samedi 22 novembre 2014

Simenon, ça déménage

- T'as fini, là ? J'en suis toujours à la même page… Au même paragraphe !
- Mais, qu'est-ce que tu lis ? Tu as changé, tu ne lisais pas ça hier.
- Bien sûr que si. Regarde, page 68. 
- Et alors ?
- Ben, ça veut dire que je le lisais déjà hier.
- Et c'est quoi ce livre, il est tout petit ?
- Ben, un petit Simenon. Comme celui que je t'avais offert. Des rééditions dans ce format pour le centenaire de sa naissance, l'anniversaire de sa mort ou je ne sais pas quoi.
- C'est lequel ?
- Betty.
- Celui qui est devenu un film ?
- Il y en a beaucoup qui sont devenus des films.
- Avec Marie Trintignant.
- C'était un bon Chabrol, non ?
- J'en ai un vague souvenir.
- Pareil pour moi. Mais je crois que je l'avais aimé, celui-là. 
- Moi aussi.
- Ça parle d'alcoolisme.
- Elle est un peu nymphomane aussi, non ?
- Ah bon ?
- Oui, elle a plein d'amants. Elle adore tromper son mari.
- Ne me raconte pas, je n'en suis pas encore là. Sur la quatrième de couverture, il est juste dit qu'elle a été surprise par son mari en flagrant délit d'adultère et s'est enfuie ivre morte, épuisée, désespérée.
- Elle se fait recueillir par une femme.
- Oui, une certaine Laure.
- C'est Stéphane Audran ?
- Je ne sais plus.
- Ça se passe à Versailles.
- Elle atterrit dans un lieu qui s'appelle Le trou.
- Il y a un type très riche et très chiant.
- Ne me raconte pas.
- C'est toi qui devait me raconter des choses.
- Là, j'aimerais avancer un peu dans ma lecture. Je relis la même phrase depuis tout à l'heure.
- Je devrais faire comme toi et reprendre Bowman. Je suis nerveuse depuis que tu n'es plus en moi, j'ai peur de m'endormir et ne plus être avec toi. Et c'est vrai que ce livre agit comme un vrai sédatif.
- Ce n'est pas un peu mieux, maintenant ?
- Ben, là, oui, il y a une histoire d'amour. C'est un peu plus intéressant que les soirées chez ses éditeurs où tu as droit au pedigree de chaque invité. Qu'est-ce qu'on en a à faire ? On se perd dans tous ces personnages secondaires…
- Ça me rassure que tu dises ça. J'avais l'impression que c'était moi qui étais passé à côté de ce livre. Que je n'aurais pas dû enchaîner Un bonheur parfait et celui-ci.
- Je ne comprends pas le délire de la presse. C'est à croire qu'ils ne l'ont pas lu.
- Il a presque 90 ans, n'avait pas publié depuis plus de 15 ans, je crois. Ils sont partis là-dessus. « Le dernier maître de la littérature américaine » et toutes ces conneries. 
- Quel suivisme !
- Quel snobisme !
- Tu ne m'as pas dit : t'as rappelé le déménageur ?
- Non.
- Mais, tu voulais ma réponse dans l'après-midi pour le rappeler.
- Il y a un document à signer et il faut envoyer des arrhes.
- On le fait, non ?
- On n'a pas réussi à baisser le prix, mais ce sont eux, les moins chers.
- Il faut les appeler…
- …pour les cartons, oui.
- Donc, ils nous les filent ?
- Oui. C'est un geste commercial.
- Ils doivent se faire une sacrée marge s'ils peuvent se permettre de nous filer les cartons…
- Oui, la boîte qui donne un devis détaillé nous prenait presque 250 euros rien que pour les cartons et le scotch.
- Tu te rends compte ?
- Je me rends compte aussi que j'en suis toujours à cette phrase puissante de Simenon. Attends, je te la lis. C'est le début du chapitre : « Comment vous les aimez ces cannellonis, Betty ? »
- Quoi ?
- « Comment vous les aimez ces cannellonis, Betty ? » A quoi, elle répond, tiens-toi bien : « Ils sont très bons »
- Naan…
- Si. Il avait un de ces styles, l'homme aux 1 000 femmes !
- 10 000 !
- 10 000 ? T'es sûre ?
- Oui, 10 000 ! Il se vantait d'avoir baisé 10 000 femmes !
- Je me disais aussi, 1 000, ça n'a rien d'extraordinaire.
- Surtout qu'il a confessé avoir payé pour beaucoup d'entre elles.
- C'est vrai. Il aimait aller voir les dames, le père Georges.
- Et toi, t'en as baisé combien ?
- Des putes ?
- Non. Pas des putes.
- Deux.
- N'importe quoi !
- Tu me demandes combien de femmes j'ai baisé, je te dis deux. Les autres filles que j'ai connues, ce sont elles qui m'ont baisé.
- C'est qui l'autre ?
- Parce que tu te comptes parmi les filles que j'ai baisées ?
- Tu viens de le faire.
- Non, tu n'as pas compris ma blague… Baisées, mais pas dans ce sens là.
- C'est toi qui ne comprends pas ma blague !
- Ah, parce que t'estimes que je t'ai baisée ?
- Ben oui, tu as réussi à me faire vivre avec toi, ici, dans cette banlieue où jamais je n'aurais imaginé vivre.
- Bon, j'aimerais bien savoir si elle va digérer les cannellonis, la Betty. Et éventuellement se faire baiser.

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