samedi 18 juillet 2015

La vie en couleurs



Après cette sale nouvelle, j'ai rejoint Lola, histoire de l'aider à emballer un tableau. Plus exactement, je l'ai rejointe pour acheter des livres. Et ensuite emballer un tableau. A deux pas de son futur ex-chez elle, une librairie avait récemment attiré son attention. Elle y avait acheté le tome 2 du journal de Luc Dardenne la semaine dernière et avait remarqué le foisonnement de bouquins pas chers, des occasions ou des services de presse de livres récents bradés. Aussi m'avait-elle demandé, sus à l'emballage, de l'aider à choisir quelques titres qu'elle emporterait à Madrid, pour continuer à lire en français. Franchement, je n'avais pas besoin de ça. Découvrir une nouvelle librairie représente un danger dont ma banquière, bien qu'en vacances, m'a longuement entretenu récemment, me conseillant d'avoir plus souvent recours au service public et aux médiathèques qui bientôt, grâce à l'autre con de Macron (l'épithète est de moi, j'assume), seront ouvertes quasiment sept jours sur sept comme les stations service ou l'épicerie du coin. On s'est donc retrouvé rue Saint-Ambroise. Elle s'est pointée avec le bouquin de Dardenne sous le bras. Je lui avais dit l'autre soir comment le premier volume m'était tombé des mains et n'écoutant que ma science, l'inconsciente, elle avait décidé de rapporter le livre et tenter de l'échanger contre de la vraie littérature. Elle m'a dit aussi, fièrement, qu'elle avait arrêté de fumer ! Depuis deux heures… Voilà dix ans que je la connais, et je ne compte plus les fois où Lola a arrêté de fumer, et ça n'a jamais duré beaucoup plus de deux heures… Mais là, elle avait son patch, sa volonté et rendez-vous lundi chez cette formidable acupunctrice chinoise dont elle m'a déjà parlé, ça aiderait. Pas de doute.
Il y avait donc des livres partout, un peu de classement tout de même, et un autre accent, celui de la libraire qui a accepté d'échanger le Belge contre le Catalan Josep Pla et son Cahier gris, au même prix. J'ai examiné les étagères, repéré un ou deux trucs, mais pas de livres rares à ma connaissance. Lola a insisté et je lui ai sorti un Dubois, le dernier et excellent Cas Sneijder. C'est tout ? Alors, je lui ai dégoté Le Monde d'hier, en poche, encore moins cher que pas cher. Elle ne l'avait pas lu, l'inconsciente ! Alors, tant pis si ce n'est pas du Français pure souche comme disent les cons – pas comme Macron, mais presque –, mais le temps de le chercher en espagnol à Madrid, la proie et l'ombre tout ça, y'a pas d'arrangement. Elle m'a remercié longuement, m'a demandé si j'avais trouvé quelque chose pour moi, j'ai dit oui mais non, une autre fois, j'ai pris les horaires. 
Nous sommes alors montés chez elle et lancés dans l'entreprise délicate. Avec Lola, tout entreprise devient délicate. Elle ne sait pas se modérer. C'est aussi ce qui fait son charme, n'en déplaise à certain(e)s. Il suffit d'un peu de patience. Et de ne pas avoir bu. Ce qui, avec Lola, est également délicat, voire impossible. Ça nous a pris à peine un quart d'heure je pense, tellement étaient bien soutenus allure et tableau. Raffistolé de partout, le dernier objet fragile encore en attente, était désormais prêt pour le voyage qui aura lieu mercredi, Lola suivant dès le lendemain avec le vieux Michu (hommage castillan à Robert) et la grosse Marina, ses chats qui en ont vu du paysage et des home plus ou moins sweet. Car Lola donc repart. Après un tournage mouvementé en Argentine, elle souhaite être auprès de sa mère, malade et hospitalisée. Après, elle verra. Pour le moment, elle logera chez une tante, dans la banlieue de Madrid, avec jardin contre cohabitation, perspective qui, avec Lola, peut vite devenir explosive. On verra donc.
Ma fille devait me rejoindre pour une visite à la MEP et à Lartigue en couleurs. Accablée par la chaleur dans son deux-pièces après l'effort hystérique fourni, Lola voulait sortir prendre quelque chose, tomar étant en espagnol utilisé aussi bien pour un verre que pour croquer un morceau. Elle avait en tête un croissant ou un pain au chocolat, mais devant le rideau tiré de la boulangerie, m'a proposé d'essayer la tarte aux carottes de l'autre côté du square Maurice Gardette. Tu verras, ça va te plaire, assurait-elle, c'est naturel, et riquisimo. Il existe encore quelques lieux aussi improbables à Paris que cette petite boutique macrobiotique grise et peu avenante mais aux produits effectivement délicieux. Cette tarte aux carottes, dont j'ai pris deux bouchées, était à tomber par terre. Je me suis juré d'y retourner un de ces qautre, lors de ma prochaine visite nostalgique à la librairie peut-être. On verra. 
Lola était formelle. Le tabac la dégoûtait désormais et il était temps d'arrêter. Elle sentait parfois, en jouant, que sa voix atteignait un point de non retour, ou de non compréhension. Qu'elle avait peur de rester un jour coincée quelque part, quelque prise, quelque plan ultime et définitif. Je la félicitais bien entendu, assez hypocritement, comme on encourage un malade que l'on sait dans la merde encore pour un moment. 
Ma fille nous a retrouvés et on a opté pour une terrasse à l'ombre. Un café pour Lola. Pas question de reprendre la marcha, tout au moins si tôt dans la journée. Il faut dire que deux jours auparavant, elle nous avait reçu chez elle, mes filles et moi, pour-dire-au-revoir-c'est-à-vous-de-venir-me-voir-à-Madrid-maintenant. Et après avoir dégusté une de ses légendaires tortillas, on avait fini aux Enfants terribles dont elle a fait son QG après quelques jours dans le quartier. Et là, je ne me souviens plus de tout. Si ce n'est de la honte de mon état devant mes filles. Une en tous cas, l'autre bossant tout le mois en centre de loisirs avait sagement décidé de rentrer se coucher avant le massacre. Si nous sommes rentrés ce soir-là un peu avant le dernier métro, Lola a continué la nuit avec son pote Karim, en route lui pour le Brésil, jusqu'au premier métro et avait encore hier du mal à s'en remettre. Le temps n'épargne personne, passé un certain âge, il nous rappelle plus sévèrement combien nous avons abusé et combien rien ne sera plus jamais comme avant.
Mais à peine assis, face à un tabac, ce n'était pas malin, mais j'avais pas fais gaffe, Lola s'est sentie nerveuse et sous l'emprise du manque. Tous les prétextes sont sortis dans le désordre et la confusion : le voyage, les adieux, je suis une droguée que veux-tu, la Chinoise lundi… et le patch a volé par dessus le trottoir alors qu'elle courait vers sa came. J'ai ravalé ma culpabilité, apparue lorsque je doutais de la solidité de l'entreprise arrêt de la clope en contournant le square à la recherche de la tarte aux carottes. Lola fumait, la main sous la table du bistrot, aussi discrète qu'une laryngectomie. 
Elle n'arrivait pas à se dire qu'elle rentrait enfin à Madrid après quatre années par ici. Nous nous sommes promis de nous revoir une dernière fois avant mercredi. Dimanche, peut-être. J'emmènerais alors mes armes, je veux dire mes filles, pour me protéger des mauvaises influences congénitales et amicales. Et des larmes.

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