Willy Ronis, Café rue des Cascades
On trinquait dur à ces périodes-là. C’était connu des hommes que celui qui se laissait manger par ses souvenirs était bientôt aussi inutilisable qu’un meuble dévoré par les termites.Les bourrades amicales, les coups de gueule éclataient, formaient une cacophonie bizarre qui avait le pouvoir de chasser les pensées susceptibles de vous faire du mal. Bouboule, le Manchot, la Douleur s’en donnaient à qui mieux mieux avec l’aide de la Tenaille, le benjamin.Quoique le plus jeune de tous, Pierrot la Tenaille était un homme, et faisait tout pour le paraître davantage encore. Son surnom de la Tenaille lui venait de la façon dont il serrait la main. Il saisissait les doigts tendus et dans un grand effort les écrasait avant de les rendre meurtris à leur propriétaire. Adopté par ses pairs quelques jours après sa sortie de maison de correction où il filait la vingt et une, il n’eut pas besoin de faire de longues études pour apprendre la liberté. S’il n’écrivit jamais son nom sur un cahier d’écolier, il fut un auditeur attentif aux cours du soir qui se tenaient régulièrement devant les comptoirs de bistrot.
Robert Giraud, La Petite Gamberge, rééd. Le Dilettante, 2016
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