- C'est sympa ici.
- Tu n'étais jamais venue ?
- Non. C'est un peu le rêve, cet espace dans Paris... Alors, comment allez-vous ?
- Comme de bons citoyens qui attendent avec impatience l'instauration de l'état d'urgence permanent.
- Oh, ça va...
- Tu ne vas pas commencer ton petit numéro !
- On vient à peine d'arriver...
- C'est toi qui me demande comment je vais. Tu voudrais que je te dise que je suis heureux de vivre dans une démocratie à parti unique ?
- Tu manges quoi ?
- J'ai goûté ce truc-là, c'est pas mal...
- On pourrait se prendre une bouteille...
- Au moins... En tous cas, je suis heureux de vous revoir, je ne pensais pas qu'un jour...
- Qu'est-ce que tu racontes ?
- Je pensais être devenu persona non grata.
- Qu'est-ce que tu racontes ?
- Le soir des éléctions, vous m'avez invité à quitter le pays.
- Qu'est-ce que tu racontes ?
- Exact, je m'en souviens. Tu n'arrêtais pas de te plaindre et j'ai dit ça, oui, mais comme une boutade.
- Tu as dit ça ?
- Oui, oui, mais c'était comme ça...
- Pour rire. Comme Macron quand il se moque gentiment des Comoriens.
- Il suffit de ne pas parler politique...
- Ah...
- On peut parler de tout autre chose.
- Et fermer les yeux, faire semblant... Tout est politique, n'oublie pas.
- Il n'y a personne pour l'arrêter ?
- Mais je n'invente rien. Tout est politique, c'était le slogan de 68 dont on va fêter les 50 ans l'an prochain, non ?
- Ah, la vache, 50 ans, déjà...
- Je me souviens qu'en mai 68, devant les images terribles que diffusait la télé d'état, les soirs où mon père ne rentrait pas dîner, ma mère ne l'imaginait pas comme d'habitude au café, au jeu ou au bordel, mais à l'hosto après s'être pris un coup de matraque ou une balle perdue...
- La connaissant, ça devait être quelque chose...
- Tu crois que l'an prochain, ils vont commémorer mai 68 ?
- Va savoir ce qu'on sera devenus en mai prochain...
- Ne recommence pas.
- Il y a dix ans, ta copine avait fêté mai 68 en compagnie d'assureurs et de banquiers qui avaient privatisé le parc André-Citroën...
- C'est vrai ?
- Oui, mais comment tu le sais ?
- C'est toi qui me l'avais raconté.
- Qu'est-ce que tu faisais en compagnie de banquiers et d'assureurs ?
- Elle avait un amant riche dont le frère était banquier ou assureur, un truc dans le genre... Des enfants de soixante-huitards justement...
- En tous cas, on fête cette année la sortie de Sergent Pepper's, vous avez vu ?
- Quel album !
- Oui, donc l'an prochain, on ne devrait pas échapper à un show spécial mai 68. D'autant qu'on a un président qui a écrit Révolution. C'est un peu le John Lennon de la politique, non ?
- Qui ? Macron ?
- Oui.
- Je ne vois pas le rapport...
- Tu ne connais pas tes classiques... You said you want a revolution, Well you know, we all want to change the world...
- Ah oui...
- C'est bien ce que je disais, aucun rapport.
- Ce doit être la chanson de rock la plus réac de l'histoire.
- Qu'est-ce que tu racontes ?
- Tu devrais la réécouter.
- Mais elle n'est pas dans Sergent Pepper's...
- Non, c'est l'album blanc, un an après. Celui qu'on fêtera l'an prochain.
- Pourquoi tu dis que c'est réac ?
- En 68, les quatre gars sont millionnaires, et ils ont peur de passer à côté d'un truc qui se met en place sous leurs yeux et qui leur échappe totalement. La trouille d'être rejetés par le mouvement, qu'on les considère appartenant à un monde révolu. Et tu vois, ils avaient tout faux : 50 ans plus tard, on réédite leurs albums, ils font la une des journaux...
- 68 est donc une révolution conservatrice ?
- Je n'ai pas dit cela. On verra l'an prochain comment on en parle, ce que l'on fera autour. Mais qu'il y a dix ans, des banquiers aient pu fêter 68, qu'aujourd'hui un dictateur de pacotille soit plébescité par une bourgeoisie inculte et amnésique, qu'un type ayant écrit un livre intitulé Révolution se retrouve à l'Elysée pour un programme destiné à détruire ce qui reste du tissu social et des libertés individuelles, c'est suffisamment parlant, comme on dit, non ?
- Tu exagères, comme toujours. Tu n'as qu'à aller voter.
- Ne me fais pas rire, je suis allé à la gym hier et j'ai des courbatures aux abdos...
- On avait dit qu'on ne parlait plus politique.
- C'est devenu interdit ? Je suis un danger à l'ordre public ? Tu vas me dénoncer ?
- Tu as lu son programme ? Il n'a cessé de clamer qu'il n'en avait pas...
- C'est de la com'. Pour qu'on n'aille pas fouiller dedans. D'ailleurs, je suis persuadé que la plupart des gens qui ont voté pour cette marionnette n'ont pas lu son programme.
- Personne ne lit les programmes !
- C'est bien le problème. On vote comme pour une téléréalité. On élimine les candidats qu'on n'a plus envie de voir, sans comprendre que celui à qui on donne sa voix c'est la même famille mais avec une autre gueule, un autre âge, un autre discours... Mais tout le monde trouve ça formidable.
- Je connais des gens qui sont sous le coup encore.
- Va falloir se réveiller, cet été c'en sera fini des protections sociales.
- Je pense que les gens ont envie de paix, de sérénité, de retrouver un peu d'espoir, du travail...
- Ils auront tout le contraire.
- Peut-être pas...
- Tu es bien pessimiste.
- Pas du tout. J'espère que ça ne tiendra pas longtemps, que tout pètera très vite et que ces mêmes personnes sous le coup comme tu dis, ou celles qui veulent retrouver l'espoir, seront bientôt dans la rue, pour rejoindre toutes celles qui ont refusé cette mascarade ayant porté au pouvoir l'un des gouvernements les plus illégitimes de l'histoire.
- Tout va bien, alors ?
- Faut juste se préparer à en baver. Cette mafia ne va pas lâcher les affaires facilement. D'où l'inscription dans la constitution des pouvoirs donnés à l'administration dans le cadre de l'état d'urgence, à titre exceptionnel. L'exception devenant la règle, apprêtez-vous à voir du sang.
- On se prend une autre bouteille ?
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