vendredi 3 juillet 2015

D'obscurs nuages nous empêchent de voir

 
Je me suis mis à l'ombre, en attendant que ça démarre. La Bastille, à cette heure de rendez-vous, c'était encore le cagnard. Je les ai tous regardés passer, à l'ombre de ma colonne Morris. C'est une des rares manifs où je me suis rendu seul. Je me suis fait passer pour un agent du renseignement qui photographie sans appareil les classes dangereuses hors appareil du parti. Ça m'allait, prendre la température. Je laisserai le soin à Frédéric Lordon ou à Emmanuel Todd d'étiqueter les manifestants, mais je ne suis pas certain qu'aujourd'hui, l'esprit du 11 janvier était dans la rue. Pas même celui de mars 2012. J'ai plutôt senti fatigue, abattement et mobilisation réflexe.
Je ne sais pas non plus à quoi ressemblent les membres des Jeunesses communistes de nos jours – l'ai-je jamais su ? – mais ceux que j'ai vu passer devant moi ressemblaient davantage à des lycéens des beaux établissements du quartier qu'à des fils d'ouvriers ou, allez ne soyons pas simplistes, des enfants de la petite bourgeoisie. De même n'ai-je pas vu de sympathisants frontistes, dont les dirigeants ont pourtant applaudi haut et fort la victoire de Syriza il y a six mois. La plupart des hommes et des femmes présents étaient de vieux militants syndicalistes qu'on imagine défiler pour toutes les bonnes causes jusqu'à leur mort.
J'en étais de ces réflexions solitaires quand je me retournais et contemplais l'affiche enroulée sur mon parasol de circonstance. Une pub pour le spectacle Résiste ! Ça ne s'invente pas ! France 2, France 3, la Fnac du fils Pinault, Parlophone et Warner, mais aussi Le Parisien, TS3, Pure Charts et RTL parrainent cette comédie musicale au titre-slogan évocateur mais apparemment quelque peu trompeur. C'est alors que j'ai vu passer le patron de mon journal, pressé comme d'habitude, le temps de démarrer pour le rejoindre, je l'ai perdu de vue. Derrière quel cortège s'est-il placé ? On se voit peu désormais. Dommage, c'est quelqu'un qui me faisait beaucoup rire et m'impressionnait à la fois. Nos carrières journalistiques – si je peux employer ces termes me concernant – ont pourtant démarré en même temps. J'ai bifurqué jusqu'à m'égarer tandis qu'il grimpait jusqu'à la direction. On a déjeuné ensemble il y a deux ans, comme si le temps nous avait épargné tous les deux. Je n'ai jamais été doué pour faire fructifier les relations professionnelles, n'en ai jamais eu l'ambition, pas même l'idée.
Arrivé à République après cette gentille promenade, et une très belle chanson grecque a capella – interprétée par un défilant, pas par moi –, j'ai traversé le boulevard pour entrer dans la librairie L'Acacia, anciennement Arbre à lettres, comme je le fais à chaque fois que je suis dans ce quartier, c'est-à-dire peu souvent. Depuis quelques jours, me démange l'envie de me procurer La Fuite de Monsieur Monde, mais le livre n'est plus édité, comme me l'a de nouveau confirmé la libraire. J'ai alors demandé ce qu'était cette réunion secrète qui se tenait dans un coin de la boutique et pour laquelle on avait poussé les tables, rendant inaccessibles bien des rayons. Il s'agissait d'une rencontre entre des lycéens du coin et des journalistes du coin, Libération en l'occurrence. Le thème : comment créer un journal libre ? Là non plus, ça ne s'invente pas… Les employés de Rotschild faisaient la leçon aux gamins, à bonne école. J'ai ri nerveusement en quittant la librairie. Sur le trottoir de devant, un type en costard, à la Tapie, gueulait sur son smartphone. Certainement un chef, un petit, du journal moribond de la rue Béranger. A la fois autoritaire et mielleux, il avait en ligne le correspondant à Bruxelles, si j'ai bien compris. Un crétin à lunettes. J'ai surpris quelques bribes de leur conversation entre vieux potes de gauche. « Tu sais bien que je t'ai toujours soutenu, malgré tes idées. Que je partage d'ailleurs. Je te reproche un seul truc, tu vois : c'est qu'on s'appelle pas souvent ! Tu devrais m'appeler plus souvent. Et tu sais, si le oui passe, alors là, on se fait une bonne choucroute, parce qu'on va se marrer ! » Rien d'inventé, vous pouvez aller le vérifier. Pas la peine d'acheter ce torchon. Le type a un blog sur le site de ce titre fondé par Sartre et cie. A vomir.
Pour le Simenon, j'irai le piquer chez ma sœur qui a une grande partie de la collection Omnibus. Pas question de tenter de le commander dans la Zon esclavagiste en ligne ! Quant au référendum, j'en espère une bonne leçon de démocratie, voire un premier pas vers la révolution. Moins serait une reculade inacceptable !



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire