mardi 31 janvier 2017

Au feu !


Je ne parviens pas à m'en souvenir précisément. A cette époque-là, je buvais pas mal. Au moins tous les soirs. Je n'arrivais à rien et tout me résistait. Sauf quelques filles. Je ne sais plus laquelle c'était. Comment je l'avais rencontrée. D'où elle sortait. Son nom. Sa couleur de peau. Sa position préférée. Rien. Je me souviens juste qu'elle m'emmerdait. Qu'elle s'accrochait. J'avais réussi à dégoter un être encore plus lamentable que moi. Parfois ça a du bon. Mais ce soir-là, je m'étais réfugié dans le salon. Elle m'avait raconté sa vie. Et malgré tout, voulait que je reste près d'elle. Comme s'il pouvait y avoir autre chose : un drame dans l'enfance, une pervesion inavouable, un secret de famille jamais entendu, une attirance exceptionelle entre nous… J'ai migré sur le canapé du salon, en attendant des jours meilleurs, en me retenant de ne pas la mettre à la porte. J'ai pris mon vieil ordinateur offert par un type qui croyait en moi, il y avait longtemps. Il reposait sur l'accoudoir et manquait de se jeter au sol lorsque je fus distrait par un chant. Ça venait d'à côté. J'étais dans cet appartement depuis peu et je ne connaissais pas vraiment mes voisins. Je n'avais aucun sens de l'espace mais je me demandais si l'appartement collé au mien ne correspondait pas à une autre entrée de la barre d'immeuble. Je ne connaissais rien au judaïsme mais j'identifais dans ma soulographie un cantique religieux, un truc à vous faire chialer tant et plus. Un type se livrait à une cérémonie ancestrale ou diabolique. Je tendais l'oreille que je collai rapidement au mur. C'est là que j'ai entendu une plainte. J'ai regagné la chambre et dis à la fille de la boucler si elle ne voulait pas se retrouver sous la pluie à 3 heures du mat' et mal baisée. Avec le recul, j'ai l'impression que je manquais d'estime de moi. Peut-être parce que le terme n'était pas encore à la mode. Mais cette fille qui me réclamait quand même… Qu'est-ce que j'ai pu être con ! Je suis revenu dans le salon et retrouvé ma position de vieux garçon ayant raté sa vocation de concierge. J'avais 41 ans et jusqu'alors, je n'avais sauvé aucune vie, pas même celle d'un moineau dans un square public du 15e. Je ne sais pas ce qui m'est passé par cette tête sur le point de se déboîter, l'AOC de ce que j'avais dedans, et la nationalité de la mélancolie dans mes veines. Le type a repris sa litanie et j'allais le laisser là, et moi aussi, m'endormant debout contre le mur, lorsque j'ai entendu un Au secours bien net, même dans mon état. Et puis, quelques mots indiquant qu'il était tombé de son lit, qu'il ne pouvait pas bouger. Je me suis précipité vers la porte d'entrée, emportant du genou un bazar métallique et lourd que j'identifierais plus tard comme la trotinnette de la femme qui est dans mon lit et qui pensait avoir toujours 20 ans. J'ai maudit Satan, Dieu et tous les fils de pute de l'univers. Effectivement, ma porte donnait sur un palier, avec un appartement en face, mais pas derrière moi. Logique, me suis-je dit. Le rat malade devant ma porte, je ne sais plus si c'est la même histoire, la même fille, mais sûr c'était la même époque. J'ai couru vers le mur, puis m'en suis rapidement détaché pour foncer sur le téléphone. C'est là que l'ordi s'est fracassé. Lui non plus ne croyait plus en moi. J'ai composé un numéro d'urgence au hasard. J'aurais pu tomber sur l'horloge parlante ou l'horoscope, c'étaient les pompiers. Nous savons qui vous êtes, même si vous raccrochez. Je n'ai pas raccroché, j'attendais qu'ils me filent l'info. Mais ils se sont contentés de me demander l'objet de mon appel. J'ai dit tout ce que je savais, et même plus, pour qu'ils ne doutent pas de ma bonne foi. C'est là qu'ils ont exigé mon identité. Ils m'avaient bien eu et j'ai été obligé d'obtempérer. J'ai donné tous les détails. Et puis, je suis allé me coucher. La fille dormait. Ça je m'en souviens. Alors je lui ai raconté l'histoire, à elle aussi. Elle m'a demandé gentiment de fermer ma gueule mais j'ai continué, puis repris lorsque soudain, j'ai entendu des cris de l'autre côté. On venait d'abattre la fenêtre de mon salon. Ces cons de pompiers me demandaient si je me sentais bien. J'ai un peu froid, c'est tout. Je leur ai dit que le cirque, c'était à côté. Ils ont réclamé le code d'entrée que je ne connaissais pas. Ils ont alors fait comme chez moi. Ils sont entrés par la fenêtre du type qui était tombé du lit et je suis retourné dans le mien, heureux de lui avoir peut-être sauvé la vie. Le lendemain, la fille dormait encore. Je ne me souvenais pas de son nom ou de ce que je lui avais fait. Je n'avais pas dormi de la nuit, trop bu, et j'avais pensé à ce type mourant de l'autre côté du mur porteur. Je suis sorti prendre un café. Le gardien était là, attendant mon retour sur terre. Je lui ai parlé du rat, de la fille et du type qui était tombé de son lit et de ma fenêtre de salon à remplacer. Je fais pas ça, m'a-t-il répondu en retournant à son semblant d'occupation. Les rats ou la fenêtre ? Les morts ou les inconnues dans les lits ? Le café a brûlé les dernières vapeurs d'alcool et les derniers espoirs de m'en sortir un jour. La barmaid m'a souri comme on sourit à un malade en fin de vie qu'on visite pour ce qu'on espère être la dernière fois. Je ne lui ai pas laissé de pourboire. Quand je suis remonté, la fille avait décampé. Elle avait pris soin de griffonner un numéro sur une page arrachée à un agenda Hello Kitty. Elle avait oublié sa machine et je l'ai balancée par la vitre brisée. J'ai mis son numéro à la poubelle et suis allé me recoucher. Je devais rendre un article le jour-même et n'en avais pas pondu une ligne. 5600 signes de nécrologie d'une ordure politique, ça pouvait attendre un peu. Le lendemain, j'ai recroisé le gardien. Il était à la même place que la veille. Comme s'il avait dormi là. Je lui ai demandé des nouvelles du type qui était tombé de son lit. Ah, c'est vous ?, qu'il m'a dit. Je me demandais qui avait pu l'entendre, appeler les pompiers et lui sauver la vie. Oui, c'était bien moi, avançai-je, espérant ainsi donner une autre image de moi-même à la terre entière ou du moins au gardien. Dans un premier temps. J'étais pas peu fier. Enfin, ma vie prenait un sens. Qui est-ce ? Que lui est-il arrivé ? Comment va-t-il ? Les questions idiotes, mais de circonstance, se succédaient sans répit pour ce Portugais ahuri sachant à peine lire et écrire, à l'instar de mes parents. Oh, vous fatiguez pas, c'était un pauvre type, un ivrogne, âgé, un petit Juif, malade, solitaire, il est mort désormais, mais vous lui avez prolongé la vie de quelques heures. Je l'ai regardé longuement, me suis appuyé sur son rateau et laissé éclater quelques invectives bien rentrées. Au bar du coin, j'ai fait l'impasse sur le café et commandé un double-cognac et levé mon verre à la mémoire du pauvre solitaire ivrogne qui venait de mourir en attendant la prochaine et à celle de mon ordi fracassé qui me foutait bien dans la merde…

lundi 30 janvier 2017

Lecture et servitude


L'inanité de la notion de progrès, le plus sidérant mensonge de l'histoire, il faut en voir décrits les effets et les méfaits dans La France irréelle de Berl, un ouvrage que se gardent bien de rééditer les fabricants de livres frelatés d'aujourd'hui. Le mot livre, le plus beau mot du monde (Montaigne le dit, et bien d'autres), fruit de l'arbre de la liberté, témoin de l'élévation de l'esclave au statut de l'homme libre, de servus à liber, livre aujourd'hui décomposé, méprisé, haï même, et détruit par tous les suppôts de l'Inquisition et du nazisme de ce temps.

Jean-Claude Pirotte, Traverses, Le Cherche-midi, 2017


Précision : Le livre d'Emmanuel Berl semble disponible dans la collection des Cahiers rouges de Grasset. Dans sa présentation, cette citation :
Pourquoi la politique en France évolue-t-elle moins comme une histoire que comme une névrose ?

dimanche 29 janvier 2017

Un mode nouveau d'exister


La contemplation de cette femme l’énervait, comme l’usage d’un parfum trop fort. Cela descendit dans les profondeurs de son tempérament, et devenait presque une manière générale de sentir, un mode nouveau d’exister.
Les prostituées qu’il rencontrait aux feux du gaz, les cantatrices poussant leurs roulades, les écuyères sur leurs chevaux au galop, les bourgeoises à pied, les grisettes à leur fenêtre, toutes les femmes lui rappelaient celle-là, par des similitudes ou par des contrastes violents. Il regardait, le long des boutiques, les cachemires, les dentelles et les pendeloques de pierreries, en les imaginant drapés autour de ses reins, cousues à son corsage, faisant des feux dans sa chevelure noire. À l’éventaire des marchandes, les fleurs s’épanouissaient pour qu’elle les choisît en passant ; dans la montre des cordonniers, les petites pantoufles de satin à bordure de cygne semblaient attendre son pied ; toutes les rues conduisaient vers sa maison ; les voitures ne stationnaient sur les places que pour y mener plus vite ; Paris se rapportait à sa personne, et la grande ville avec toutes ses voix bruissait, comme un immense orchestre, autour d’elle.
Quand il allait au Jardin des Plantes, la vue d’un palmier l’entraînait vers des pays lointains. Ils voyageaient ensemble, au dos des dromadaires, sous le tendelet des éléphants, dans la cabine d’un yacht parmi des archipels bleus, ou côte à côte sur deux mulets à clochettes, qui trébuchent dans les herbes contre des colonnes brisées. Quelquefois, il s’arrêtait au Louvre devant de vieux tableaux ; et son amour l’embrassant jusque dans les siècles disparus, il la substituait aux personnages des peintures. Coiffée d’un hennin, elle priait à deux genoux derrière un vitrage de plomb. Seigneuresse des Castilles ou des Flandres, elle se tenait assise, avec une fraise empesée et un corps de baleines à gros bouillons. Puis elle descendait quelque grand escalier de porphyre, au milieu des sénateurs, sous un dais de plumes d’autruche, dans une robe de brocart. D’autres fois, il la rêvait en pantalon de soie jaune, sur les coussins d’un harem ; – et tout ce qui était beau, le scintillement des étoiles, certains airs de musique, l’allure d’une phrase, un contour, l’amenaient à sa pensée d’une façon brusque et insensible.
Quant à essayer d’en faire sa maîtresse, il était sûr que toute tentative serait vaine.
Gustave Flaubert, L'Education sentimentale

samedi 28 janvier 2017

Contaminé


5 mai (1967) Me suis levé dans l'anxiété, dans une anxiété, si je puis dire objective, c'est-à-dire que j'avais l'impression que mon état venait de l'extérieur, qu'il était celui des choses, que j'étais contaminé par elles, qu'elles m'avaient communiqué leur tremblement, leur profond malaise, leur attente convulsée, leur terreur tout court.
Cioran, Cahiers 1957-1972

mercredi 25 janvier 2017

Traire un canard



VLAN !
Pas baisé / depuis 20 jours

mon image sexuelle
vaut que dalle.

Si j'étais mort
je n'attirerais pas
une mouche femelle.




Richard Brautigan, C'est tout ce que j'ai à déclarer,
œuvre poétique complète,
trad. Thierry Beauchamp, Frédéric Lasaygues, Nicolas Richard,
éd. Le Castor Astral, 2016


lundi 23 janvier 2017

Des écrivains


Plus il y a d’écrivains, plus il y a d’exaspération. Soit ils sont mauvais : leur nullité nous afflige ; soit ils sont bons : ce qu’ils nous disent nous accable.
Patrik Ourednik, La Fin du monde n'aurait pas eu lieu,
éd. Allia, 2017, 10€


Encore un peu d'illusion



Si la vie doit garder l'illusion d'un contenu quelconque, on se doit de la vivre dans l'intemporalité. Demeurer hors de leur temps est le drame joyeux des gens dotés d'un minimum de jugeote.
Patrik Ourednik, La Fin du monde n'aurait pas eu lieu,
éd. Allia, 2017, 10€


dimanche 22 janvier 2017

Imaginez…


Mes projets

Ecrire un livre sur la fin du monde était un projet qui datait de plusieurs années. J'avais déjà écrit une pièce de théâtre sur le même sujet. Elle s'intitulait Hier et après-demain. Mais c'est une obsession, dit ma femme quand j'évoquai l'idée de remettre ça.
Je ne crois pas. Mais je peux me tromper. Selon les psychologues, l'idée de la fin du monde permet d'accepter sa propre disparition. D'ailleurs, sans aller jusqu'à la fin du monde, la mort des autres est déjà apaisante, disent-ils : pouvoir se dire sur son lit de mort De toute manière ils vont tous y passer ces connards rendrait l'âme plus sereine.
A condition de ne pas croire en l'au-delà. Imaginez ! Imaginez ! Les retrouver tous !

Patrik Ourednik, La Fin du monde n'aurait pas eu lieu,

éd. Allia, 2017, 10€



samedi 21 janvier 2017

L’avenir du monde


L’avenir n’est plus ce qu’il était. Vous avez dû vous en apercevoir : l’avenir n’est plus ce qu’il était.
Dans le passé, l’avenir se déroulait principalement selon trois modes d’action.
[1] Le monde se terminait et tout recommençait à zéro pour un monde identique, version pessimiste de la plupart des croyances.
[2] Le monde se terminait dans un bain de sang effroyable et ultime et survenait alors un monde de félicité, version optimiste de certaines religions.
[3] Le monde ne se terminait jamais et la félicité, qui en était le ferment, allait grandissant jusqu’à la fin des temps, eux-mêmes renouvelables indéfiniment, version téméraire des fins de l’Histoire.
Mais au début du XXIe siècle, ces théories avaient vécu. Les prévisions avaient évolué. Tous les gens dotés d’un certain sens des réalités s’accordaient sur un point : quelle que soit la procédure envisagée, ça finira mal. Soit par un effroyable bain de sang suivi de rien du tout, hypothèse optimiste. Soit par des bains de sang un peu partout suivis par d’autres bains de sang un peu partout, indéfiniment, jusqu’à ce que l’univers se dilate suffisamment pour que sa densité atteigne une valeur infinie provoquant ainsi la destruction des galaxies et des pauvres hères qui les habitent. Certains observateurs y ajoutaient un élément complémentaire : l’abrutissement parallèle et jusqu’ici inconcevable de l’humanité.

Patrik Ourednik, La Fin du monde n'aurait pas eu lieu,
éd. Allia, 2017, 10€

Gâchis


William Saroyan dit : j'ai gâché ma
vie en épousant la même femme
deux fois.

il y a toujours quelque chose
pour nous gâcher la vie,
William,
tout dépend de
quoi ou qui
nous trouve en
premier,
on est toujours
mûr et prêt
à être cueilli.

les vies gâchées sont
normales
tant pour les sages
que pour les 
autres.

c'est seulement quand
la vie
gâchée
devient nôtre
que nous 
réalisons 
que les suicidés, les
ivrognes, les fous, les
détenus, les drogués
et cetera et cetera
font partie de l'existence
au même titre
que les glaïeuls, les
arc-en-ciel
les ouragans
et qu'il ne reste
rien
sur l'étagère de la 
cuisine.


Charles Bukowski, Le Ragoût du septuagénaire,
trad. Michel Lederer

jeudi 19 janvier 2017

Ah, les cons…


Elle avait fait de longues études qui
lui octroyaient une autorité
en la matière, c'était une experte
tout le monde s'accordait sur
ce point
.
Sa grande pratique dans les terrains
vagues et les caves
l'avait conduite à une carrière
exceptionnelle dans la rue puis au sein des meilleurs
bordels
d'ici et des quatre coins de la planète
elle en avait vu 
du pays
et des bites.
Les hommes n'avaient aucun secret
elle savait parfaitement ce qui les
excitait les blessait les rendaient
fiers beaux
et puissants
ses mains sa bouche
son cul
son con
faisaient les délices
de tous et
elle acceptait tous les vices
jamais à court d'idées
en proposait de tout nouveaux.
Elle avait posé dans des magazines
tourné quelques films
de la pub
lancé une collection
présenté des émissions de télévision
on lui prêtait même plusieurs
liaisons
avec des hommes politiques
des comptes secrets
un livre noir et 
une fortune colossale.
Mais le temps n'épargne 
personne
et le corps encore d'un facile abord
c'est sans hésitation 
qu'elle accepta la proposition 
d'une toute nouvelle position.
Ses amis allaient faire d'elle
l'incarnation
de l'espoir du changement
la candidate du peuple
aux prochaines élections.

Charles Brun, Elections piège à cons

Socrate au comptoir


lundi 16 janvier 2017

Une investigation


Parfois je me dis : la vérité réside dans l'ennui
ou
L'ennui est la vérité même.
Ce que j'entends par là est ceci :
L'ennui n'est complice de rien, ni dupe. Il résulte de la distance qu'on a de toute chose, du vide intrinsèque de toute chose ressenti comme un mal à la fois subjectif et objectif. Il n'entre donc dans ses opérations aucune espèce d'illusion ; il remplit les conditions d'une recherche. L'ennui est une investigation.

Cioran, Cahiers 1957-1972

samedi 14 janvier 2017

L'homme fidèle





- Que veux-tu ? J'ai toujours été fasciné par les bottes des femmes. 
- Il m'a fallu attendre 10 ans pour apprendre ça.
- Et moi, 50.
- Qu'est-ce que tu racontes ?
- C'est en revoyant ce film que je m'en rends compte.
- Que tu aimes les bottes ?
- Oui, peut-être parce qu'elles sont rouges...
- Et qu'elle est à moto ?
- Oui, certainement...
- Et parce que c'est Stéphane Audran...
- Ce doit être ça.
- En fait, tu as toujours été fasciné par Stéphane Audran. Quoi qu'elle porte...
- C'est vrai qu'en nuisette dans l'autre film, elle est assez troublante...




- Se faire tromper par une telle femme, c'est une sorte de consolation...
- Tu dis parfois n'importe quoi, ma chérie. La seule consolation possible quand on est trompé...
- ...C'est de tromper à son tour...
- C'est ce qu'on croit, mais rien n'est moins sûr...
- Une chose est sûre en tous cas, on comprend qu'elle préfère Ronet à Bouquet...
- Bouquet est excellent en con.



- Et Ronet en amant !
- Certainement. Et la scène de la visite, quoi qu'improbable, est assez jubilatoire...


- C'est Paul Gégauff au scénario ?
- J'ai pas l'impression... Non, je viens de vérifier : ces deux films sont signés par Chabrol tout seul...
- Curieux. C'est quand même un peu dans l'esprit Gégauff...
- C'est pas lui qui est mort tragiquement ?
- Il a dit à sa copine du moment : Arrête de m'emmerder. Tue-moi si tu veux, mais arrête de m'emmerder. Quelque chose comme ça...
- Et la fille l'a flingué ?
- Oui, avoue que c'est une scène magnifiquement chabrolienne !
- Non, magnifiquement gégauffienne ! Ça fait peut-être partie de la légende du personnage...
- Une excellente dernière réplique si elle est véridique. Les Bonnes Femmes, c'est lui, non ?
- Ah oui ! C'est d'une cruauté incroyable...
- Et Audran y est encore exceptionnelle...
- C'est reparti !
- Que veux-tu ? Je suis un homme fidèle...

Initiation

Quant à l’amour, je le trouvai à dix-neuf ans, par accident, un soir d’automne que je revenais à pied de l’hippodrome d’Auteuil, par les sentiers du Bois de Boulogne. Il faisait presque nuit. Aux abords du Jardin d’Acclimatation, une femme m’accosta. Elle dissimulait autant qu’elle le pouvait son vieux visage, très fardé, sous un chapeau-cloche ; elle eût voulu sans doute s’y cacher toute entière. . .  Elle me demanda de venir avec elle, en m’appelant son petit homme. Personne ne m’avait dit cela encore. Puis, elle ajouta :
« Combien as-tu en poche ? »
Car elle me tutoyait.
Je comptais deux francs cinquante en sales coupures.
« Ça peut aller », dit-elle.
Nous nous écartâmes de la route, jusqu’à une chaise en fer.
« Assieds-toi là. . .  Tu me paieras un sandwich. . .  Après. »
Et la révélation eut lieu là. Des fauves du Jardin d’Acclimatation rugissaient à côté. Moi, je ne dis rien. Ce ne fut pas, d’ailleurs, de l’amour véritable, mais seulement un simulacre rapide, du bout des lèvres, et comme avec quelque négligence de sa part. Pourtant, c’était la première femme qui s’agenouillait ainsi devant moi. L’amour véritable, je le connus plus tard, mais jamais plus peut-être une telle gentillesse.
Après, elle cracha par terre, sans dégoût, puis nous allâmes ensemble à la Porte Maillot où, dans un bistrot, au comptoir, elle mangea un sandwich au jambon de bon appétit. J’avais hâte de la quitter car elle était vraiment très vieille, et il me semblait que les autres se fichaient de moi.
C’est dans ces conditions que je fus initié, pour le prix d’un sandwich au jambon. Ensuite, je n’avais plus qu’à continuer. . .  

Henri Calet, Le Tout sur le tout, 1948

vendredi 13 janvier 2017

Du cinéma pour les oreilles

Brocardé par les critiques de la future Nouvelle Vague, et Truffaut en particulier qui lui préférait le pétainiste Renoir, le Lillois Julien Duvivier n'est certes pas l'équivalent d'un Ford, d'un Bresson ou même d'un Hitchcock. Mais certains de ses films sont incontournables (La Tête d'un homme, La Bandera, Pepe le Moko, La Fin du jour ou bien entendu La Belle Equipe, que Renoir d'ailleurs essaya de lui piquer...)
Dans un univers assez noir, il a dirigé de sacrés monstres comme Louis Jouvet, Victor Francen, Charles Vanel, Harry Baur, Michel Simon, évidemment Jean Gabin plusieurs fois, Viviane Romance, Madeleine Renaud, Dita Parlo, et même Vivien Leigh et racontait sa vie dans le poste en 1957 : son arrivée à Paris juste avant la Première guerre mondiale, pour y faire du théâtre, son expérience de comédien, sa rencontre avec Antoine, ses premiers pas au cinéma, art auquel il avoue ne rien connaître...
Et dire qu'il avait mauvaise mémoire...
France culture a eu la bonne idée de rediffuser les quatre premiers entretiens la nuit dernière. On peut les écouter ci-dessous, ou les podequaster ici.







Deuxième partie de ces entretiens de Charles Ford et René Jeanne. Duvivier revient sur ses voyages (le Canada, le Maroc, l'Algérie, l'Italie, l'Allemagne, les Etats-Unis) et fait part de l'aide précieuse de Franco (!!!), présenté comme un homme très cultivé (re !!!), pour le tournage de La Bandera

mardi 10 janvier 2017

Le choix des mots est important



Paradoxe est le nom que les sots donnent à la vérité.

José Bergamín, Lettre à Miguel Unamuno,
cité par Clément Rosset, Le Choix des mots

dimanche 8 janvier 2017

La Maison de l'honnêteté


Graeme Mitchell


Un po' di tempo fa Nancy era senza compagnia
all'ultimo spettacolo con la sua bigiotteria.

Nel palazzo di giustizia suo padre era innocente
nel palazzo del mistero non c'era proprio niente
non c'era quasi niente.

Un po' di tempo fa eravamo distratti
lei portava calze verdi dormiva con tutti.

Ma cosa fai domani non lo chiese mai a nessuno
s'innamorò di tutti noi non proprio di qualcuno
non proprio di qualcuno.

E un po' di tempo fa col telefono rotto
cercò dal terzo piano la sua serenità.

Dicevamo che era libera e nessuno era sincero
non l'avremmo corteggiata mai nel palazzo del mistero
nel palazzo del ministero.

E dove mandi i tuoi pensieri adesso trovi Nancy a fermarli
molti hanno usato il suo corpo molti hanno pettinato i suoi capelli.

E nel vuoto della notte quando hai freddo e sei perduto
È ancora Nancy che ti dice - Amore sono contenta che sei venuto.

Sono contenta che sei venuto.

Ce texte est la version italienne de Seem so Long Ago, Nancy, de Leonard Cohen, dans l'adaptation qu'en avait faite le grand Fabrizio de Andrè. 


Et voici, une interprétation de l'originale par son auteur. Ces sympathiques gestionnaires du site d'hébergement de vidéos de la maison Gougueule ayant bloqué celle mise ici hier, en voici une, autorisée, en image fixe de la pochette de l'album Songs From a Room. (quand je pense que le moindre crétin interprétant dans sa cuisine cette chanson et en postant la vidéo est considéré comme respectant les droits d'auteurs, j'ai comme des envies de meurtre…)




Comme il n'existe aucune raison de se priver du texte dans sa version anglaise, je le mets ici. 
It seems so long ago,
Nancy was alone,
looking at the Late Late show
through a semi-precious stone.
In the House of Honesty
her father was on trial,
in the House of Mystery
there was no one at all,
there was no one at all.
It seems so long ago,
none of us were strong ;
Nancy wore green stockings
and she slept with everyone.
She never said she'd wait for us
although she was alone,
I think she fell in love for us
in nineteen sixty one,
in nineteen sixty one.
It seems so long ago,
Nancy was alone,
a forty five beside her head,
an open telephone.
We told her she was beautiful,
we told her she was free
but none of us would meet her
in the House of Mystery,
the House of Mystery.
And now you look around you,
see her everywhere,
many use her body,
many comb her hair.
In the hollow of the night
when you are cold and numb
you hear her talking freely then,
she's happy that you've come,
she's happy that you've come.
Et puis, enfin, hommage au site de Patrice Clos, sa traduction française par Jean Guiloineau.
Cela semble si loin,
Nancy était seule.
Elle regardait le tout dernier programme
à travers une pierre semi-précieuse.
Dans la Maison de l'Honnêteté,
on jugeait son père.
Dans la Maison du Mystère,
il n'y avait personne.
Il n'y avait personne.


Cela semble si loin,

aucun de nous n'était bien costaud.

Nancy portait des bas verts

et couchait avec tout le monde.
Elle n'a jamais dit qu'elle nous attendait bien qu'elle fût seule.
Je pense qu'elle tomba amoureuse de nous

en mille neuf cent soixante et un.

Mille neuf cent soixante et un.
Cela semble si loin,
Nancy était seule.

Un quarante-cinq à côté d'elle

et un téléphone silencieux.

Nous lui avons dit qu'elle était belle.

Nous lui avons dit qu'elle était libre.

Mais aucun de nous ne la rencontrerait

dans la Maison du Mystère.

La Maison du Mystère.

Et aujourd'hui, tu regardes autour de toi.
Tu la vois partout.
Beaucoup se servent de son corps.
Beaucoup peignent ses cheveux.
Et au plus profond de la nuit,
dans le froid et l'engourdissement,
tu l'entends parler librement.
Elle est heureuse que tu sois venu.

Elle est heureuse que tu sois venu.