mercredi 7 juin 2017

Pornographie de nos vies




- Tu prends quoi ?
- Tu l'as vue passer, toi ?
- Pas vraiment.
- On vote dimanche et j'ai pas l'impression qu'il y ait eu une campagne…
- Pas de débat télé ?
- Je n'en sais rien.
- Comment ça ?
- Je n'ai plus de box, tu sais bien…
- Ah non, je ne savais pas… ou j'avais oublié…
- Plus de box = finis internet et la télé. J'ai même dû changer mon forfait mobile…
- Tu veux dire que nous allons pouvoir enfin nous parler sans être interrompus par des alertes à la con sur ton téléphone intelligent ?
- J'en reçois encore, mais moins…
- Et ton rendez-vous, l'autre jour ?
- Hier ?
- L'autre jour, c'était hier ?
- Aussi. 
- Alors ?
- Je ne sais pas. Je pense que ça a marché, mais j'attends voir, c'était étrange…
- Comme tout entretien d'embauche, non ?
- Ils ont consulté mon compte Facebook devant moi. 
- Il paraît que ça se fait maintenant. En tous cas, j'ai déjà entendu ça.
- Et ils m'ont demandé combien de followers j'avais…
- …Sur Fessebouc ?
- T'es con ou quoi ? Facebook, c'est des amis. Les followers, c'est sur Twitter. Heureusement, j'en avais acheté la semaine dernière.
- Des amis ?
- Des followers. Y'a des boîtes qui te vendent ça. C'est pas très cher... enfin, c'est un investissement, pour le monde du travail…
- Ah…
- Ils m'ont également demandé si je pensais que Macron était pédé…
- Pas possible !
- Qu'il soit pédé ?
- Non, ça je m'en fous. Pas possible qu'ils t'aient posé cette question !
- Ils m'ont demandé si j'avais voté pour lui sans hésitation. Et ce que je pensais du sabordage de Marine.
- C'est quoi, cette boîte déjà ?
- Je ne peux pas te le dire. 
- Mais leur domaine d'activité, comme on dit…
- Variable…
- Tu prends quoi ?
- Ils m'avaient dit qu'ils m'appelaient dans la soirée et j'ai laissé mon portable ouvert toute la nuit…
- C'est bien payé ?
- Normal.
- C'est quoi être payé normal ?
- Le smic, un peu plus…
- Ah… Et ça te permettrait de t'élever au-dessus du niveau de la merde ?
- Non. Mais ça me ferait du bien au moral.
- Travailler pour des cacahuètes, ça te ferait du bien au moral ?
- Là, je me sens perdu. Je traîne toute la journée en pyjama. Je ne sors pas parce que j'ai plus de fric, je ne surfe plus sur la toile... J'ai besoin d'un cadre.
- Je vois… Tu prends quoi ?
- Un anxiolytique dont j'ai oublié le nom…
- Je ne sais pas si Ahmed a ça en magasin…
- Ah, pardon ! Je suis un peu à côté de la plaque en ce moment. J'ai peur d'ailleurs qu'ils l'aient remarqué.
- Peut-être pas. Selon ce que tu racontes, ils semblaient davantage intéressés par le virtuel que par la personne qu'ils avaient devant eux.
- C'est le cas de tout le monde, aujourd'hui, non ?
- Tu m'épates.
- Pourquoi ?
- Une telle remarque, de ta part, c'est épatant.
- Tu m'as toujours pris pour plus con que je ne suis.
- Plus, c'est difficile… 
- Je me rends compte aujourd'hui, dans cette parenthèse forcée que constitue le chômage…
- T'as appris ça où ?
- Laisse-moi parler. Je me rends compte, disais-je, combien nos vies sont vides et tristes. Standardisées. Laides. Nous ne sommes motivés que par la consommation. Toujours plus d'objets. Toujours plus de marques. Ça nous donne ainsi l'illusion d'appartenir à l'élite. Nous n'existons plus que comme ça. Et nous sommes malheureux si nous ne pouvons nous payer le dernier gadget hich-tech ou la dernière paire de pompes à la mode…
- Tu viens de t'abonner au Diplo ?
- On devient de plus en plus cons, égoïstes, analphabètes… Et dire que ce salopard de Macron va remporter une majorité...
- Tu sais, ça te va bien, le chômage. Aux chiottes, les cadres !
- Pas besoin de campagne quand on a des sondages. Et ils sont tous unanimes.
- Comme les médias qui les commandent et les diffusent... Soit les médias mentent, soit les Français sont cons...
- A ce point-là ?
- On n'a pas idée... Tu prends quoi ?
- Attends.
- C'est bien la première fois que je suis heureux de te voir recevoir une alerte.
- C'est Zara Whites…
- Hein ?
- Ne fais pas semblant de ne pas savoir qui c'est.
- Une actrice porno ?
- Ben oui. Tout le monde sait qui est Zara Whites ! Tu ne vas pas jouer les puritains…
- Pas puritain. Purotin. 
- Hein ?
- Purotin, misérable, pauvre type…
- Ah… Non, mais moi, je disais puritain ! Parce que tu fais semblant de ne rien connaître au porno, alors que tu fous sur ton blog des images de filles à poil en permanence…
- Ecoute, une fois, j'ai vu un film porno avec mon pote Pascal. Sur son insistance. On venait d'avoir 18 ans et, y'avait pas Internet ou Canal à l'époque, à peine les magnétoscopes et les VHS, il m'a emmené dans un cinéma porno de Bastille. On en est sorti écœurés… 
- N'importe quoi !
- Je te jure que c'est vrai. Ado, je piquais des magazines de cul genre Playboy ou Lui, mais on ne peut pas parler de porno.
- Tu savais pourtant qui est Zara Whites. 
- Tu ne me croiras pas, là encore. Mais j'ai découvert l'existence de cette personne dans Les Cahiers du cinéma. Je ne sais plus dans quel dossier. L'érotisme ou la perversion ou l'avant-garde, une connerie de ce genre. Et on parlait d'un film qui s'appelait Rêves de cuir, ça m'avait marqué, et de cette actrice, mais je ne sais plus ce que ça racontait, déjà à l'époque je ne faisais que survoler ce journal… Mais ton alerte…
- Et tu ne regardes jamais de porno sur internet ?!
- Ben non. Ça surprend ma chérie aussi, qui est persuadée que TOUS les hommes, sans exception, font ça. 
- Ben oui…
- Elle pense que lorsque je sors du lit, je prétexte une insomnie pour aller voir des films de cul… J'aimerais bien, ça me détendrait et je retrouverais peut-être le sommeil…
- Elle se présente aux élections !
- Ma chérie ?
- Non, Zara Whites.
- Tu déconnes ?
- Non, c'est une élection ouverte…
- Sans mauvais jeu de mots, j'imagine…
- Elle fait partie de Génération végétale… Te marre pas ! Avec Francis Lalanne, elle se présente face à Valls dans l'Essonne…
- Quel cirque…
- C'est la société civile, chère à Macron, non ?
- J'avais lu que la France en marche ne présentait...
- La République, pas la France...
- Oui, enfin, ce bidule en marche ne présentait pas de candidat face à Valls pour qu'il puisse récupérer un poste.
- Exact.
- Une sacrée bande de fripouilles et de trous du cul…
- D'où la présence de Zara Whites…
- Ah oui… Bon, tu prends quoi ? Qu'on puisse passer aux choses sérieuses...
- Elle veut lutter contre la pauvreté et le mal logement, et le sort des animaux à quatre pattes…
- Mais c'est pas fini ?!!
- Tu sais qu'elle vit dans un petit village avec une allocation adulte handicapé ?
- Hein ?
- Qu'elle a connu la misère, les restos du cœur…
- Stop ! Range-moi cet instrument du diable !
- T'as pris quoi, toi ?

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