vendredi 9 janvier 2015

Une nuit aux urgences

Je suis horrifié par la tuerie, comme tout le monde, j'espère. Mais je ne comprends pas l'appel aux dons de Charlie Hebdo. J'avais cru entendre notre chère ministre de la culture, Fleur Pellerin, promettre une aide exceptionnelle d'un million d'euros pour le journal.

Libération peut s'enorgueillir d'accueillir ce qu'il reste de la rédaction de Charlie Hebdo dans ce qu'il reste de sa propre rédaction après les différents plans de restructuration ayant frappé récemment ce journal moribond.

Je m'en suis voulu hier soir après ma tentative d'explications énervée à ma belle fille. Comme de nombreux gamins, elle avait obéit à la consigne colportée par les réseaux sociaux de mettre une bougie à la fenêtre en hommage aux 12 morts. J'ai parlé de geste moutonnier, de l'amplification insupportable du moindre événement à travers nos téléphones intelligents qui nous rendent de plus en plus cons et suiveurs - d'ailleurs n'est-ce pas le terme officiel désignant les personnes qui s'abonnent à un fil Twitter, dont l'action justement grimpe en ce moment ?! Elle n'a que onze ans et me regardait l'air ahuri, comme inquiète pour ma santé mentale. 


Lorsque je suis arrivé cette nuit aux urgences, il n'y avait dans la salle qu'une seule personne.  Chouette, me suis-je dit, ça va aller vite. Mais il n'y avait personne au guichet d'accueil. J'ai demandé à ce jeune homme occupé par son smartphone s'il avait vu quelqu'un. Il m'a affirmé n'avoir vu personne depuis qu'il était là. Etonné, j'ai voulu savoir depuis quand il attendait. C'est alors qu'il m'a avoué n'être ici que pour attendre le premier métro et ne rien pouvoir faire pour moi. Je me suis assis devant l'écran diffusant BFM dont le journal en boucle était entièrement consacré à la traque des tueurs-ennemis-publics-N°1 et aux réactions à l'attentat de mercredi. Au bout de cinq minutes, j'ai été pris d'un malaise. Après plusieurs années sans TV, privé de cette hystérie quotidienne de l'info en boucle, le choc était trop violent. Cette douleur avait pris le pas sur celle qui m'avait mené là. J'ai pris mon téléphone qui n'a rien d'intelligent le salaud et ai composé le numéro de l'hôpital. La situation ne me paraissait même pas surréaliste. La bande diffusée après deux sonneries et proposant un menu de chiffres à taper sur son clavier selon la nature de l'appel, indiquait que, pour les urgences, il fallait se déplacer directement à l'hôpital si l'état du malade le permettait ou composer le 112. J'ai fait le choix 4, autre demande. J'ai expliqué que j'étais aux urgences depuis une demi-heure et qu'il n'y avait personne. Le garçon en a profité pour partir sans me saluer. Et mon interlocutrice ne comprenait rien de ce que je lui disais. J'ai refait le film et décrit la salle d'attente, BFM et le coin maladies tropicales et Ebola. Elle m'a fait patienter me certifiant qu'elle allait appeler "la personne en question". Un instant, j'ai cru qu'elle parlait d'un infirmier psychiatrique. J'ai entendu plusieurs sonneries et enfin, la voix de mon sauveur. Il m'a expliqué que justement, il était occupé à sauver un homme qui n'allait pas bien du tout et qu'il se chargerait de moi après et qu'est-ce que j'avais et est-ce que j'avais mal et tout ça. Je me suis senti bien ridicule avec mon orteil écrasé par une bûche de bois de 50 centimètres alors que quelqu'un, peut-être un homme exceptionnel, était entre la vie et la mort derrière les portes closes. J'ai repris le visionnage de BFM, Roger Marion se succédait à lui-même, j'en avais les larmes aux yeux. Et puis, il y a eu le bulletin météo, débité à toute berzingue par une clone de miss météo canalplus. Ça m'a un peu plus intéressé. D'autant qu'étaient annoncées des températures inhabituelles pour la saison. Une heure et demi plus tard, en sortant avec ma supposée fracture du petit orteil, j'ai dégoté mon pantalon k-way sous la selle de ma Vespa et maudit définitivement BFM, Météo France et toute cette diarrhée visuelle quotidienne. 

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