jeudi 25 juin 2015

Une histoire de chiffonnier


En 1949, Henri Calet se lance dans un petit guide de Paris, uniquement consacré aux XIXe et XXe arrondissements qu'il a connus enfant. Muni du Paris Guide paru à l'occasion de l'Exposition universelle de… 1867, il traverse ces quartiers populaires et tristes, où seuls des draps suspendus aux fenêtres apportent parfois une couleur, un ton différent. En quelques mois, l'enquête et la rédaction de l'ouvrage sont bouclées. Le livre ne paraîtra jamais. 60 ans plus tard, Jean-Pierre Baril, spécialiste de Calet et restaurateur de parquets, réunit les textes parus dans des périodiques entre 1947 et 1970 et les versions dactylographiées conservées à la bibliothèque Jacques-Doucet de la Sorbonne. C'est un travail de plusieurs années. Fort heureusement, la moquette et le lino, on en est revenu. Et Huit quartiers de roture peut enfin voir le jour aux Editions du dilettante. 

Chiffonnier de son passé – il est officiellement né Passage Julien-Lacroix –, tout au long de ces pages, Calet cède au désespoir face à la désolation des rues et des immeubles. Grâce à son vieux guide, il nous rappelle l'histoire, parfois erronée, de ces arrondissements qu'il découpe donc en huit quartiers, ignorés par les touristes – il n'y a rien à voir, on y survit plus qu'on y vit –, mais visités tous par les guerres, les révoltes et les révolutions. De son écriture discrète, légèrement nostalgique et fragile, Calet nous entraîne avec lui aux abattoirs de La Villette, aux Buttes-Chaumont ou à Belleville, décors d'un imaginaire révolu, résistant encore à notre vision actuelle de quartiers désormais en grande partie gentrifiés, semblables en bien des points aux Xe ou XVIIe arrondissements. Constatant en fin de livre, la prédominance d'une certaine disgrâce dans son texte, Calet s'en excuse, regrette de s'être montré injuste, de n'avoir rien dit de ce qui se passe derrière ces murs. Et bien que le voyage fut agréable, avec en tête un vers fameux de Baudelaire, les livres de Dabit ou de Bove, on le regrette également un peu. On se consolera avec les autres ouvrages de Calet, dont Monsieur Paul, composé presque en parallèle, et publié en 1950.

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