mardi 31 mars 2015

Les dossiers de l'écran




- Tu en as pensé quoi ?
- Mmm, comment dire ?...
- Tu as dormi, non ?
- Que peut-on faire d'autre ?
- Truffaut disait qu'on ne dormait bien que devant un grand film.
- Je n'ai pas dit que j'avais bien dormi.
- Il fait sa petite carrière, ce réalisateur, quand même.
- Oui, c'est le mot, une petite carrière, comme un petit fonctionnaire. Tu parlais de Truffaut, j'ai l'impression d'avoir vu un film de Truffaut discount, une photocopie vieillie.
- Il a fait quelques bons films...
- Ah bon ? Le premier avait un peu de charme...
- Tu vois ?
- Une espèce de court-métrage un peu long. Je me souviens l'avoir vu en me disant qu'il ne fallait pas avoir de préjugés.
- Pourquoi en aurais-tu eu ?
- A cause de ses parents...
- Ses parents ? Tu les connais ?
- Ce type est le fils de René Bonnell, ancien argentier du cinéma français du temps de la splendeur et des magouilles de Canal Plus. Un économiste qui, m'a-t-on dit, récupérait 10% de ce que la chaîne mettait sur chaque film, les producteurs les lui reversaient sur un compte en Suisse. C'était le deal.
- Oh, les "on dit" dans le cinéma, ça ne manque pas... Et sa mère, c'était qui ?
- Catherine Siriez, responsable durant des années des commissions d'aide au financement au CNC.
- Ah oui, ça aide...
- Une main dans le business, l'autre dans le cinéma d'auteur. Le cinéaste parfait.
- Ses films ne sont pas déplaisants.
- Non, c'est pas pire que Canet mais pas mieux non plus. Il est ce que Marc Lévy est à la littérature. Il fabrique des produits fadasses et inoffensifs, avec du casting branchouille, des films qui ne dérangent personne, et tout le monde y trouve son compte.
- Toi aussi alors ?
- Non, je parlais des financiers, les amis de papa et maman.
- Il y a un autre "fils de" dans le film, d'ailleurs.
- Oui, il n'est pas mal le fils Moati. Il a l'air gentil. Mou, mais sympa.
- Je vois : tu as préféré la comédienne belge...
- Tu sais quoi ? J'étais gêné pour elle. La pauvre, on sent qu'elle fait ce qu'elle peut avec une proposition de cinéma aussi mièvre.
- C'est bien ce qu'il me semblait, elle t'a tapé dans l'oeil.
- Elle ne m'a pas empêcher de les fermer, en tous cas.
- T'as vu, la couv' de Elle ?
- Kardashian ? Encore ?! Ne me dis pas, laisse-moi deviner : elle pose à poil ?
- Il y a un portrait d'elle par Céline Sciamma...
- Quoi ?!
- Regarde ! Elle écrit que Kardashian est "pudique, attentive, bienveillante et dans l'échange". C'est délirant !
- Les accointances...
- Pourquoi dis-tu ça ?
- Céline Sciamma est issue d'une grande famille... Même si elle filme la banlieue.
- C'était insupportable, sa Bande de filles.
- Pas vu. La vie est trop courte !
- Mais Tomboy, c'était pas mal.
- Oui, elle avait un sujet. Les projets se résument à ça, aujourd'hui, non ? Un sujet.
- Et son premier film, comment c'était déjà ?
- La naissance des pieuvres ? Pas terrible quand même.
- Oui, là aussi, y'avait un côté court métrage étiré.
- Exact, c'était son film de fin d'études à la Femis. Tu sais qu'aujourd'hui, elle a une productrice qui ne travaille qu'avec elle ?
- Comment est-ce possible ?
- Ben, c'est le cinéma d'auteur français.
- Bonnell-Sciamma, même combat ?
- Ils n'ont pas besoin de combattre. Et ça se voit dans leurs films. C'est ça, la différence avec Brooklyn, par exemple.
- Ah, oui, qu'est-ce que c'est bien, ce film !
- Ben, tu vois, il sortira jamais en salles. Tournage sauvage, avec des économies, que des techniciens bénévoles et le CNC lui dit : "Niet, pas d'agrément, pas de visa sortie !"
- Mais il a fait plein de festivals, non ?
- Autant que Timbuktu ! Mais Pascal Tessaud n'a rien d'un fonctionnaire propre sur lui, c'est la différence avec le cinéma officiel.
- Je vais quand même lire le papier de Sciamma en entier.
- Si c'est comme ça, je vais à la librairie, voir s'il leur reste un exemplaire du dernier bouquin de Jérôme Garcin. Il paraît que c'est formidable !



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