- Qu'est-ce que tu as ?
- Rien.
- Je sais bien que tu as quelque chose : tu ne dors pas...
- J'ai mal ici.
- Dans la poitrine ?
- Oui, et le long des côtes.
- C'est à force de tousser.
- J'ai peut-être pris une mauvaise position.
- Ça fait longtemps que tu as mal ?
- Oui.
- Longtemps comment ?
- Je me suis réveillée parce que j'avais envie de faire pipi et je me suis rendu compte que je ne pouvais pas bouger.
- Comment ça, tu ne peux pas bouger ?!
- Dès que je bouge, ça me fait terriblement mal.
- Tu veux que j'aille te chercher un doliprane ?
- Non. Ça va passer.
- Je vais t'en chercher un.
- Non, j'ai dû prendre une mauvaise position.
- Quelle mauvaise position ? Tu t'es endormie contre moi, de l'autre côté. En revanche, ça fait plus de trois semaines que tu tousses. Tu prends plus de sirop ?
- Tu vois ? Ça ne sert à rien de voir un médecin. Elle m'a juste filé ce sirop pour toux sèche et du sérum physiologique.
- Tu sais qu'on ne devrait pas dire sérum pour ce truc ?
- Ah bon ?
- C'est une appellation abusive.
- On devrait dire quoi ?
- Solution.
- Ben ça aussi, c'est abusif : deux semaines après, je tousse encore. Et arrête de rire ! Dès que je ris ou que je tousse, ça me fait mal.
- Et tu tousses de plus en plus.
- Oui, maintenant, c'est plus caverneux. Alors qu'elle m'avait dit que ça ne durerait que trois jours.
- C'est une débutante, Jennyfer.
- Jennyfer !
- Jennyfer Rodriguez !
- Espagnole ou pas, c'est une conne !
- Elle n'est pas tout à fait espagnole.
- C'est toi qui me l'a dit !
- Son père est de Melilla.
- Et alors ? C'est pas en Espagne ?
- C'est une ville de ce qu'on appelait autrefois le Maroc espagnol.
- Le quoi ?
- T'as jamais entendu parler du Maroc espagnol ?
- Non, je savais pas qu'il y avait un Maroc espagnol.
- Le Front Polisario, ça ne te dit rien ?
- Non.
- On n'a pourtant pas une si grande différence d'âge...
- Je te remercie.
- Le Front Polisario avait fait parler de lui dans les années 70, s'opposant à la présence espagnole. Je crois qu'il existe encore. Mais le Maroc espagnol n'existe plus.
- Alors, pourquoi tu m'en parles ?
- Parce qu'il reste deux enclaves espagnoles au Maroc : Ceuta et Melilla.
- Donc, Jennyfer est espagnole !
- Si tu veux.
- Tout ça pour ça ?! En tous cas, on n'a pas idée d'appeler sa fille Jennyfer quand on est espagnol !
- Pourquoi ? Je suis sûr qu'il y a des Jennyfer Durand ou des Jennyfer Dubois et c'est tout aussi grotesque.
- Ah oui, je n'y avais pas pensé... Arrête de me faire rire !
- Mais ça ne se voulait pas drôle !
- Mais ça l'est !
- N'exagérons rien.
- Et toi, pourquoi tu ne dors pas ?
- Je me demandais si je ne ferais pas mieux d'aller aux urgences...
- Pour ton orteil ?
- Ben, oui. T'as vu la couleur qu'il a ?
- T'as mal ?
- Oui, ça me lance. Quand je pense à ce con : faut faire attention !
- Quel con ?
- Freddy, le livreur de bois. Il balançait les bûches sur le trottoir pendant que je les ramassais pour les faire entrer et quand l'une d'elles m'est tombée sur le pied, tout ce qu'il a trouvé à dire, c'est "faites attention" !
- Tu ne m'avais pas raconté...
- Et sa tête, bon sang ! Au téléphone, il m'avait paru un peu concon, mais si tu avais vu sa tête, tu n'aurais pas pu te retenir de rire.
- Pourquoi ?
- Une tête de clown avec son kit mains libres Bluetooth sur l'oreille ! Un mix entre Michou et un personnage de bûcheron sorti tout droit de Fargo.
- La série ?
- Non, le film. La série, je ne l'ai pas vue.
- J'espère bien que tu ne l'as pas vue.
- Pourquoi ?
- Parce que je ne supporterais pas que tu l'aies vue sans moi.
- Il paraît que c'est bien.
- Oui, j'ai hâte de voir ça. Tu souffres, mon chéri ?
- Ce qui m'inquiète, c'est que j'ai mal au genou aussi.
- De la même jambe ?
- Oui, sinon ça ne m'inquiéterait pas.
- Et en quoi, c'est inquiétant ?
- J'ai peur de la gangrène.
- T'es pas bien ?!
- La nuit, les peurs les plus absurdes ressurgissent, tu sais bien.
- Oui, mais quand même, la gangrène !
- Y'a pas des gens qui sont morts pour un coup sur le pied ?
- Si, Lully !
- Tu vois ?
- Mais c'était au XVIIe siècle !
- Et alors ? Le corps humain ne réagit plus pareil aujourd'hui ? Il résiste mieux à la douleur ?
- Arrête de me faire rire !
- On est bien tous les deux ! On a enfin la maison de nos rêves et on est là, deux éclopés.
- Arrête, ça me fait mal.
- Tu veux pas qu'on aille aux urgences ensemble ?
- Je peux pas laisser ma fille toute seule.
- Y'a le chien ! Je n'ai aucune envie d'y aller tout seul. On pourrait demander un tarif couple.
- Arrête... T'as peur ?
- Pas très envie d'y passer la nuit.
- Je te comprends. Quelle horreur !
- En même temps, je me dis qu'il faut quand même la faire, cette radio. Comme je ne dors pas, autant y aller maintenant. Et puis, il y a peut-être moins de monde à cette heure-ci.
- Vas-y, alors.
- Mais je ne veux pas t'abandonner alors que tu ne vas pas bien.
- A quoi on va ressembler demain ?
- On est déjà demain !
- File, j'aurais peut-être une chance de dormir si tu n'es plus là.
- Sympa...
- Je voulais dire : si tu n'es pas là, on arrête de parler et je peux peut-être me rendormir jusqu'à la sonnerie du réveil.
- Bon, ben, j'y vais.
- Tu me raconteras.
- Bien sûr.
vendredi 9 janvier 2015
Bonne résistance à la douleur
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