Lorsque je suis à Madrid
les cafards de chez moi protestent parce que je lis la nuit
La lumière ne les encourage pas à sortir de leurs cachettes,
et ils perdent ainsi l'occasion de se balader dans
ma chambre
lieu pour lequel
‒ pour d'obscures raisons –
ils se sentent irrésistiblement attirés.
Ils entendent aujourd'hui déposer plainte
devant le président de la république
et je me demande
Mais dans quel pays s'imaginent-ils vivre ?
Ces cafards ne lisent pas les journaux.
Ce qui leur plaît c'est que je m'enivre
et danse le tango jusqu'à l'aube,
pour ainsi effectuer sans risque aucun
leur ronde incessante et absurde, à l'aveugle,
sur les larges tomettes de mon alcôve.
Il m'arrive parfois de les satisfaire,
non que je tienne compte de leurs désirs,
mais je me sens irrésistiblement attiré,
pour d'obscures raisons,
par certains lieux très mal éclairés,
dans lesquels je m'attarde sans plan précis,
attendant que le soleil naissant annonce une nouvelle journée.
Et lorsque de retour à la maison,
j'aperçois dans le couloir leurs petits
corps s'échapper,
maladroits et effrayés,
vers les sombres fissures qu'ils habitent,
je leur souhaite bonne nuit à contre-temps,
‒ mais de tout coeur, sincèrement ‒
reconnaissant en moi leur incertitude,
leur importunité,
leur photophobie,
et bien d'autres tendances et comportements
qui ‒ je regrette de le dire ‒
ne plaident pas vraiment en faveur de ces orthoptères.
Ángel González, trad. maison
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