Jacques-Henri Lartigue via Camara democratica |
Au printemps 1727, Jonathan Swift se rend à Dublin au chevet de Stella (Esther Johnson). A Chester, il rate de peu le bateau et décide de faire une partie du chemin à cheval, accompagné de son fameux valet. Journal de Holyhead, tenu sur quelques jours, est adressé à son ami Thomas Sheridan.
J’ai quitté Cherster vendredi à onze heures du matin. C’était le 22 septembre 1727.J’ai fait halte dans une taverne perdue à sept milles de Chester. J’ai chevauché ensuite jusqu’à Ridland ; vingt-deux milles en tout. J’y ai dormi, après avoir eu un mauvais repas et un vin passable. J’ai quitté Ridland à quatre heures et quart du matin, le samedi. Je me suis arrêté au bord du Penmenmwar pour consulter ma feuille de route : l’auberge aurait dû se trouver de l’autre côté, en sorte qu’il faudra corriger les indications. Je fis halte à Conway et, tandis que le guide s’approchait d’une autre auberge, la servante de la vieille auberge me vit dans la rue et me déclara que j’étais ici chez moi ; elle m’avait reconnu. Je dînai là et je fis quérir Ned Holland, un monsieur célèbre pour avoir été mentionné dans les vers de Mr Lindsay à Davy Morice. Là, j’ai pu revoir la tombe de Hook, qui était le quarante-et-unième enfant de sa mère, et qui eut lui-même vingt-sept enfants ; il mourut autour de 1638. Il s’y trouve une inscription disant que l’un de ses descendants a fait restaurer le monument. J’avais lu dans la vie de l’archevêque Williams qu’il était enterré dans une église obscure du nord du Pays de Galles. Je m’en informai et j’appris qu’il s’agissait de l’église de ***, à moins d’un mille de Bangor, où je devais me rendre. Je gagnai donc l’église, le guide maugréant. Je vis la tombe avec sa statue agenouillée (en marbre). Cela commençait ainsi : Hospes lege et relege quod in hoc obscurosacello non expectares : hic jacet omnium præsulumceleberrimus¹. J’arrivai à Bangor et je passai le bac un mille plus loin, où se trouve une auberge qui, si elle était bienvenue, ruinerait celle de Bangor. Je couchai là – c’était à vingt-deux milles de Holyhead. A quatre heures du matin je fus à dos de cheval, ayant décidé d’être à l’église de Holyhead pour les vêpres, et de montrer à Watt Owen² la tombe des Tudor à Penmany. Nous avons manqué l’endroit (qui se trouve un peu à l’écart du chemin) par la rouerie du guide, qui n’avait pas envie de s’arrêter. Je fus alors si las d’être à cheval que je me vis contraint de faire halte à Langueveny, sept milles après le bac, et je m’y reposai deux heures. Puis je me remis en route très las, mais après quelques milles, le cheval de Watt perdit ses deux fers de devant, en sorte que le cheval fut obligé de clopiner derrière nous. Le guide était moins préoccupé que moi. Après quelques milles encore, mon cheval perdit aussi un fer ; il ne pouvait plus avancer sur les chemins pierreux. J’ai marché environ deux milles pour l’épargner. C’était dimanche, et pas moyen d’avoir un forgeron. Pour finir, nous en avons trouvé un sur le chemin ; nous avons laissé le guide s’occuper des chevaux, et nous avons marché jusqu’à une auberge minable à trois milles de Holyhead. J’y suis resté une heure, la bière n’était pas buvable. Un bateau se présenta ; je gagnai la mer puis voguai jusqu’à Holyhead³. Le guide arriva à peu près en même temps. J’ai dîné avec une vieille aubergiste, Mrs Welch, vers trois heures, d’un filet de mouton, fort bon, mais avec la plus mauvaise bière du monde, et pas de vin, car le jour précédant mon arrivée, une cohue s’était embarquée pour l’Irlande après avoir bu tout le vin. Il n’y avait que de la bière éventée, et j’ai essayé une recette d’huîtres⁴, que je fis poivrer avec soin, mais cela n’était pas bon du tout. Le soir, j’ai marché entre les rochers, et puis je suis allé dormir et j’ai rêvé que j’avais fait vingt chutes de cheval.
1 “Lis et relis, voyageur, ceci que tu ne t’attendais pas à trouver dans cette petite église : Ici repose le grand dignitaire…” JohnWilliams avait été, au siècle précédent, évêque de Lincoln, puis archevêque d’York.2 Le valet de Swift.3 En longeant la côte de Holy Island.4 Biffé sur le manuscrit : “une recette de Stella”.
Jonathan Swift, Journal de Holyhead, trad. David Bosc, éd. Allia, 3,10€
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