samedi 26 novembre 2016

Sauve qui peut (le cinéma)



Pour un travail avec des lycéens, concomitant du décès de Coutard, je me suis retrouvé, avec appréhension, devant des passages de films de Godard. Ceux des débuts, A bout de souffle, Le Mépris, Pierrot le Fou... Sur un ordi, les plans de ce dernier film m'ont de nouveau sidéré. Il fallait que je sélectionne des extraits et j'étais incapable de couper. Tout me paraissait exemplaire.
Je me suis souvenu comment le premier film de Godard m'avait bouleversé à leur âge. Je parle du premier Godard qu'il me fut donné de voir, Sauve qui peut (la vie) J'avais 17 ans et ça se passait dans le cinéma du centre commercial de ma ville de banlieue où je n'avais vu jusque là qu'un western avec mon père et peut-être une comédie avec ma soeur... Je n'y compris pas grand-chose. Ce regard froid sur l'amour - ou tout au moins le couple - frappait juste. Et ne se contentait pas que de me frapper. D'une cabine au coin de la rue, j'avais tenté d'inviter une camarade de classe dont je me croyais amoureux et elle m'avait envoyé promener, me condamnant à l'étouffement dans cette boîte dont je ne parvenais plus à sortir. J'avais vu le film avec Pascal. Qui me parlait de Godard, Eustache, Rohmer, Truffaut, Ozu, Bresson, noms alors de moi inconnus. Pascal qui m'avait fait découvrir Bove et le vol de bouquins…
Les livres, bien qu'il y soit souvent fait référence à Duras, étaient au centre du film de Godard, m'annonçant leur rôle de consolation, m'incitant à suivre le chemin de Pascal. Je compris également que le cinéma, ça pouvait être ça. Je me trompais bien évidemment. Il fallait penser le cinéma aurait pu être cela - cette liberté de récit, ce rêve d'art total, que je ne retrouverais que dans certains romans -, le fut un court moment, ne le sera jamais plus. Fort heureusement, j'étais plutôt limité intellectuellement, inculte, pauvre et naïf et plongeai dès lors timidement dans une fascination pour la salle obscure et les films de Godard. J'ai progressivement découvert toute sa filmographie, et celle de ses vagues potes, celle de ses maîtres et les films de ses quelques invraissemblables disciples. Je respirais, lisais, parlais, chantais, baisais, chiais Godard. Le moindre entretien avec le Suisse était avalé, relu, soigneusement conservé. Ses films, et quelques autres, me permettaient de ne pas entrer totalement dans la vie d'adulte, de ne jamais envisager de plan de carrière, Permanent vacations. L'année du cinquantenaire de la cinémathèque, Dieu en personne est venu présenter une bobine d'une poignée de films et des rushes de Soigne ta droite. Je pense que j'étais le premier taré à se geler les couilles en attendant Godard et l'ouverture des portes du temple. Quelques années plus tard, encore libraire et vraiment par hasard, je me suis retrouvé à écrire sur le cinéma. Et l'un des premiers papiers publiés concernait la reprise d'Alphaville.
Un jour, je me suis aperçu que ma vie était un joyeux naufrage, épouvantablement mis en scène, et que les bouquins m'importaient plus que le cinéma, ce qu'il était déjà devenu. Constat douloureux il va sans dire. Par je ne sais quelle absurde croyance, et trahison à ma jeunesse, j'avais essayé d'être enfin adulte, avoir un travail, des enfants... Il va sans dire que mon petit Titanic n'a guère été remis à flot et que le seul émerveillement rencontré au cours du désastre programmé fut de faire découvrir à mes filles, très jeunes, des bribes de mes anciennes amours.
J'ai montré quelques extraits aux lycéens. Du A bout de souffle - Allez vous faire foutre -, du Pierrot - Qu'est-ce que je peux faire ? -, du Mépris - Un monde qui s'accorde à nos désirs... J'en ai vu dormir, d'autres se réjouir... 
En écoutant ce matin ce très court entretien avec Godard diffusé en 1966 et égaré dans une récente nuit de France Culture, un frisson m'a parcouru la cervelle à hauteur de ce que j'avais paumé en chemin, et tel un mort j'ai vu ma vie défiler devant mes yeux...





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