jeudi 26 mars 2015

Claude, Maurice, François et les autres





Je ne suis pas certain que Claude Sautet ait été un cinéaste majeur. Le recul, la nostalgie, la tentation de la révision de l'histoire du cinéma le classent parfois dans cette catégorie, mais je m'en fiche. J'ai également lu quelque part que Sautet était le cinéaste du pompidolisme, pour la simple et mauvaise raison qu'il filmait la classe moyenne, la petite bourgeoisie des années 1970. Oui...
Mon approche du cinéma est très intime et j'essaie tant bien que mal de faire abstraction de toute théorie, bien-pensance et cinéphilie officielle. Pour moi, donc, Sautet a signé au moins quatre très grands films, que je peux revoir sans me lasser, réalisés à la suite, entre 1970 et 1974 : Les choses de la vie, Max et les ferrailleurs, César et Rosalie, Vincent, François, Paul et les autres. Bien sûr qu'il y a certainement chez moi une part de nostalgie, le sentiment de revoir le monde d'avant, mais elle tient surtout à la découverte, enfant, en famille, à la télévision, de ce cinéma qui m'intriguait sans me passionner, des films dont je ne voyais pas, bien souvent, l'intégralité. C'était tellement loin de notre vie. 
Je n'ai redécouvert ces films que bien plus tard, sur DVD. Je ne sais pas ce qui m'a poussé à les acheter, surtout après avoir vu au cinéma, sans grand enthousiasme, les films des années 1980-1990. Peut-être un attachement secret, mon père ayant fait de la figuration sur Un mauvais fils. Recruté par l'ANPE, comme d'autres ouvriers au chômage, il jouait au maçon le temps d'une séquence avec Yves Robert.
Ce qui ancre le cinéma de Sautet dans son époque, c'est bien entendu son naturalisme affiché, sa simplicité apparente. Mais si l'on y regarde de près, saute aux yeux une mise en scène de l'artifice, purement cinématographique, à l'ancienne. Rien n'y est improvisé : aucun mouvement de caméra, aucun dialogue... Aucun imprévu n'a droit de filmé, contrairement au cinéma d'un Maurice Pialat par exemple qui aurait aimé atteindre un certain classicisme et s'en voulait d'être si maladroit, négligeant, paresseux. J'aime le sentiment de liberté et de facilité dans les drames de Pialat comme j'aime être confronté à la sensation d'inéluctabilité des drames de Sautet. Ce dernier avait longtemps été "ressemeleur de scénarios" et, artisan perfectionniste, illustrait assez bien la définition du cinéma donnée par François Truffaut dans La nuit américaine. Les films qui avancent comme des trains dans la nuit, tout ça...
Chez Sautet et Pialat, j'aime retrouver des acteurs parfaits pour incarner des personnages au bord de la rupture - parfois malgré eux, comme ce fut le cas de Jean Yanne qui refusa le prix d'interprétation de Cannes pour Nous ne vieillirons pas ensemble. Michel Piccoli, Serge Reggiani, Yves Montand, Romy Schneider, Stéphane Audran, Marie Dubois, François Perrier, Bernard Fresson, Sami Frey, Bernard Le Coq, Philippe Léotard, Hubert Deschamps, Guy Marchand, ou, évidemment, Isabelle Huppert et Gérard Depardieu, chez l'un et chez l'autre. A propos des comédiens, je ne sais plus où j'ai lu l'anecdote suivante - est-ce dans le livre d'entretiens avec Michel Boujut ? : lorsqu'il reçoit le scénario de Vincent, François, Paul et les autres, Yves Montand, à qui est proposé le rôle de Vincent, appelle Sautet ou Dabadie, je ne sais plus, enthousiaste par sa lecture. Un seul truc l'embête, le titre. Trop long. Pourquoi ne pas appeler tout simplement le film Vincent et les autres ?, demande sérieusement le compagnon de route du PC...



J'ai également une tendresse particulière pour quelques écrivains comme Claude Néron, Paul Guimard ou l'excellent Jean-Loup Dabadie, tous collaborateurs de Sautet. C'est Dabadie qui signe les paroles de cette chanson magnifique dans Les choses de la vie, comme il signera quelques morceaux irremplaçables pour Reggiani. La musique est de Philippe Sarde et le document déchirant.


6 commentaires:

  1. Je souscris à tous vos mots. Quant à La Chanson d'Hélène, elle me plonge à chaque fois dans la plus voluptueuse des tristesses.

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  2. Je n'en demandais pas tant, cher Frédéric...

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  3. La relation aux films peut-elle être autre qu'intime ?... En tout cas c'est le but des cinéastes dont vous parlez.

    Il me semble que dans sa liberté même, Pialat atteint au classicisme justement...Mais comment dire ? Dans "Nous ne vieillirons pas ensemble" Il y a une pureté, une simplicité, un rythme, une vérité qui me fait penser à Molière.

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  4. Pour l'intimité, je ne sais pas, et ne veux pas le savoir, mais j'imagine que certains professionnels, les critiques par exemple, se veulent objectifs, de même de nombreux techniciens ont un rapport purement "alimentaire" avec les films...

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  5. La critique n'est pas toujours objective, elle peut-être aussi l'envie de partager sa "vision" de spectateur ... J'ai aussi un rapport alimentaire avec les films puisqu'ils me nourrissent.

    Relation intime n'est peut-être pas le mot juste. Disons plutôt, relation directe, donc sans l'intermédiaire de l'appareil médiatico-critique (est-ce encore possible ?)

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