jeudi 24 novembre 2016

Quand vous aurez compris

Patrice Molinard

Voilà bientôt vingt ans que je me beaujolise
Dans tous les mauvais lieux ouverts après minuit
Je commence à pencher comme la tour de Pise
Je m’accoude au Pont-Neuf la Seine va sans bruit
Et je dis au clochard « tu vois, c’est la Tamise »

Alors on va s’asseoir on fouille un peu ses poches
On parle d’Henry IV et d’un certain troquet
Qui reste ouvert la nuit
Et qui n’est pas trop moche
A cinq ou six cents mètres là-bas sur les quais
Et on a le cœur pur comme un cristal de roche

Le désir impérieux de raconter sa vie
Son service militaire ses embarras d’argent
Son besoin d’amitié la jeunesse partie
La connerie surtout de la plupart des gens
Le rouquin renversé et que la manche essuie

Alors on se relève on longe les murailles
On s’en va jusqu’au Louvre et jusqu’à l’Opéra
On a la jambe molle et la voix qui s’éraille
On va retourner boire lequel des deux paiera
On a l’œil un peu vague et le sang qui se caille

A sept heures du matin au métro Pyramides
Un loufiat mal luné met ses tables dehors
On dit n’importe quoi j’ai les yeux tout humides
Mon copain de la nuit a l’air d’être ivre mort
Je le laisse tout seul achever son suicide

Voilà bientôt vingt ans peut-être davantage
Que je fais le guignol à n’importe quel prix
Entre le delirium la sagesse et la rage
Revenez donc me voir quand vous aurez compris
Et ne condamnez rien avant d’avoir mon âge

Bernard Dimey, La Tamise

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