Ce fut Cris et chuchotements. A la cinémathèque, pour une des premières fois. Avec ma soeur, curieusement. Première fois aussi, et dernière dans mon souvenir. De cette époque, j'ai également en mémoire Je t'aime, je t'aime de Resnais, il me semble en compagnie de mon frère. Je n'allais pas très bien alors, suite à une rupture mouvementée. Cet âge où l'on pense qu'on ne se remettra jamais de la fin d'un premier amour, qu'il vous marquera à vie. Mon frère et ma soeur s'étaient peut-être relayés pour ne pas me laisser m'engouffrer seul dans la folie de Chaillot. Le film de Bergman est éprouvant, et ma soeur a très vite jeté l'éponge. Si c'est ça, la cinéphilie, merci !
J'avais dû en voir un ou deux au ciné-club de Claude-Jean Philippe. A travers le miroir ? L'heure du loup ? Peu importe. Moi aussi, après la séance de la cinémathèque, j'ai hésité à persévérer. Je retournais à Chaillot, mais pour des trucs un peu plus légers et néanmoins d'appellation cinéphile contrôlée. Hawks, Lubitsch, un long cycle de cinéma espagnol, et Le père Noël a les yeux bleus, malheureusement associé à un autre moyen métrage, dont j'ai oublié le titre, mais pas les réalisateurs, Straub et Huillet... Ceux-là pouvaient être adoubés autant qu'ils le voulaient par Les Cahiers et toute la mafia, plus jamais ça !
Je continuais à picorer ici et là, les salles du quartier latin, Beaubourg et l'annexe de la cinémathèque. Et un cycle Bergman s'est présenté au Saint-André-des-Arts. Moi aussi. Devant les photos des films, dans le hall extérieur du cinéma, j'ai retrouvé Philippe, que je connaissais de loin, à peine une ou deux parties de flipper ensemble. Philippe m'a balancé l'enthousiasme de sa découverte bergmanienne. On en a vu quelques uns ensemble et bu quelques bières aussi. On s'est trouvé également une passion commune, le ballon rond. Entre foot et Bergman, une amitié est née. Je ne vois plus ce type, ne sais ce qu'il est devenu, mais le cinéaste suédois restera à jamais associé à mon pote limougeaud. A propos de Bergman, nous étions d'accord sur un point, très politiquement incorrect : quand il se prenait au sérieux, qu'il sombrait dans le symbolisme, comme pour Le septième sceau, ça ne valait pas un clou ! Mais quel bonheur d'assister à Une leçon d'amour, Monika, Jeux d'été, L'oeil du diable, Le silence, Persona... Je dévorai Laterna magica, puis Images avec la même dévotion que L'idiot ou Mes amis.
Quand Fanny et Alexandre est sorti, j'étais à la fac. Je me souviens des affiches et de ce nom intimidant. Comme celles de Love Streams de Cassavetes. Je n'avais pas osé aller voir ces films en ce temps-là, et les ai découverts avec Philippe à Chaillot deux-trois ans plus tard. Pour nous, qui connaissions si peu de la vie, ces cinéastes très différents atteignaient, chacun à leur manière, ce que l'être humain a de plus profond, honteux, sale, bouleversant... Nous sortions transformés de chaque séance. Nous étions convaincus que cela était dû à ces films, que seul le cinéma avait ce pouvoir. Aujourd'hui, lorsque je vois le jeune homme que j'étais, je ne peux qu'être gêné devant tant d'arrogance et de certitude, mais je me demande tout de même si nous n'avions pas raison.
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