois plus forte que moi. Aussi rasé-je les murs et leur ombre, sans courir pour ne pas éveiller les soupçons! La fuite, pas la Grande Evasion!

 

Aujourd'hui j'ai croisé dans la rue quelqu'un qui n'avait pas les yeux rivés sur son portable, mais ça n'a pas duré, les flics l'ont embarqué. 

 

Depuis qu'il y a des hommes la vie n'est plus tout à fait comme avant.
 

Avec le mot « insatisfaction », on fait le tour du monde, et avec le mot « consolation », le tour du jardin.

 


Jean-Pierre Georges, Pauvre H.,
éd. Tarabuste, 2021


samedi 16 octobre 2021

La plus belle victoire

Wallace G. Levison

 

Mais la plus belle victoire
sur le temps et la pesanteur ―
c'est peut-être de passer
sans laisser de trace,
de passer sans laisser d’ombre.

Sur les murs...
    
                    Peut-être, subir
un refus ? Être rayée des miroirs ?
Ainsi : Lermontov dans le Caucase
s'est faufilé sans alarmer les rochers.

Mais, peut-être, le meilleur amusement
du Doigt de Sébastien Bach
est-il de ne pas toucher de l’orgue l’écho ?
Se disloquer, sans laisser de cendres
 

dans l'urne...
                    Peut-être ― subir
une tromperie ? S'exclure des vastitudes ?
Ainsi : se faufiler à travers
le temps, comme l'océan, sans alarmer les eaux…

 

 

Marina Tsvetaïeva, Insomnie et autres poèmes,
trad. Bernard Kreise
Poésie/Gallimard