mardi 22 novembre 2016

Notre second tour



- Finalement, tu as bien fait de ne pas venir.
- Je ne t'ai pas manqué ?
- Au début, si. Quand j'ai vu la tournure que prenait la soirée, plus du tout.
- Vous n'étiez que tous les trois ?
- Quatre, en comptant la fille de Françoise, mais on ne l'a vue que pendant le repas. Le reste du temps, elle était dans sa chambre. Françoise rentrait à peine de l'hôpital...
- Comment va son mari ?
- Il rale.
- A cause de la bouffe, je parie.
- Non, il trouve que Françoise n'est pas assez présente.
- Les malades nous emmerdent !
- Elle avait acheté de quoi faire un minestrone et nous sommes tous les trois passés en cuisine pour éplucher les légumes...
- C'est sympa, ça rapproche les convives.
- Sauf qu'ils voulaient suivre la soirée et que la radio et les portables carburaient.
- Qu'est-ce qu'on en a à faire des Primaires ?
- C'est ce que j'ai timidement avancé. Mais ils m'ont mitraillée du regard : Comment ? Tu ne t'intéresses pas à la politique ?
- T'as dit quoi ?
- J'ai repensé à la biographie d'André Gorz que je suis en train de lire. J'ai cité de mémoire un de ses textes des années 70 dans lequel il explique que la politique n'est plus dans la politique, mais dans des actions collectives, associatives, locales...
- Et alors, ça leur a cloué le bec ?
- C'est qui André Gorce ?, ont-ils répondu en lavant les poireaux...
- Mal orthographié, en plus ?
- Certainement.
- Tu leur as expliqué ?
- Ils n'en avaient rien à faire. Le fait que Sarkozy soit éliminé leur importait plus. Le Coca coulait à flot...
- Que du Coca ?
- Xavier ne boit pas, et Françoise ne prend que du blanc. Jacques étant à l'hôpital, personne n'achète de rouge. 
- Ma pauvre chérie, tu aurais mieux fait d'apporter une bouteille.
- J'ai trouvé un fond de bouteille que Jacques a dû ouvrir avant son opération, ça m'a fait un demi-verre. Et j'ai tenu avec ça jusqu'à 22h00, heure à laquelle nous sommes passé à table...
- Vous avez fait la cuisine tout ce temps-là ?
- Pas du tout. Une fois les légumes dans la casserole, on a filé au salon pour regarder la télé...
- ...Quel bonheur !
- Ils étaient comme fous de voir Sarko battu, quittant la politique...
- C'est vrai qu'avec Fillon ou Juppé, on est rassuré...
- Tout en regardant la télé, Xavier commentait les résultats avec ses amis Fessebouc sur son smartphone, tu aurais adoré...
- C'est incroyable, cette maladie ! On est invité à dîner et on passe plus de temps à bavarder virtuellement qu'avec les amis réels...
- Françoise aussi passait des coups de fil... 
- Tu étais donc livrée à ton sort... Dommage que tu n'aies pas pris avec toi la biographie de Gorz. Tu leur aurais lu des passages, ça aurait été fantastique !
- Tout ce qu'il annonçait il y a 40 ans, on le voit aujourd'hui à l'oeuvre, ça n'a servi à rien. On est tombé bien bas.
- C'est une pensée trop dérangeante. On a préféré l'écraser. Les Nouveaux philosophes et les médias s'en sont chargés. 
- Oui, justement, il démonte BHL et consorts, c'est assez drôle.
- Ils ont gagné la partie. Et désormais, tu peux avoir des amis qui, soit-disant, s'intéressent à la politique, mais n'ont jamais entendu parler de Gorz et passent leur temps devant la téloche comme le faisaient nos parents...
- Xavier alternait avec une application qui lui permettait de suivre en direct le vol de son copain.
- Quel vol ?
- Paris-Tokyo, pour son boulot.
- Ah, oui, c'est pour ça qu'il a échappé au dîner, lui ?
- Exact. Xavier me montrait : Regarde, on le voit survoler la Russie. Mais tu m'as déjà dit ça il y a deux heures !
- C'est grand, la Russie.
- C'est ce qu'il m'a répondu. 
- Son application, c'est un gadget. L'avion s'était peut-être écrasé en pleine steppe.
- Non, il pouvait zoomer et voir l'avion avancer...
- Que je suis heureux de ne pas faire partie de ce monde...
- Moi, c'est en regardant la télé que ça m'a foutu un coup de blues... Les voir défiler, les uns après les autres...
- Oui, ce cirque est épouvantable.
- Non, c'était de voir comme ils sont tous vieux. Ça fait tant d'années que je n'ai plus de télé que j'étais restée avec l'image de ces hommes politiques d'il y a 20 ans...
- Et ça te fout un coup de blues de constater qu'ils ont vieilli ? Tu les croyais invulnérables ? Immortels ?
- Pas du tout, c'est à moi que je pensais. Si je croisais quelqu'un que je n'aie pas vu depuis 20 ans, je produirais en lui le même effet que Juppé ou Sarkozy ont produit en moi dimanche soir...
- Tu exagères !
- Tu t'en fous, toi : tu te fais draguer par des jeunes filles à la caisse des magasins.
- Ça t'arrive aussi, et bien plus souvent. Dans le parc, par exemple.
- Oui, mais pas par des jeunes. Seulement par des dingues.
- C'est qui, les dingues ? Le peintre ?
- Ben, oui.
- Tu affirmais qu'il ne te draguait pas et tu me traitais de parano quand je te disais le contraire...
- Il ne le fait plus, maintenant qu'il te connaît. Il en drague une autre, une fille de 20 ans justement.
- Et ça te rend jalouse...
- Pas du tout ! 
- Un peu quand même...
- Non, simplement, lui, avec sa jeunette et toi, avec la  lycéenne l'autre jour ou la fille du magasin bio, je trouve ça injuste...
- J'aurais dû ne rien te raconter... Il ne s'est rien passé. Tu sais bien que c'est toi que je désire...
- Tu as son numéro ?
- Ecoute, voilà, j'avoue. J'ai prétexté du travail pour ne pas aller à ce dîner, mais c'était un travail au corps. Un corps jeune, bien entendu.
- Salaud !
- C'est fini ? Revenons à la politique, c'est tout de même plus drôle...
- Elle t'attendait à la sortie, tu m'as dit.
- Je n'en sais rien. Elle attendait devant le parking deux-roues, mais j'étais garé de l'autre côté, entre deux voitures, et elle ne m'a pas vu.
- Tu te rends compte ? T'as 5 ans de plus que moi et tu intéresses les jeunes filles. Moi, avec mes rides et mes poches sous les yeux...
- C'est vrai. Moi, je n'aurais pas voté pour toi aux Primaires !
- M'en fous, dès que j'ai du fric, je me fais enlever ces poches !
- Mais pour le moment, tu as les poches vides... Je t'assure, il n'y a que toi qui les voie...
- Oui, et je ne vois que ça !
- Et moi, je ne pense qu'à toi ! Viens, dans mes bras...
- Non, je suis trop énervée...
- Pense à André Gorz et à Dorine.
- Je n'ai aucune envie de me tirer une balle, moi, je veux vivre !
- Mais, moi aussi. Mais tu connais ce vieil adage : Pour vivre heureux, vivons cachés.
- Oui, et ?
- Suis-moi.
- Où ça ?
- Pénétrons dans l'
i
soloir pour le second tour, les sondages te sont favorables...

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