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Sepp Dreissinger |
Nous croyons que nous avons vingt ans et agissons conformément à cette croyance, mais en réalité nous en avons plus de cinquante et nous sommes totalement épuisés, pensais-je, nous nous traitons comme si nous avions vingt ans et nous nous démolissons, et nous traitons aussi les autres comme si nous avions vingt ans, mais nous en avons cinquante et ne supportons en réalité plus rien du tout, et oublions aussi que nous avons un mal, plusieurs, de nombreux maux ensemble, comme qui dirait des maladies mortelles, avec lesquelles nous existons évidemment depuis fort longtemps déjà, mais le fait est que nous ignorons cela et ne le tenons pas du tout pour vrai, alors que c'est toujours là, constamment, pendant toute notre vie, et que cela nous tuera un beau jour, et nous nous traitons en définitive comme si nous avions encore les forces que nous avons eues il y a trente ans, alors que nous n'avons même plus une parcelle des forces d'il y a trente ans, de toutes ces forces, plus rien, pensais-je dans le fauteuil à oreilles. Car il y a trente ans, cela ne m'a rien fait de rester debout deux ou trois nuits d'affilée et de boire pratiquement sans arrêt, n'importe quoi, et de me produire comme machine à divertir, de faire comme on dit le boute-en-train pendant tout le tour du cadran, plusieurs nuits de suite, pour toutes sortes de gens qui ont tous été des amis à l'époque, cela ne m'a été préjudiciable en rien, et pendant de nombreuses années, comme je le pense maintenant, je ne suis effectivement rentré chez moi qu'à trois ou quatre heures du matin et ne me suis donc couché qu'aux premiers chants d'oiseaux, sans que cela m'ait causé le moindre préjudice.
Thomas Bernhard, Des arbres à abattre, Une irritation,
trad. Bernard Kreiss
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