mercredi 17 juin 2015

Nostalgie en noir et blanc




Je n'y suis pas allé. Je ne m'y rendais plus depuis un moment. La reprise par Gallimard, le déménagement, la froideur du lieu, ma nouvelle vie de famille... La Hune a fermé et malgré l'invitation par mail à sa dernière rencontre, je n'y suis pas retourné. J'en éprouverais presque de la culpabilité. D'ici qu'on me dise que c'est de ma faute... J'avais découvert le quartier de Saint-Germain du temps de mes études à Jussieu. J'étais sous influence Eustache et entrai un jour au Flore, prendre un café quatre fois plus cher qu'ailleurs. Ou m'étais-je trompé et assis aux Deux Magots ? Il y a vingt ans, le Divan avait été expulsé du quartier par une enseigne de luxe, de cet angle même où La Hune se réinstalla de manière plus qu'éphémère. La maison mère ne la jugeant pas rentable, elle en a réduit le personnel, le fond, les horaires d'ouverture pour finir par ce que l'on sait.
Je l'ai beaucoup fréquentée - alors même que le quartier ne ressemblait plus à grand-chose, finis aussi le drugstore Saint-Germain, rendu célèbre par Carlos, Publicis le refilant à Armani, et le cinéma attenant dont j'ai oublié le nom... J'y trouvais un refuge, la nuit quand la solitude devenait trop envahissante. Un coup de scooter ou de métro et me voilà, jusqu'à minuit, entouré de livres, de revues, d'odeurs aussi. La Hune, son ancien site, c'était oui une odeur. Entre renfermé, sueur et humidité. Comme l'avant-scène de la mort. Du temps du Virgin mégastore, il m'arrivait également de le fréquenter pour les mêmes raisons. Acheter un livre en pleine nuit me rassurait. J'en feuilletais quelques pages au comptoir d'un bar, une bière ou un chinon pas loin et je retrouvais l'illusion d'être vivant, accompagné, guidé presque. J'avais pris cette habitude du temps où je vivais dans douze mètres carrés, quand je savais que je ne parviendrais pas à trouver le sommeil malgré l'exiguïté de ma chambre. 
Reste L'écume des pages... 
Saint-Germain et sa place Beauvoir-Sartre, un étroit terre-plein entre deux grandes artères, est depuis longtemps une pièce de musée, une attraction optionnelle pour touristes égarés ou nostalgiques, du folklore parisien facilement absorbable entre notions d'existentialisme et rêves de haute-couture, So typical ! Tout y est fake, comme dit mon pote écrivain. Même les philosophes y habitant encore... Des tartes à la crème !
Un jour, une nuit plutôt, ivre dans une soirée dans le 11e, j'avais rencontré une jeune Américaine, danseuse et héritière d'un bel appartement sur le boulevard Saint-Germain. Pour notre premier rendez-vous, j'avais proposé de nous retrouver à La Hune. J'avais dû lui expliquer ce qu'était une librairie... J'exagère à peine. J'ai eu du mal à la reconnaître, à jeun. Je la trouvais fadasse, très jeune, vide, je me trouvais très vieux. Il ne s'est rien passé. J'ai fini la soirée seul, à boire à la mémoire d'Eustache et à ma jeunesse perdue.

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