Tu peux montrer tes seins ? C'est pour mon copain.Quel con, ce Stéphane. Ou ce Jean-Marc. Je ne sais plus qui avait fait la blague. Toujours est-il qu'elle s'était exécutée. A moitié. Elle avait relevé son pull et on avait vu ses seins enfermés par le soutien-gorge. De beaux seins ronds, gros, fermes, laiteux, tels qu'on les avait envisagés et perçus dans un geste furtif. J'étais gêné. J'avais rougi, je crois bien. Le sexe me turlupinait, mais j'étais reclus dans ma timidité, un complexe dû à ma condition, mon ignorance, mon manque de tout, pas seulement d'expérience. La moindre approche – ne parlons pas de rendez-vous, je n'avais pas encore lu Cioran –, était une crucifixion.
Peggy, c'était la rigolote de la classe. Une fille taillée pour le fantasme d'adolescents. Elancée avec les formes. Mais je la trouvais stupide. Hors de portée. D'un autre monde. On s'est retrouvé l'année suivante, à la fac. La première année, j'étais avec N. Elle préparait une formation pour être instit. En grande banlieue. Moi, j'étais à Paris, au Quartier latin. Entouré de jeunes étudiantes, de glandeurs, de salles de cinéma et de la Seine quand j'allais, solitaire, d'un pont à l'autre, de Jussieu à l'institut d'anglais, rue Charles V. J'étais très attiré par une provinciale bon chic bon genre pourtant. Elle avait un studio rue de la Harpe, je crois. Il m'arrivait de me prendre pour un personnage d'Eustache et la suivre de loin. Un copain, très proche d'elle, m'avait dit qu'elle s'en était rendu compte, qu'est-ce que je cherchais ? J'étais monté sur mes petits chevaux et prétexté que j'allais souvent dans son quartier, voir des films, qu'est-ce qu'elle croyait ? La honte ne m'a jamais quitté.
En deuxième année, j'ai rompu avec N. ou plutôt, elle a rompu avec moi. J'étais libre mais je me pensais malheureux. Peggy est venue à la charge. Je ne remarquais rien. J'étais l'homme le plus triste de la terre, de la fac tout au moins. Souvent, on prenait le métro ensemble en renrant de la la fac. Je lui baisais la main à sa station, puis continuait vers ma banlieue.
Elle a fini par me demander d'aller au cinéma avec moi. Elle ne comprenait pas ce que je foutais tous les jours dans l'obscurité. On s'est retrouvé justement rue de la Harpe. Voir un film allemand dont je me rappelle le titre parfaitement, l'intrigue un peu moins, La Femme flambée. Nous étions en hiver et l'ardente Peggy avait froid. Elle s'en plaignait. Au lieu de la coller contre moi, je lui ai offert ma veste. Je faisais ce genre de choses. Pitoyables. Suicidaire. Je l'étais. Je savais pertinemment qu'en ne cédant pas à ses avances, je passais pour un original dans le meilleur des cas, pour un crétin plus sûrement. Je portais le deuil de mon amour brisé, et le goût du sacrifice romantique à deux balles.
Dès le lendemain, Peggy a cessé de m'adresser la parole. Je l'avais humiliée en cherchant à m'humilier. L'année suivante, on s'est perdu de vue, je crois bien. J'ai cédé aux avances de ma prof d'informatique, qui avait 15 ans de plus que moi.
Je pense souvent à Peggy, à ma connerie d'alors, un peu différente de celle d'aujourd'hui. Qu'est-elle devenue, Peggy ? Femme de médecin ? Rangée et éteinte ? Ou explosive, prenant un ou des amants après sept ans d'un mariage confortable mais ennuyeux, s'éclatant enfin ? Violée par un cousin ? Actrice X ? Exilée en Israël et dévouée à la cause ? Pute à la retraite ? Diplomate ? Vendeuse de fringues ? Emportée par un cancer du sein ?
Parfois, j'aimerais la revoir. Elle ne m'attirerait pas plus qu'hier. Non, j'aimerais l'entendre me raconter cette histoire, changer de point de vue. En finir avec les souvenirs. Parler de sa vie, d'aujourd'hui.
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