mardi 20 juin 2017

Nous pas bouger


Il y a quelques jours, en mettant de l'ordre en prévision de l'arrivée du chat, j'ai exhumé du pied du lit quelques ouvrages acquis ces derniers temps. J'ai ainsi remis la main sur un bijou signalé par ce cher yéti, l'ai dépoussiéré et emporté hier à l'hôpital. Et ce fut un régal – sa lecture, pas le séjour sur lequel je reviens sous peu… Il s'agit – le livre – d'un recueil de trois essais de l'Anglais William Hazlitt, intitulé La Solitude est sainte. L'un de ces textes est consacré à la notion de la vie à part soi. Extraits : 
Ce que j’entends par « vivre à part soi », c’est vivre dans le monde sans dépendre du monde : c’est comme si personne ne savait qu’un tel individu existe, et que l’on souhaite que personne ne le sache ; c’est être un spectateur silencieux du formidable spectacle qui s’offre à vous, et non un objet d’attention et de curiosité ; c’est s’intéresser profondément et passionnément à ce qui se passe dans le monde, mais sans éprouver la moindre envie de s’y faire accepter ou de s’y mêler. C’est une vie telle qu’on s’attendrait de voir mener par un esprit pur, et un intérêt tel qu’il pourrait en porter aux affaires des hommes, calme, réfléchi, passif, distant, touché de compassion par leurs peines, souriant sans amertume à leur sottise, partageant leurs affections, mais sans être dérangé par leurs passions, ni rechercher leur attention, ni leur venir une seule fois à l’esprit. Celui qui vit sagement à part soi et selon son cœur observe l’agitation du monde par les interstices de sa retraite et ne veut pas se mêler à la cohue. « Il entend le tumulte et ne bouge pas ».
(...) Cette sorte d’existence rêveuse est la meilleure. Celui qui y renonce pour se mettre en quête de choses concrètes troque en général sa tranquillité contre des déceptions sans cesse renouvelées et de vains regrets. Son temps, ses réflexions et ses sentiments ne lui appartiennent plus (…) au lieu d’ouvrir ses sens, son intelligence et son cœur à l’étoffe resplendissante de l’univers, il tient un miroir déformant devant son visage, où il peut admirer sa propre personne et ses prétentions, et se contente de jeter des coups d’œil obliques pour voir si d’autres ne sont pas aussi en train de l’admirer. Il n’existe plus à travers l’impression qu’exerce sur lui « la juste variété des choses », adoucie et atténuée par la contemplation habituelle, mais à travers le sentiment fébrile de sa propre suffisance de parvenu. En s’appliquant à truquer les données, il s’est devenu l’esclave de l’opinion…

William Hazlitt, La Solitude est sainte,
trad. Lucien d'Azay, Quai Voltaire

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