dimanche 29 mars 2015

Encore lui…

- Aujourd'hui, pour un rien, on se sépare.
- C'était mieux avant, c'est ça ?
- Ce n'est pas ce que j'ai dit. 
- Regarde mes parents. Ma mère est restée toute sa vie avec le même homme, et à 62 ans, il décide qu'elle a un amant et il la met dehors. 
- Où en est leur divorce, ça avance ?
- J'en sais rien. Ça fait 5 ans que dure la précédure…
- C'est plus que dur !
- Te moque pas : toute seule dans son studio, 3e étage sans ascenseur, à son âge…
- Je sais, je sais. Ça bloque sur quoi ? Le patrimoine ?
- Il ne veut rien lâcher. Résultat, il s'emmerde tout seul dans sa barraque dans le sud, où plus personne ne vient le voir. Tout ça pour ne pas céder.
- Moi, j'ai toujours connu mes parents s'engueulant, ma mère s'éreintant à faire des ménages, mon père au café avec ses potes. Quand on a quitté la maison, elle a enfin divorcé. Il est mort deux ans plus tard.
- Tu le voyais encore ?
- Non. Ma mère non plus, je ne la voyais plus beaucoup. Je vivais loin. 
- Ça faisait deux ans que tu n'avais pas vu ton père quand il est mort ?
- Peut-être davantage encore. Quand je l'ai revu, c'était sur son lit d'hôpital. Il avait eu un malaise dans la rue. On a d'abord attribué ça à l'alcool. Quelques jours plus tard, le médecin nous disait de faire notre deuil.
- Il est parti vite ?
- 6 mois, je crois. La veille de son anniversaire. Il allait avoir 65 ans et droit à la retraite le mois suivant.
- Il fumait beaucoup ?
- Oui. Et l'alcool. Mais tu sais, ils sont trois-quatre copains morts coup sur coup en quelques mois. Ils avaient tous travaillé sur les mêmes chantiers, respiré les mêmes matériaux… Ça ne veut peut-être rien dire, mais quand même…
- Tu allais le voir à l'hôpital ?
- Oui, il en a fait deux-trois. Je n'arrive pas à retrouver le nom de la ville où il est mort. On prenait un bus à la Porte d'Italie. C'était un endroit très beau, avec un grand parc. 
- Tu t'es réconcilié avec lui avant qu'il ne meure ?
- On n'était pas fâché. On ne se voyait plus, c'est tout. On n'a jamais été très proches.
- Il te ressemblait ?
- Je t'ai déjà montré des photos. 
- Je ne m'en souviens plus.
- Je ne sais pas pourquoi, un type comme Reggiani me fait beaucoup penser à lui.
- Je sais. Mais tu ne ressembles pas du tout à Reggiani.
- C'est l'époque, la bande de copains, les cafés enfumés…
- Vous vous êtes parlés, un peu ?
- Oui, je lui ai montré un de mes premiers articles, on a regardé un match de foot dans sa chambre d'hôpital, il fumait dans les toilettes… Peu avant de mourir, il est rentré chez lui. Il habitait un studio au-dessus du café dans lequel il avait ses habitudes depuis des années.
- Celui où vous alliez téléphoner quand t'étais petit ?
- Exact. On est allé le chercher, ma mère, mon frère et ma sœur, je crois. Je travaillais pour un festival de cinéma mexicain, à Beaubourg. Ils passaient un film de Cantinflas, un comique mexicain.
- C'est pas lui qui joue dans Le tour du monde en 80 jours ?
- Je n'ai jamais vu ce truc, mais je crois bien. En tous cas, c'était une star dans les années 40-50 au Mexique et dans de nombreux pays hispanophones.
- Comment s'appelait le film ?
- Quelque chose comme Ahi está el detalle.
- Ce qui veut dire ?
- Bon, el detalle, c'est le détail, comme tu le sais ou le devine. Mais tener un detalle con alguien, avoir un détail avec quelqu'un, c'est avoir une attention, un geste, tu vois ? Bon, il y a peut-être également un mexicanisme qui en fait une expression particulière, mais en gros, c'est ça.
- C'est le beau geste que vous avez eu.
- Je n'y avais jamais pensé… Je le revois encore, avec sa casquette pour cacher les dégâts de la chimio, elle était trop grande, tellement il avait maigri.
- Et là, il n'y a eu aucun problème de patrimoine ?
- Aucun, il laissait quelques dettes, un compte en banque avec à peine quelques centaines de francs. Moi, j'ai hérité d'un rasoir électrique. 
- Et du foot…
- Oui, je t'ai sufisamment raconté tout ça. 
- Regarder des matchs, c'est comme un prolongement de l'enfance…
- On va pas faire une psychanalyse de feu de cheminée, ma chérie…
- A ce propos, on rajoute une bûche ou on va se coucher ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire