lundi 5 juin 2017

La vie qui va (extrait)

Margaret Durow


Si je considère mon existence, je dois reconnaître qu’elle a été modeste.
La preuve, je ne suis jamais allée aux Maldives.
Je plaisante. Mais enfin, il y a de brefs moments où j’ai des pensées blessantes. Je suis fâchée par moi-même.
Quand je me considère et que je me reproche d’avoir pratiqué toute ma vie les soucis de fin de mois.
Il m’arrive d’en être vexée. De me suspecter : c’est un choix, une fatalité, ou de l’incapacité ?
Élancements antipathiques. Clapotis de regrets.
C’est pathétique. Et regrets de quoi d’ailleurs. Examinons. Du temps à consacrer à l’œuvre ? Ai-je jamais voulu être rentier. Allons. Ai-je jamais pensé que je méritais intrinsèquement de vivre mieux qu’un ouvrier. Sous prétexte de littérature. Allons allons, c’est dégoûtant. Alors, qu’est-ce qu’il y a, parfois, là- dedans, qui me fait des reproches. Parce que je n’easyjette pas fréquemment. Est-ce le plaisir de dire du mal de moi. Oui bien sûr. Mais il y a aussi la suie moderne. Celle qui donne pour rêve de devenir contremaître.
Prends une cigarette, lecteur, va à la fenêtre regarder le monde passer, j’ai besoin ici de t’imaginer juste occupé à exister.
Je viens d’en faire autant. Rêver de passer contremaître. Un peu de monnaie un peu de pouvoir.
Quelle misère.
Que tombe la suie moderne.
Longtemps je n’ai pas eu de projet d’avenir. Aujourd’hui encore.
Avec constance j’ai manqué de réalisme. Ma foi, quelle splendeur.
Dans mon bureau il y a une photo de Zévaco. Que les curieux prennent pour un aïeul. Ce qui n’est pas tout à fait faux d’ailleurs. Zévaco l’anar qui écrivit les histoires insolentes des Pardaillan père et fils. Des vaillants qui n’aiment pas l’ordre. Zévaco a fait de la prison à répétition, pour anarchisme pratiquant, obstiné et bagarreur.
Que tombe la suie moderne. Qui s’infiltre et me fait honte de mes soucis de fins de mois. Contre toutes mes convictions.

Evelyne Pieiller, L'Almanach des réfractaires, éd. Finitude

1 commentaire:

  1. Contremaître, il faut en vouloir !
    Avoir la gniak ! (j'adore cette expression) (S'écrit peut-être : niaque ?!)
    Avoir une ambition miniature, comme le golf.
    Rien que le terme, il a du chien, faut admettre !
    Contre-maitre, le chien-chien en laisse à attendre les ordres !
    Faut savoir mordre !

    RépondreSupprimer