lundi 27 juillet 2015

Un autre monde (Vie de scénariste, suite)




Prends ce qu'on te donne. Tu te rends compte ? Cette fille a fait cinq longs métrages avec la même boîte - on en pense ce qu'on veut, de ses films -, son producteur ne lui propose que 3 000 euros pour un traitement de son nouveau projet et tout ce que trouve à lui dire son agent, c'est « Prends ce qu'on te donne » ? 
Michel en a pourtant vu d'autres mais je devinais sans mal un certain découragement. Nous roulions sur une petite nationale normande, traversant une belle forêt, rassurés par le temps finalement clément, et Michel, qui garde en lui une certaine rage contre le milieu du cinéma, n'en démordait pas. Il a le même agent que cette réalisatrice. Hésite à en changer car elle le met parfois sur des "coups". Mais le plus souvent, il négocie lui-même ses contrats, malgré son agent, dont le principal credo est « Ne te fais pas d'illusions, ils n'ont pas d'argent ». 
Tu te souviens ? Au moment du succès des Chtis, les scénaristes – des gens qui venaient des Guignols de Canal –, avaient râlé, s'estimant lésés sur leur rémunération. Ils disaient que Dany Boon avait gagné environ 15 millions d'euros avec le film, lorsqu'eux n'avaient touché que 100 000 euros chacun ! Et moi qui me bats, après 25 ans de carrière, pour toucher 40 000 euros par scénario, bataille que je mène à la signature du contrat, pas après la sortie du film... On n'est pas dans le même monde !
C'est vrai. Ces dernières années, les rapports sur le scénario et les conditions de travail des scénaristes en France se sont multipliés. Tout le monde s'accorde sur cette anomalie : la très faible rémunération de ce travail, pourtant essentiel à l'équilibre d'un récit, et instrument de négociation lors du montage financier des films et du casting. Comme bien souvent, les commisions d'enquête pondent des rapports que l'on commente à leur publication pour mieux les enterrer ensuite.
Je fais dans le cinéma d'auteur, certes, et n'ai jamais écrit un succès, mais plusieurs des films que j'ai signés ont été récompensés dans des festivals ou aux césars. Si je fais les calculs, entre la première version du scénario et le début du tournage, moment où je touche ma dernière échéance, il se passe deux-trois ans quand tout va bien, et cinq à six versions du script, sans parler des notes d'intention que la plupart des réalisateurs ne savent pas rédiger… Ce qui, si je mensualise, m'octroie un petit smic. En fait, je touche aujourd'hui la même somme que lorsque j'avais 25 ans et que je sortais de l'école !
Selon les chiffres officiels, qui diffèrent parfois des vraies sommes en jeu, Dany Boon, qui est un type très gentil au demeurant, était en 2014 le réalisateur le mieux payé de France avec 3,4 millions d'euros perçus pour Supercondriaque, à quoi il convient d'ajouter son salaire de comédien de plus de 2 millions. Sans parler de sa part producteur. C'est le succès des Chtis (20 millions d'entrées) qui lui ont permis de revendiquer de tels salaires, et peu importe si les films suivants sont des échecs relatifs (8 millions d'entrées pour Rien à déclarer (sic) et un peu plus de 5 millions pour Supercondriaque). Dany Boon est à Hollywood et il vous emmerde !
Le lendemain, malgré les torrents de pluie, j'allais prendre le thé chez mon amie en plein divorce... depuis bientôt quatre ans. Elle me racontait les sordides affrontements financiers d'avant la séparation matrimoniale officielle et le calcul des prestations pour les gosses. 
Ma copine n'a vraiment pas de chance. Il se trouve qu'elle vit et travaille dans le quartier d'un humoriste plutôt discret. Ils ont sympathisé au café du coin et le type, sachant qu'elle travaille dans l'édition, qu'elle sait donc lire, lui a proposé de jeter un oeil sur le synopsis de son premier long métrage, une comédie. 
Il m'avait apporté son ordinateur et j'ai dû lire devant lui. C'était très gênant tant l'ensemble était ni fait ni à faire. Tu sais quand les mauvais mots sont utilisés et que c'est comme ça tout du long ? Et l'histoire, franchement, aucun intérêt. J'ai trouvé une formule pour lui dire que j'avais du mal à m'identifier à son personnage car l'écriture, il s'en foutait : il allait passer une semaine enfermé avec un autre humoriste, auteur reconnu, et ça irait. Et comme Dany Boon semble intéressé, le film devrait se faire.
J'ai failli m'étouffer en avalant le palet breton accompagnant l'eau chaude au jasmin.
Tu ne savais pas que Dany Boon était producteur ?



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