vendredi 29 septembre 2017

mardi 26 septembre 2017

Désinscriptions d'été tardif




J'imagine que cesseront certainement les emmerdes le jour où mes filles disperseront mes cendres au sein de la Vallée du silence, dans le Bierzo.
Mon type de femme : celle qui ment en sachant pertinemment que je sais qu'elle ment et que je sais qu'elle le sait. 

Un jour, je comprendrai mais il sera trop tard et il ne faudra pas m'en vouloir.

Son charme m'a pris en traître, et sans sommation. J'ai vite senti que mes heures étaient désormais comptées.

Ce coureur de fond kényan, parti naïvement à trop vive allure, recherchant en vain son souffle après quelques foulées et s'effondrant dans la dernière ligne droite, c'est moi.

Aujourd'hui, je ne me sens pas d'attaque. Ni de défense. A peine milieu. Remplaçant à la rigueur.

Mon type de femme : celle qui se souvient d'un film en noir et blanc, avec cet acteur-là, tu sais bien...
A la première page, par une réplique pour lui-même, le personnage principal feignait de comprendre où il était. J'ai reposé le livre, me jurant de ne plus jamais lire de romans.

Lorsque j'ai profondément ressenti ce qu'elle pensait de moi, il ne me restait d'autre choix que de creuser sa tombe.

Je lis dans le journal trouvé sur le zinc que sous peu, 10% de la population active d'aujourd'hui sera suffisante pour faire tourner la machine. J'avale mon café et, plus loin, découvre une tribune dans laquelle un ministre affirme que sa réforme est nécessaire si l'on souhaite retrouver le plein emploi. Ces contradictions apparentes donnent au spectacle un charme indéniable.

J'aurais dû faire coach d'échecs. A double titre. Vie professionnelle et vie personnelle.

Ne me demandez pas pourquoi. Demandez-lui jusqu'à quand ?

Hier encore, j'étais seul à manifester pour l'effacement de ma dette.

Mon type de femme : celle qui se réjouit de l'inespéré été tardif, de ne pas avoir encore rangé les robes légères et de reprendre les trajets à vélo.

Je suis une brute. Je ne connais pas la demi-mesure. Je mange vite. Je bois vite. Je m'emporte vite. Je me renferme vite. D'ailleurs, j'arrête là, que ça vous plaise ou pas !

Charles Brun, Vous pouvez envoyer le bonheur

lundi 25 septembre 2017

Le poète assassiné




La poésie est un cancer
qui vous empêche de bouffer
de vivre, de travailler.
Ça vous ronge tout
ça pisse partout
ça n'intéresse personne.
Y a pas d'quoi rigoler !
Vaut mieux vendre des cochons
de la soupe ou des marrons
que d'noircir du papier.
Poète ! On s'fout de vous !
Quelle référence près d'l'épicier
du charcutier et du banquier !
"Vous chantiez ! Eh bien, dansez maintenant !"
devant l'buffet et le porte-monnaie.
Vous ennnuyez les gens avec vos histoires obscures.
Il faut produire, retroussez les manches
et pas pour rablabater à zéro sous la ligne.
C'est du solide et du raisonnable dont nous avons besoin.
Une bonne constitution
l'assassinat général des pisseurs de vers, philosophes, 
romanciers et autres gâcheurs de temps.
C'est pas avec les poèmes qu'on luttera contre la dévaluation, qu'on relèvera Marianne.
Elle t'emmerde Marianne
et tous les Mariannais de la 1re à la 5e génération.
Poète ! Mais vous vous foutez du monde !
Quand on a tant besoin de programmateurs
de comptables, de vendeurs.
A l'ordinateur les Messieurs du Flore
des Deux-Magots, du Drugstore !
Allez donc faire vos vers plus loin !
C'est du gadget qu'il nous faut, 
des meubles éblouissants garantis pour longtemps,
des chausseurs sachant chausser,
des fourreurs sachant fourrer,
des banquiers sachant exploiter,
des minettes sachant baiser,
de la publicité, de la télé,
des autos et du fric, des mini-jupes, du super sexy.
J'a fini mon petit pipi.
Je m'en lave les mains !
j'ai pas l'honneur du lot,
j'suis pas Victor Hugo.

Gaston Criel, Popoème, 1976,
rééd. Les éditions du chemin de fer, 2015

vendredi 22 septembre 2017

Liberté immédiate



La chaîne des mots retient
la glu qui sort des sens
l’histoire n’a pas de sens
pas de fin aux jours gris
la ville sale
ne sait pas laver sa plaie sous la pluie.
On crache sur les murs
pour effacer la vomissure journalière
le chemin quotidien
du travail sans fin
chaîne de travail
loisirs abominables
homme devant soi-même
condamné, conditionné
jusqu’à la fin des temps.
Merde, chiotte et chiotte
à quoi ça va ton cul emmerdé
et tes couilles pendantes
sur la fosse septique
de l’usine à bras cadencés...
C’est pas jojo la popote des familles
ses résidus de fin de mois
les œufs ratés, le foutre moisi
mayonnaise de mes deux
épatée sur la merde de récupération
engrais pour notre terre à tous
pour le sale blé du mauvais pain.
Liberté immédiate nous entends-tu ?
Liberté
Liberté de dire
Liberté de faire

Dure Liberté nous entends-tu ?


Gaston Criel, Popoème, 1976,
rééd. Editions du chemin de fer, 2015

jeudi 21 septembre 2017

Tous les mêmes


Berta Vías Mahou (ou son double)

José Saéz, l'Autre, s'entretient avec l'auteure, évoquant sa vie dans l'ombre de Manuel Benítez, El Cordobés, la jalousie de celui-ci, les méthodes d'un milieu bien entendu étranger à l'environnement professionnel que fréquente la romancière…

J’imaginais sa tête lorsqu’il découvrit la une du magazine sur laquelle l’Autre, c’est-à-dire moi, apparaissait en habit de lumière à bord de l’hélicoptère (…) avec un visage et un sourire identiques aux siens. Lui qui avait dû batailler pour atteindre cette apogée. Il ne pouvait permettre qu’un autre se rapproche de ce sommet en un temps qui, pour lui, s’apparentait certainement à celui d’un battement de paupière. J’imaginais les mots qu’il avait pu adresser à Galdeano : Je veux que tu l’écrases. Qu’il disparaisse. Je ne veux plus qu’il porte ce visage. Je ne veux revoir ce visage que lorsque je me regarde dans une glace. Tu as compris ? Quand je me regarde dans n’importe quelle glace. Ou dans le verre d’une vitrine que je suis le seul à regarder. Ou lorsque l’on me prend en photo. Ou lorsque je pisse dans une flaque… 
(…) Il est parfois plus rentable d’éliminer un filon que d’essayer de l’exploiter (…) C’est alors que j’ai vraiment décidé de (…) chercher un nouveau fondé de pouvoir. Quelqu’un de sérieux. Un homme honnête. Bien que, plus d’une fois, j’aie pensé que le monde entier était pourri et que les fondés de pouvoir étaient certainement tous les mêmes. Benítez aussi s’était fait engourdir par son premier représentant, El Pipo. Ils t’invitent à un festin et, ensuite, ils passent leur vie, ou tout au moins une grande partie, à bouffer des repas délicieux et boire des vins hors de prix grâce à tes efforts et à ton enthousiasme. Ou à commander quand bon leur semble des costumes faits sur mesure chez les meilleurs tailleurs de la ville, pendant qu’ils te balancent de temps à autre une petite pièce pour prendre un taxi et rentrer chez toi. J’imagine que les éditeurs ont ce genre de pratique. Vous ne dites rien, naturellement. Bien que vous, vous n’hésitiez pas à me cuisiner.
J’imagine que les éditeurs ne se baladent pas avec un pistolet, ce que faisait l’autre sans problème, le laissant toujours bien en vue, capable de trouer quiconque s’immisçait dans ses affaires. On dit qu’à certaines personnes, il faisait parvenir un jambon pour les mettre dans sa poche, à d’autres, il envoyait ses hommes de main. Aujourd’hui encore, à la retraite depuis longtemps, il a gardé cette attitude de mafieux. Il y a peu, il a interdit qu’un film sur la vie de Manolete soit projeté à Cordoue. Il pense que la ville lui appartient. Le califat lui est monté à la tête. Ce n’est peut-être qu’une grande gueule, mais il a trop de laquais à ses côtés prêts à jouer pour lui le rôle de tueurs à gages. Bref. Qu’est-ce que j’étais en train de vous raconter avant de m’embrouiller avec les fondés de pouvoir, les éditeurs et le pistolet d’El Cordobés ?

Berta Vías Mahou, Je suis l'Autre,
trad. Carlos Rafael, éd. Séguier, 2017

mercredi 20 septembre 2017

Le romanesque avant tout !

Marc Dugain en pleine promo


Samedi prochain, au sein du vénérable Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, et dans le cadre du Festival du journal Le Monde, Rêver, se tiendra une rencontre exceptionnelle avec Marc Dugain, auteur, nous rappelle le quotidien du soir et des marchés, du célèbre ouvrage, « au succès fulgurant », La Chambre des officiers (300 000 exemplaires, 18 prix) et d’un nouveau roman de rentrée littéraire. Pour les non-parisiens, les malheureux qui ne trouveraient pas de places, les losers qui travaillent le samedi, et pour ses nombreux et fidèles lecteurs, Nos Consolations est en mesure de livrer en exclusivité les grandes lignes de cette conférence qui, à n’en pas douter, restera dans les annales de la littérature. Au moins. 

Votre parcours, Marc Dugain, est atypique. Né en Afrique, vous avez une formation d’expert-comptable, avez travaillé dans la finance, dirigé plusieurs entreprises, notamment dans l’aéronautique, et, dès votre entrée en littérature, avez connu un succès supersonique. Comme vous nous y avez habitué, votre dernier livre revisite l’Histoire, avec un grand h.
Tous mes livres sont hantés par l’Histoire, des événements tragiques, des personnages réels. Cette fois-ci, je reviens sur l’histoire du clan Kennedy, comme je l’avais déjà fait dans La Malédiction d’Edgar. Cette famille m'obsède, j'y vois une image de ma propre famille.

Un nouveau roman, donc, avec un titre visionnaire, Ils vont tuer Robert Kennedy.
Oui, je voulais qu’on comprenne immédiatement de quoi il s’agissait. Une sorte de titre-
pitch. Vous savez, c’est important, les titres, quand on est, comme moi, un écrivain de têtes de gondole. Notez bien que je n’ai rien contre les supermarchés. En tant qu’ancien entrepreneur – entrepreneur un jour, entrepreneur toujours –, ces grandes surfaces, l’argent que l'on y brasse, me font rêver – je suis en cela en parfaite adéquation avec le titre de votre festival ! (rires)

(rires) C’est très juste ! Mais revenons à nos petites affaires. Les Kennedy, ça fait donc encore rêver ?
Oui, et vendre ! C’est un peu comme Marilyn, les Beatles ou le Che. Des icônes des années 1960 – que tous les jeunes gens de ma génération, je m’en souviens comme si c’était hier, avaient en poster dans leurs chambres. Régulièrement, des émissions de télévision retracent ce qu’on peut appeler pour eux aussi, ces parcours atypiques, diverses publications paraissent également, et toutes connaissent un grand succès. Cela en dit long sur leur poids dans l'histoire des Etats-Unis et du monde... Je voulais apporter ma petite pierre à cet édifice. Et si possible, on ne va pas se mentir, en bénéficier, bien entendu. Mon précédent livre sur le sujet avait déjà bien marché. Je me suis dit pourquoi pas un autre, comme ces films franchise, Mission Impossible 1, 2, 3, 4, etc. (le cinéma, c'est important pour moi : n'oubliez pas que je suis également réalisateur !) Le premier livre évoquait John, celui-ci revient sur la personnalité de Bobby. Vous savez, il ne faut pas avoir peur d’introduire le monde de l’entreprise, celle du divertissement en l’occurrence, dans le sacro-saint univers de la littérature. Il faut vivre avec son époque, même si on en visite une autre. Bien sûr, derrière le titre, il y a un livre et dans ce livre, je dévoile quelques secrets au fil des pages.

Ce nouveau roman est un véritable brûlot. Vous n’hésitez pas à évoquer la mafia.
J’aime fouiller les faces sombres de l’Histoire, remettre en perspective. Dans Edgar, j’évoquais déjà la mafia ! Et la CIA ! Et le FBI ! C’est pareil ici. J’aime prendre des risques. Peu de gens ont parlé de complot à propos de la mort des Kennedy. Moi, je le fais. Rappelons que lorsqu’il est assassiné, Bobby s’apprête à remporter les primaires du parti démocrate. C’est comme si, chez nous, Emmanuel Macron avait été abattu lors de sa campagne triomphale aux présidentielles. Où serait-on aujourd’hui ? Qui peut le dire ? Qui, à part moi ? Eh bien, je vais vous le dire : nous nous retrouverions avec l’équivalent d’un Trump ou d'un Maduro !

Vous êtes un peu le Macron de la littérature.
J’accepte la comparaison. Emmanuel, qui est un ami, vient de la banque, de l’entreprise. Personne ne l’attendait là où il est aujourd’hui. Ce jeune homme dirige le pays comme une entreprise, mieux : comme une start-up. Son mouvement est dirigé par un conseil d’administration. C’est avec cette audace qu’il a su rassembler derrière lui des entrepreneurs, le monde de la finance, les médias, les politiciens de tous bords, et enfin les électeurs. C’est une force incontournable aujourd’hui. J’essaie de faire pareil en littérature.

Revenons à nos moutons.
C’est le cas de le dire (rires).

(rires) Dans votre roman, un personnage fictif, nommé fort justement Mark O’Dugain – faut-il y voir un double de l’auteur, comme chez Philip Roth ? Je laisse au lecteur le soin d’apporter une réponse – enquête sur les personnages réels. Ambiguïté permanente garantie. Comment avez-vous procédé pour construire votre texte ?
J’ai un Mac ! (rires)

(rires) Sacré Marc !
Trêve de plaisanterie... Mon personnage de professeur d'histoire contemporaine est d'origine irlandaise, d'où le O avec l'apostrophe. Et le K du prénom, aussi. Il est vrai que j'ai des origines irlandaises également et ça m'a bien aidé pour composer mon personnage : j'ai enquêté, longuement, je me suis documenté, aidé par toutes ces publications dont nous parlions à l'instant, par des amis journalistes, des historiens, des amis politiciens aussi, des agents secrets, et j'en ai fait une intrigue romanesque, shakespearienne, un nouveau chef-d'oeuvre qui fera date.

C'est la responsabilité de l'écrivain d'être crédible, tout en amusant la galerie – je veux dire, tout en étant un créateur, un grand créateur dans votre cas.
Oui, c'est même un devoir. Je connais trop bien les thèses complotistes pour ne pas tomber dedans. Moi, je suis surtout un artiste, un artiste-entrepreneur certes, mais un artiste. Et le public le sait. Le romanesque avant tout !



mardi 19 septembre 2017

Malgré tout



La littérature ressemble beaucoup au combat des samouraïs, mais un samouraï n'affronte jamais un autre samouraï, il se bat contre un monstre. De plus, il sait généralement qu'il va perdre. Savoir que l'on va être vaincu et avoir, malgré tout, le courage d'aller se battre : c'est ça, la littérature. 

Roberto Bolaño

Pas besoin


(…) quand les élèves entrent en philo chez nous, ils sont beaucoup plus malins qu'en en sortant parce que, quand ils entrent en philosophie, ils n'ont pas beaucoup d'idées, ils n'en ont pas trop besoin ; et quand ils en sortent, ils ont la tête remplie d'idées absurdes auxquelles ils croient dur comme fer. Et pour un grand nombre d'entre eux, il vaudrait mieux qu'ils ne fassent pas de philo ; ils en sortiraient moins abêtis !

Clément Rosset, Esquisse biographique,
entretiens avec Santiago Espinosa
,
Encre marine, 2017

samedi 16 septembre 2017

Désinscriptions quotidiennes



Ma vie n'a aucun sens. Pas même unique.

J'abhorre entrer dans une boutique de vêtements. On y trouve généralement une musique abrutissante et des vendeurs en harmonie. Et puis, rien ne me va. Trop grand, trop petit, trop large. Je suis toujours entre deux tailles, pas fait pour le prêt-à-porter. Mais le sur mesure, je n'y aurai droit que pour ma caisse de bois. Et encore, je finirai certainement dans une fosse commune. On évitera ainsi de s'abrutir par la musique.

Mon type de femme : celle qui l'ignore.

On a souvent pris pour de la timidité mon désir de passer inaperçu, de ne pas lier conversation, mon aversion des préoccupations des autres, mon sens du ridicule, le personnage façonné au fil du temps pour satisfaire ma nature, facilement repérable.

Sept fois à terre, huit fois debout, certes, mais que se passe-t-il la fois suivante ?

Je ferme ce livre en cours de lecture avec un pressentiment, celui de ne jamais plus l'ouvrir.

Au très restreint rayon théâtre de cette librairie chic, Thomas Bernhard était rangé entre Christine Angot et Paul Claudel. J'ai mis le feu et me suis tiré avec le sentiment du devoir accompli.

En 1972, le roi du Bhoutan a instauré le BNB, le Bonheur national brut. Depuis, au sein de cette monarchie constitutionnelle bouddhiste, l'indicateur du bien-être est un indice économique aussi important que le PIB. En 2011, l'ONU a confié à des chercheurs américains une étude permettant un classement des pays selon leur niveau de bonheur. Le dernier rapport place la Norvège en tête, suivie du Danemark. Les pays d'Afrique subsaharienne figurent au bas d'une liste de 156 états dans laquelle le Bhoutan n'apparaît pas. Belle victoire de nos démocraties occidentales.

A vendre velléité de bonté. Assez vague. Très bon état (peu servie). 

J'espère encore, une dernière fois, être abandonné. Du contraire, je ne suis pas certain de me remettre.

Cette perception de sécheresse de l'esprit, d'un entrain au ralenti, par à-coups et excitation artificielle, l'âpreté des mots que je parviens à peine à formuler et qu'il me faut aussitôt corriger, augurant probablement une maladie dégénérative n'est pas sans me ravir. Ainsi tout cela marchait à la perfection jusqu'ici…

Plus nous cherchons à comprendre, plus il est évident que nous devrions renoncer à l'idée de vérité. Et pourtant.

Mon type de femme : celle qui m'attend, le dos tourné, allongée sur le sofa.
Mes collègues de travail me reprochent de n'être pas très causant. Je crois qu'ils voudraient de plus que je les aime. Le mal est profond.
Un escargot a élu domicile au plafond de ma cuisine. Sous lui, j'ai haché l'ail, les échalotes, le persil, préparé sel et poivre, préchauffé le four. J'espère bien le voir tomber d'ici Noël.

J'ai beaucoup dormi à l'école, et au travail, cinéma, concert, théâtre, aux réunions politiques, et devant certaines femmes... J'ai aujourd'hui épuisé mon quota d'heures de sommeil et accueille avec soulagement la crucifixion de mes longues insomnies.

Mon type de femme : celle qui chante sous ma bouche.

Faites du bruit, le plus possible. Il n'est plus question de penser, et encore moins de se parler.

Pas la peine de me raccompagner, j'ai trop bu et je ne connais pas le chemin.


Charles Brun, Vous pouvez envoyer le bonheur, volume 3






Tu débuteras au sommet




Sosie de Manuel Benítez, dit El Cordobés, José Saéz est l'invité d'honneur de la peña, association d'aficionados, d'un village de la région de Valence, San Antonio. Auprès des villageois médusés, on fait passer l'ancien berger de Jaén pour la star de Cordoue. C'est le début de l'imposture, des rêves de lumière, d'une vie dans l'ombre.
Lorenzo rejoignit également le Jaénien afin de lui présenter un marchand de vin installé depuis quelque temps à Nîmes, présent à San Antonio, son village, pour finaliser une affaire. Clara était à ses côtés. L’homme, ôtant son cigare de la bouche, murmura à l’oreille de celui qu’on honorait : Maestro, j’ai accompagné beaucoup de toreros dans les arènes. Dominguín. Ordoñez… Et se penchant un peu plus sur l’oreille de celui qu’il croyait être El Cordobés, prenant la liberté de le tutoyer, de lui donner des conseils, il lui dit : Torée peu, Manolo, fais comme Belmonte. Préserve-toi, Manolo… Et trouve-toi un bon peón. C’est d’un bon peón que tu as besoin. Je peux t’aider à le trouver… Ne fume pas, Manolo, surtout avant une corrida. Ça ramollit l’esprit…
Mais, remarquant que l’invité ne lui prêtait aucune attention, qu’il était seulement occupé à dévorer des yeux la jeune fille, centimètre par centimètre, s’agrippant immédiatement à son bras, et que celle-ci lui répondait par un large sourire, l’homme prodigua à José un nouveau conseil important : Ah, et les femmes, pas question, Manolo. Les femmes sont nocives pour les toreros, on peut même affirmer qu’elles le sont pour tous les hommes… À peine avait-il dit cela qu’il éclata de rire et son ventre trembla comme une fleur en pleine tempête. José ressentit une vive douleur. Clara ne préférait-elle pas, elle aussi, un vieil homme, simplement parce qu’il était riche ? Si c’était le cas, il suffisait de lui laisser croire qu’il s’appelait Manuel Benítez pour qu’elle quitte ce type sur-le-champ. Je peux te faire venir en France, Manolo, poursuivit l’industriel en lui faisant un clin d’oeil. Les femmes y sont encore plus belles qu’ici, bien que, comme je te disais, les femmes, pas question (…)
(…) Au fait, dit José en posant la main à son tour sur l’épaule de son ami, c’est vrai que ton quite était remarquable. On va fêter ça comme tu aimes. Avec l’argent que m’a donné Lorenzo, on peut aller boire des coups jusqu’au départ du train. Le Jaénien agita les billets dans l’air. Et, eux aussi, s’éloignèrent de la pension, à la recherche d’un rade. Je t’ai vu reluquer la fille, dit Julián en filant un coup de coude dans les côtes de son camarade. Avec un clin d’oeil, il ajouta : celle qui portait de la soie. La tentation de saint Antoine. Tu as entendu parler des tentations du saint ? Il avait à peu près ton âge quand il fit une retraite dans le désert afin de mener une vie d’ascète, mais le démon se présenta à lui sous diverses formes dans le but de précipiter sa chute… Quand Julián lui racontait ce genre de choses qu’il ignorait, José avait l’impression de prendre de l’envergure. Celle de San Antonio de Requena était une tentation très grande, continua son ami.
Mais si tu veux une femme comme celle-ci, ou encore plus belle, et il y en a, tu t’apercevras que, dès l’instant où tu iras toréer à l’étranger, en France ou dans un autre pays, tu ne pourras plus être toi-même, parce que les belles femmes ne sont belles et aimables qu’avec ceux qui ont de la chance. Il faut que tu sois comme l’autre. Ton avenir est là. Au coin de la rue. Ce visage est le sortilège qui t’éloignera du besoin. D’un travail d’esclave et d’un salaire misérable. Tu n’auras pas à parvenir au sommet. Tu débuteras au sommet. Tu pourras alors faire la cour à la fille d’un magnat américain ou à celle du plus important noble anglais. Ou à une actrice à la beauté étrange, d’un exotisme balte… José était sur un nuage.


Berta Vías Mahou, Je suis l'Autre,
trad. Carlos Rafael, éd. Séguier, 2017

jeudi 14 septembre 2017

Un vrai chef-d'œuvre



A propos du dicton Post coitum, omne animale triste (après le coït, tout corps est triste), que je n'ai jamais éprouvé, je me porterais volontiers en faux et je dirais que ce qui est amer, c'est l'idée que je vais me fondre en l'autre, que l'autre est à moi, que l'autre est moi… et puis, on s'aperçoit que ce n'est pas le cas, qu'il faudra tout recommencer et que ça ne finira jamais. Je pense que le aquilid amari qui semble être un peu entre le plaisir sexuel et la joie amoureuse concerne plutôt la joie amoureuse et ses déceptions inévitables. Autre chose pour moi est le plaisir sexuel que je trouve énigmatique, par exemple ce qui précède, parfois d'un bon petit moment, l'éjaculation et ce qui accompagne l'éjaculation. Pour moi, cette espèce d'orgasme est un vrai chef-d'œuvre et je comprends peu qu'on puisse se plaindre de tout et s'en prendre à tout quand on a ça. Encore une fois, il est autosuffisant.

Clément Rosset, Esquisse biographique,
entretiens avec Santiago Espinosa
,
Encre marine, 2017

mercredi 13 septembre 2017

Victor Hugo m'a tapoté la joue


Pour tous ceux (et toutes celles, bien sûr) qui ne possèderaient pas les CD de la chose, ou leur transcription sur papier, la Chaîne nationale, pardon, la France Culture macronique rediffuse les fameux Entretiens de Robert Mallet avec Paul Léautaud. Ça se passe la nuit depuis lundi dernier, soit dix épisodes d'un peu plus d'une heure, et c'est à télécharger, en fouillant ici dans les pages de l'émission.
En primeur, pour la poignée d'égarés habituels de ce blogue, et pour tous les autres, les deux premières diffusions (la suite, cette nuit) :


mardi 12 septembre 2017

La première fois

Francesca Mantovani

J'ai balayé la neige, fermé la porte. J'ai tourné autour de la table, la chaise – c'était une sacrée installation, manquait deux trucs. J'ai ouvert le placard, dedans il y avait des draps, des couvertures et une malette. J'ai respiré un bon coup, je l'ai prise et déposée sur la table, me suis assis…
J'ai grillé une clope avant de me décider… Et je me suis décidé. J'ai ouvert la malette, la machine à écrire était toujours là. Toute neuve, je ne voulais pas d'une machine de débarras où des gros doigts auraient pu laisser des crottes de nez sur les touches. Je l'avais achetée il y avait six mois et je répétais la même scène depuis (…) 

(…) J'ai allumé un feu et je me suis assis, bien droit face à la table. Je n'ai pas résisté longtemps – j'avais mal aux fesses, comme au théâtre quand on se fait chier. Je me suis fait un café, l'ai bu debout devant la cheminée. J'ai grillé des clopes et finalement, j'ai posé la machine à écrire sur la table, une ramette de papier à côté – cinq cent pages blanches. Toutes blanches des deux côtés. De quoi empiler des mots dessus, des paquets de mots. Je me suis assis, j'ai allumé une clope, regardé la machine à écrire, la ramette. A la fin, j'ai introduit une feuille sous le cylindre. J'ai mis les mains sur le clavier et les ai retirées, ce que j'avais voulu écrire s'était dissous dans le geste – la première phrase devait résister au geste qui voulait la faire apparaître. 
J'ai décidé de tenir, j'écrirais la première phrase, ou je crèverais. (…) J'ai pris la décision de taper tout ce qui me passait à l'esprit. Je faisais beaucoup de ratures, c'était du travail de cancre et aucune de ces phrases ne pouvait être la première. J'ai compris le penchant des écrivains pour la bibine mais je ne pouvais pas me permettre de boire, d'autant que je n'étais pas écrivain – je ne savais pas qui j'étais. Je suis resté un long moment accablé par le poids de cette première phrase qui n'existait pas, ne naissait pas. J'ai arraché la feuille, l'ai remplacée. J'ai contemplé le papier blanc qui semblait luire comme le verre de lait dans le film d'Hitchcock et l'ai prié de me renvoyer mon reflet, parce que c'était peut-être ça, la première phrase, voire toutes les phrases de celui ou celle qui écrivait.
Et j'ai été exaucé, elle m'est venue aux lèvres et je l'ai tapée lettre à lettre : « Ich bin a klain yddisher bandit¹. » C'était ça, c'était ça ! Mais c'était en yiddish…
Je l'ai tapée en français, c'était autre chose, ça ne sonnait pas pareil, ne racontait pas la même histoire – je ne savais plus. J'étais incapable d'écrire un livre de trente phrases en yiddish… Que faire ? C'était en yiddish que la prière avait été exaucée. Je me suis levé, j'ai alimenté des flammes avec les bûches. Je suis revenu vers la phrase, me suis penché sur elle. Elle me plaisait, elle me plaisait plus en yiddish qu'en français, il n'y avait rien à faire. Je me suis allongé sur le lit et la vérité m'est venue : il fallait que je trouve ma langue. Un écrivain avait sa langue, celui qui voulait écrire devait trouver la sienne. Je ne pouvais pas écrire en yiddish, il fallait donc que je trouve ma langue en français. Il fallait que mon cœur résonne en elle. C'était mon cœur qui serait traducteur entre mes origines et ce que j'étais devenu, saurait trouver ma langue. Le problème, c'était que je n'avais pas de cœur, que j'étais un putain de monstre. Il fallait que je sois sincère avec les mots, lucide, et je ne l'étais pas. 
Je me suis assis face à la machine, me suis mis à taper sans cesse, page après page, jusqu'à ce que j'en aie mal aux oreilles, les doigts endoloris. A la lumière de l'âtre, j'ai regardé ce que j'avais écrit, c'était étrange – il m'a semblé que, dans ce charabia invraissemblable, il y avait quelque chose, un embryon de vérité, ou la piste pour accéder à la vérité. Je ne voyais pas une autre langue en filigrane, je ne découvrais pas la pierre de Rosette, mais on me disait : « Sois simple, rustre, sois toi, mets les mains dans le cambouis, comme quand tu répares un moteur, n'hésite pas à te salir, tu ne dois pas écrire comme les autres mais comme toi, et tu es un voyou, un mécano, un broco, un débarrasseur de caves et de greniers. » Je me suis souvenu de ce que m'avait dit le Vieux sur le parquet des autos tamponneuses : « Les morts perdent la mémoire, pas nous, les vivants. » Ce n'était pas pour les morts que je devais écrire, mais tant que je vivais, je ne devais pas perdre la mémoire, pas m'oublier, oublier ma misère, ma connerie, mon inculture, je devais faire avec, honnêtement, comme un homme même si c'était un métier de femme.
 1. Je suis un petit bandit juif.


Richard Morgiève, Les Hommes, Joëlle Losfeld, 2017

Rosset par Rosset

Le réel et son double


…les lecteurs de Rosset savent qu’il n’aime guère parler de lui dans ses livres ; tout ce qu’on en sait d’habitude vient de quelques conférences radiophoniques, assez drôles mais aussi brèves. On sait pourtant que Nietzsche écrit, dans Par-delà le bien et le mal, que toute philosophie est une autobiographie. Rosset y souscrit d’ailleurs, sans pour autant se livrer à l’égotisme auquel certains auteurs et éditeurs nous ont bien habitués.
Connaître la vie d’un philosophe n’a sans doute pas d’intérêt en soi ; elle peut quelquefois n’éclairer en rien la philosophie qu’il a écrite, comme j’imagine être le cas chez Hegel. Mais le lecteur de philosophie qui aime un auteur peut être, parfois aussi, orienté par quelques repères biographiques ; ainsi connaître la vie de Kant par exemple permet de jeter quelques lueurs sur son rigorisme moral, et celle de Nietzsche sur la valeur de son attachement inconditionnel à l’existence…

Extrait de l'avant-propos de Santiago Espinosa au livre Esquisse biographique,
entretiens de Clément Rosset avec Santiago Espinosa
,
à paraître cette semaine aux éditions Encre Marine.

mercredi 6 septembre 2017

Désinscriptions incertaines

 
Rémy Soubanère





Je me ferais bien un petit ping-pong, moi.

Je ne comprends pas pourquoi ma soeur, qui possède pourtant un jardin agréable, des enfants sportifs, un chat agressif, et un frère comme moi, n'a jamais investi dans une table de ping-pong. C'est un mystère.

Mon type de femme : celle qui désire secrètement que je la regarde se rhabiller.
Soyons francs, vous avez sérieusement pensé pouvoir m'en tirer comme ça ?

Ne te fais pas remarquer, me répétait ma mère lorsque j'étais enfant. A plus de 50 ans, je peux dire, sans craindre la moindre objection, que j'ai toujours suivi à la lettre la consigne de ma mère, qui me reproche aujourd'hui de n'avoir rien fait de ma vie. Sur ce point aussi, je me sens obligé de la suivre. 

Vous ne pouvez pas vous imaginer. Du moins pas comme je vous imagine.  

Les imbéciles me fatiguent par leur mépris du silence.

Ah, si j'avais toujours gardé une gomme sous la main, j'aurais fait moins de ratures…

Pourtant chacun tue ce qu’il aime/Certains le tuent d’un oeil amer/Certains avec un mot flatteur/Le lâche se sert d’un baiser/Et d’une épée l’homme d’honneur… Impossible de me souvenir du reste de ce poème. Ni de son auteur.

A ce propos d'ailleurs, je cherche un bon dentiste.

Mon type de femme : celle qui n'a pas tout essayé pour me garder.

La convoitise attise la bêtise. 

Le plus exaspérant lors d'une insomnie est de ne plus pouvoir maudire la terre entière tant nous nous retrouvons alors terré dans notre propre geôle sans personne pour nous entendre.

Bien entendu, tout ce que je pourrais être susceptible d'inventer sera absolument vrai. J'en fais la promesse.  

C'est la lie, il n'y a pas plus bas, dit Richard. La classe politique est pourtant parvenue à tous nous intéresser, de près ou de loin, à cette mascarade permanente, ces numéros de prestidigitateurs, à nous enthousiasmer pour cette marche funèbre, légalisant ainsi carrières, salaires, corruption et détournements de fonds, laissant accroire, disons à un citoyen sur deux, qu'il vit en démocratie et peut voter comme il l'entend. Je me demande tout de même, Richard, si elle n'a pas trouvé en certains d'entre nous de dévoués complices.

Jusqu'à samedi dernier, j'étais persuadé de ne pouvoir jamais plus être attiré par une balançoire.

Vous ne croyez pas si bien entendre.

Tout est un peu comme ça, finalement.


Mon type de femme : celle qui s'embrase quand je l'embrasse.

J'avais allumé la radio en me rasant. Une journaliste essayait à l'antenne de mettre en relief les platitudes exposées avec aplomb et séduction facile par une femme venant de signer un livre. Je me demandai, en me coupant sous le menton, quel pouvait être ce piètre personnage dont la voix ne m'était pas familière. Je compris en me rinçant qu'il s'agissait d'un de ces auteurs de rentrée littéraire dont les productions, depuis la première, vantées par la presse unanime, se vendaient comme des savons et dont certaines avaient comme il se doit été primées. Il est bon que l'on nous rappelle parfois ce qui nous pousse à ne pas lire certains écrivains. 

Il va sans dire. Et sans écouter. 

Pourquoi en avoir fait un roman, me demandais-je en refermant ce livre dont les phrases fabuleuses se perdaient de personnages insignifiants en intrigues secondaires – et le contraire. 

Quand j'étais môme, je rêvais du jour où l'on me confierait la rédaction des blagues Carambar. Aujourd'hui, mon salut passera, je le crois, par l'utilisation que pourrait faire de mes Désinscriptions le concurrent avisé de Yogi Tea.

Mon type de femme : celle qui me fait rire et ne s'en offusque pas. 

Lorsqu'elle m'a soudain demandé conseil, j'ai compris qu'elle n'était pas mon amie. Si elle me connaissait vraiment, elle ne se serait jamais aventurée sur ce terrain. Alors, une heure durant, j'ai pu librement lui exposer mon point de vue. Je ne l'ai jamais revue.

Enfin un livre que je lis sans marque-page, tout s'inscrivant parfaitement en moi.

Donnez-moi une seule raison, je manque de place pour en accueillir davantage.

Ils sont toujours plus nombreux, s'affichant même avec fierté, ces sourires de connivence entre journalistes et irresponsables politiques.

Vous ne voulez pas, malgré la vétusté du décor, en rester là ?

 

Charles Brun, Textes inédits à voix basse


vendredi 1 septembre 2017

Désinscriptions effacées


Rémy Soubanère

Toutes ces horreurs que l'on raconte sur moi sont entièrement fausses. La vérité est bien pire.

Enfant, j'avais entendu dire que les gardiens de but étaient tous des êtres un peu dingues, marginaux, artistes... J'ai immédiatement pensé que ce poste était fait pour moi. C'était un beau prétexte pour me tenir en retrait, regarder les autres courir derrière le ballon, laisser place à l'ennui, au songe, collé à mon poteau ou accroupi sur la ligne des seize mètres. Bien entendu, le prix à payer fut de prendre un nombre inconsidérable de buts que l'on dit stupides.

C'est votre opinion, et je ne la partage pas sur mes réseaux sociaux.

S'il débutait aujourd'hui, Emmanuel Bove écrirait-il Mes Followers ?

Mon type de femme : celle qui possède encore jalousement un beau papier à lettres. 

Ne peut être foncièrement mauvais un penseur ayant intitulé l'un de ses premiers ouvrages Sur le blabla et le chichi des philosophes tout en se rêvant chanteur de charme.

Faites un effort, ne vous mettez pas à ma place !
La nuit somnambule et inconsciente me dicte toujours les meilleures désinscriptions. Partant, il m'est impossible le matin de les inscrire telles quelles sur mon cahier.

Lorsque j'avais vingt ans, la plupart des copains de mon âge tentaient de s'émanciper de leurs parents. Moi, je rêvais que s'émancipent les miens.

J'aurais aimé être un de ces footballeurs que l'on achète uniquement pour blanchir de l'argent, passant d'un club à l'autre, sans jamais en porter le maillot, sans même avoir le temps de défaire mes valises.

D'après une histoire vraie... Un film qui fait du bien... Un témoignage bouleversant... Ce type de slogan suscite en moi des envies de meurtres. Dont je me garde bien, ces cons seraient capables d'en tirer de nouveaux produits aux accroches édifiantes.

Lorsque ma fille a quitté la maison, elle m'a serré dans ses bras, me faisant promettre de l'appeler si ça n'allait pas. Et tous deux, nous avons planqué nos larmes gauchement, comme lors de la projection, à la Cinémathèque française, du film de Sirk, Le Mirage de la vie.

Improvisation est le terme que je préfère. Il s'applique parfaitement à tous les moments importants de ma vie. Comme aux autres.

A vingt ans, j'ai compris qu'il me fallait, comme on dit, connaître la vie. J'ai bourlingué, aimé, multiplié les boulots, eu des enfants, morflé, trahi. Avec l'âge, je me suis assagi, ai appris à boire et à lire. Aujourd'hui, le peu que je sais encore, je l'ai appris par les livres et les bistrots. Il me faudrait repartir à l'aventure mais je n'en ai plus ni la force ni le désir. A cause des livres ou de l'alcool ? 

Moitessier moi aussi. Après une longue route en solitaire, j'ai préféré ne pas franchir la ligne d'arrivée et continuer mon périple vers d'autres océans. Une seule différence : jamais personne, il me semble, ne fut sur le point de me déclarer vainqueur.
Mon type de femme : celle qui, en découvrant ma bibliothèque, ne me demande pas Vous avez tout lu ?

C'est décidé, demain, j'en finirai avec cette existence. Là, vous m'excuserez, il se fait tard et j'ai un nombre incalculable d'heures de sommeil à rattraper.

Charles Brun, Vous pouvez envoyer le bonheur