Un troisième est arrivé, les mains vides, rejoignant sur le banc les deux autres qui sirotaient leur canette 50cl. La femme avait un accent, l'homme, plus jeune, en tee-shirt, je ne l'entendais pas. Il offrait son visage au soleil voilé mais déjà agressif de ce début d'été. Le troisième larron n'avait ni bière ni accent. Ni temps devant lui. L'air ravagé de celui qui a mené une vie agitée, hors normes, même si les normes se résument pour beaucoup d'entre nous à un travail régulier et à une voiture ou un ordinateur neufs tous les six ans. Il avait la gueule de celui qu'on retrouve un matin d'hiver, ayant définitivement abandonné la vie, en hyperthermie. Un de ces hommes que, depuis longtemps déjà, nous ne désignons plus que par trois lettres, leur refusant ainsi leur appartenance au genre humain. Nous disons rarement personne ou homme sans domicile fixe, mais SDF, sigle plus commode, plus anonyme. Le terme de clochard a également disparu. Est-ce parce qu'il y en a trop ? Quand j'étais enfant, le dimanche, sur le chemin du bois, avec mon père, nous croisions avec amusement le clochard. Sa barbe, je crois bien fleurie, et sa poussette remplie de bric-à-brac en faisaient une caricature. Celle du clochard des dessins animés ou des films burlesques en noir et blanc. Nous n'en connaissions qu'un seul. Et n'en n'avions pas peur. Peut-être la disparition du terme clochard, son remplacement par une abréviation, a-t-il à voir avec la peur. Nous n’entendrons jamais parler de SDF célestes.
Après
avoir longuement serré la main de la dame, le dernier venu s'est mis en bout de
banc et la conversation s'est concentrée sur un autre type. Le troisième homme
indiquait un coin du square. Lieu du crime. Celui commis par le sujet de leur
débat. Il a pissé là-bas. Le vacancier en a rajouté, révélant qu'il était allé
bien plus loin. L'autre le savait, mais n'avait pas voulu en parler, précisant
simplement que le criminel n'avait pas de papier chez lui, il était déjà allé
une fois, et y'en avait pas, il était formel, avec le RSA, on ne peut pas en avoir
tout le temps, du papier.
C'est
alors qu'un vieux bonhomme s'est pointé. Court sur pattes, il portait des
lunettes noires sportives, un modèle pour skieurs ou surfeurs. Et un sac de la
parfumerie du coin. Il s'est avancé vers le banc de ses petits pas que des jambes
peu sûres lui permettaient tout juste. Il s'est immobilisé à quelques mètres du
groupe dont les regards des trois membres s'étaient posés sur lui. Il a repris sa marche et
est parvenu à la hauteur des assis. Papy était son surnom dans la bande. Il a dit
que ça allait avec ce beau temps. Il leur a serré la pince à tous les trois. Ou
bien était-ce dû à la taille trop grande de sa veste à carreaux ? Non,
non, ses jambes étaient anormalement courtes. Je pensais qu’il trouverait une place à son tour sur le banc, mais il n’a
pas pris la peine de s’arrêter et a péniblement rejoint un autre banc, au fond
du parc, en plein cagnard. Avec ses lunettes de compétition, il était paré à
toute attaque de son ami le soleil.
La
bande a repris son conciliabule. Mais la femme a demandé de sa forte voix s'ils
ne voulaient pas changer de disque, elle en avait marre. Ça ne l'avait pas
empêchée de descendre sa bière, mais elle en avait assez. Son accoutrement n’avait
rien d’élégant. Un vieil imperméable autrefois blanc cassé, un fichu d’une
couleur proche sur la tête, et des bas fatigués lui conféraient l’air d’une
néo-réfugiée, mais malgré son accent et la compagnie de ce midi, elle tenait
aux bonnes manières. C’est alors que le non-buveur s’est levé en saluant les deux autres, retenant son envie de dire merde à la galanterie et à la fausse bonne
éducation de cette étrangère. On ne la lui faisait pas. Il a prétexté qu’il
fallait qu’il y aille, qu’il avait des trucs à faire. Il n’avait de temps ni
pour boire, ni pour dorer au soleil, pas plus pour tenir des débats
philosophiques et chiadés. La vie est trop courte, il le savait.
Je les ai regardés encore un moment. Ils parlaient plus bas, hochant la tête vers leur compère parti. Et puis, je me suis levé, ai balancé la barquette de salade de quinoa bio dans la première poubelle et repris le chemin du boulot, à regret.
Je les ai regardés encore un moment. Ils parlaient plus bas, hochant la tête vers leur compère parti. Et puis, je me suis levé, ai balancé la barquette de salade de quinoa bio dans la première poubelle et repris le chemin du boulot, à regret.
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