Edith Gerin, via Undr
Les éditions suisses Héros-limite ont eu l'excellente idée de republier Les Deux Bouts, chroniques que le grand Henri Calet avaient données au Parisien-Libéré au tout début des années 1950 et jadis éditées par Gallimard.
L'auteur de La Belle Lurette dresse le portrait de quelques gens de rien, vendeuse du Bon Marché, éboueur, esthéticienne, menuisier…, rend compte de leurs conditions de travail, de leurs revenus, de la difficulté à joindre les fameux deux bouts, de l'étroitesse de leur existence, les éventuels loisirs, des rêves et des résignations…, texte au détour duquel il glisse à voix basse un commentaire drôle de tendresse, parfois de dérision comme involontaire.
Dans sa postface, Jean-Pierre Baril rappelle les mots de l'« homme immobile », le poète Joë Bousquet, à propos de Calet :
Je ne puis porter sur cet auteur un jugement tout à fait libre ; rien d'imprimé ne me plaît autant que ce qu'il a donné à imprimer. J'approuve de la tête, comme un maniaque, tout le temps que je le lis […] Le comble du bonheur poétique est, selon moi, d'écrire comme lui, et ce point de vue enveloppe une évaluation juste et émue du prix qu'il a payé ce don à l'expérience. Un sourire parcourt ces pages, un sourire est à la fin plus fort que l'horreur qu'elles contiennent […]. Mon admiration pour Henri Calet vient de ce qu'il effleure les plus dangereux écueils sans même les soupçonner. Crispant, atroce, en effet, me semble l'auteur qui jouant, comme Anatole France, avec ses personnages, a toujours l'air revenu du monde où il les pousse. Mais grand, celui qui, les mains dans les poches, les regarde se démener dans leur existence de jouets, et les suit, dans leur ombre, d'un sourire qu'on ne verrait pas s'il n'avait les larmes aux yeux. […] Herni Calet a été découvert par Jean Paulhan, qui a su aussitôt le situer. Par la suite, nous l'avons apprécié, admiré, mais pas assez. Pourquoi ne comprenons-nous pas mieux ce que signifiera son œuvre quand nous serons en cendres ?
Joë Bousquet, Cahiers du Sud, 1947
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