mercredi 29 juin 2016

Des fêtes du cinéma

Cartier-Bresson via undr


- Alors, t'as même pas profité de la Fête du cinéma ?
- Je n'en ai jamais profité ! Même lorsque je me piquais de bobines jusqu'à l'overdose, s'il y avait bien un jour où je ne fréquentais pas les salles, c'était celui de la Fête du cinéma !
- Tu es d'un snobisme !
- Rien à voir ! Je déteste la culture festive. De même ai-je rarement mis les pieds à la Fête de la musique. Qu'on me dicte le moment où je dois aller au cinéma, écouter de la musique ou lire un livre, avec les autres, me fait fuir ! T'y es allé, toi ?
- Oui, j'ai vu Camping 3.
- Ah oui, quand même ! Et alors ?
- Mouais… Ils en disaient du bien au Masque et la Plume…
- Pas étonnant. Ce matin, j'en ai entendu l'éloge sur France culture !
- Tu déconnes ?
- J'ai cru m'être trompé de station. Mais ça n'a rien d'illogique. On accompagne avec sourire et fausse transgression culturelle le cortège funéraire.
- Quel cortège ?
- Celui du cinéma. Dimanche matin, sur France inter…
- France culture, tu veux dire ?
- Non, non, France inter. J'ai précisé : dimanche matin ! Tu ne peux pas écouter France Q et ses émissions religieuses, le dimanche matin.
- Oui, mais France inter ! Toi ?!
- Pour tout te dire, je pensais que j'étais sur Europe 1, avec toute cette diarrhée publicitaire et éditoriale. C'est lorsque j'ai entendu cette andouille de speakerine présenter cette idiote de directrice du CNC que j'ai compris quel était ce bruit de chiotte qui accompagnait l'écoulement de mon eau de vaisselle. Frédérique Bredin, une socialiste proche du festivocrate Jack Lang
- Festivocrate ?
- Oui, Lang
restera quand même comme le créateur des fêtes en tous genres…
- …sans jeu de mots
- Non, c'est à prendre au mot. Brèfle, cette Bredin, socialiste, donc amie des cultureux, fille de l'avocat-écrivain-académicien Jean-Denis Bredin, haute fonctionnaire elle-même, mariée à un haut fonctionnaire, inspectrice des finances, qui a barboté dans différents ministères de la mafia de gauche…
- Attends, je vois qu'elle a été directrice générale de Lagardère Active et bossé au Journal du dimanche…
- Possible… Ils sont prêts à tous, ces gens-là… Ça se recycle dans le privé sans problème après avoir été ministre, mais là n'est pas le propos. Cette bonne directrice du CNC nous disait que la Fête du cinéma, c'est vachement bien parce que, « en ces temps difficiles pour certains », selon ses termes, on a des places pour pas cher, on peut aller en famille et y'a plein de comédies pour se détendre !
- Ben, elle fait la promotion d'une manifestation qu'elle finance.
- Et des gens comme toi se précipitent pour voir la dernière daube franchouillarde couleur Marine, sortie justement la veille de la Fête du cinéma…
- T'y vas un peu fort !
- Comme toujours…
-
Le cinéma français est très diversifié quand même !
- Tu aurais ta place dans le service de communication de la dame Bredin, espèce de socialiste !
- Figure-toi que j'ai failli aller voir un film d'auteur, je ne me souviens plus du titre, avec une piscine. Je crois que c'est tourné dans ton bled, d'ailleurs. Attends…
- Ce doit être le film de Solveig Anspach. 
- Comment tu dis ? Ah oui, c'est ça, L'Effet aquatique… Bon, et puis, je me suis dit que ça devait être un peu ennuyeux, tout un film dans une piscine.
- Je ne sais pas. Il y a deux acteurs que j'aime beaucoup : Samir Guesmi et Philippe Rebbot…
- Connais pas… 
- Tu vois, t'as pas eu envie d'aller voir ce petit film, qui bénéficie d'une bonne promo, d'affichage, qui était à Cannes…
- Elle est pas morte, la réalisatrice ?
- Si, justement, la culpabilité joue beaucoup dans la campagne de promo et dans sa sélection à Cannes. 
- Tu serais pas un peu cynique ?
- C'est ce monde qui l'est, cher ami. Elle était gentille cette Solveig Anspach, mais bon, ses films sont assez fadasses. A part peut-être le premier, Haut les cœurs. Et encore, c'est parce que c'est écrit par un copain.
- Je n'ai rien vu d'elle, je pense…
- Pour aller vite, ce sont des
films situés
dans ce qu'on appelle le monde bobo – le sien –, avec un humour bobo, des préoccupations bobos et c'est sans grand intérêt. 
- Mais, pour revenir à notre discussion sur la diversité, ce type de films existe…
- Oui, oui, les anciens élèves de la Femis pondent régulièrement des machins sans aspérités, formatés qui sortent en salles et que vont voir leurs profs, les nouveaux élèves de la Femis, les critiques, les abonnés de Télérama et autres bobos. Ça dérange personne, c'est gentillet, bien-pensant, de gauche, y'a pas beaucoup de cinéma là-dedans, mais ça fait marcher la petite industrie : loueurs de matériel, auditoriums, agents artistiques Tiens, est-ce qu'aujourd'hui, un type comme Robert Bresson serait produit ?
- Ben oui, c'est un monument du cinéma.
- Ah ! Ah ! Ah ! Tu rêves ? Bresson irait voir une chaîne, mettons France 2, en disant Je veux adapter Dostoievski et suivre le trajet d'un billet. Le responsable des programmes manquerait de s'étouffer, lui dirait que le communisme, c'est une idée qui a fait son temps, et lui demanderait, histoire de le lourder C'est quoi, votre casting ? Le pauvre Bresson répondrait Je travaille avec des modèles, comme un peintre. Et l'autre On vous rappellera, mon vieux. Et pareil pour Eustache.
- Eustache ? Attends Le type qui a fait La Maman et la Putain ?
- Oui, merci wikipedia ! Depuis tout à l'heure, je te vois zyeuter ton smartphone comme un cancre au fond de la salle, crétin !
- On ne peut pas tout connaître !
- On peut aussi fermer sa gueule ! Et crois-moi, on lui fermerait sa gueule à Eustache. On lui dirait Votre film est trop long et c'est quoi, ce Noir et blanc. Et puis votre Françoise Lebrun, elle est un peu déprimante, les gens ne se déplacent plus pour ce genre d'actrices, vous ne voulez pas prendre notre Miss météo ? Ou la petite youtubeuse qui cartonne en ce moment ?
- C'était mieux avant, c'est ça ?
- Pas forcément. Mais Eustache, Bresson, Godard, Pialat, on n'en voudrait pas aujourd'hui ! Ou ce con de Renoir, tu crois qu'on le laisserait rater une dizaine de films avant de pondre un truc valable ? Ou Grémillon… Ou encore Rohmer, on lui dirait Quand même votre film en costume là, sur le Moyen-Age, la quête du Graal, si on en faisait un film de science-fiction ? et Perceval deviendrait Le Transperceneige, et on en confierait la réalisation à un petit soldat de l'écurie Besson ou à un petit génie coréen. Mais c'est pareil partout ! Tu crois qu'un Fellini serait produit aujourd'hui? Ah ! Ah ! Ah ! Laisse-moi rire ! On lui dirait Cher Federico, vos grosses bonnes femmes à forte poitrine, ce ne sont plus les canons de l'époque. Et vos séquences de rêve, on n'y comprend rien. Antonioni, on lui dirait Votre scénario, ça manque quand même de conflits et de rebondissements, et ce personnage central, on ne saisit pas bien sa motivation, faut retravailler ça. Monsieur Ozu, ça suffit tous ces plans fixes qui n'en finissent pas sur les cheminées d'usines, les couloirs vides et le linge qui sèche, faut monter plus cut, du rythme !, du rythme ! Tarkovski, on l'enfermerait. Lui qui a échappé à la censure soviétique, au goulag, qui est enterré en banlieue parisienne, aujourd'hui il trouverait la même chose ici, on n'aurait jamais eu Nostalgia, Le Sacrifice… Bergman, on lui dirait Caméra à l'épaule mon vieux, et en anglais avec casting international comme le petit von Trier ! D'ailleurs, quand Bergman, pour des questions d'impôts, a fait dans la production internationale, ça a donné son film le plus indigeste, L'œuf du serpent… Crois-moi, on ne l'y a pas repris !
- Plus rien ne trouve grâce à tes yeux ?

- Qui présidait la Fête du cinéma, cette année ? Ce pauvre Costa-Gavras. Regarde ce qu'il a dû concéder pour ses derniers films, assez ratés au demeurant. J'imagine le truc : Moi, Grec de gauche, faut que je fasse un film sur la finance. Très bien mon cher Costa, prenez donc Gad Elmaleh, il sera parfait dans le rôle. Ou Je veux faire un film sur le monde du travail, en adoptant le chef-d'œuvre de Westlake, Le Couperet. Tiens, Coco, prends donc le comique de Canal, José Garcia, contre-emploi, le fameux syndrôme Coluche-Tchao Pantin, on va cartonner…

- Il a toujours fait des films avec des vedettes, non ?
- Quoi qu'on pense de cet imbécile de Montand, Montand l'acteur, c'était autre chose que cette couille molle de Gad Elmaleh
- J'avoue…
- Arrête avec ce parler jeune !
- C'était un hommage à Costa ! Ecouter France inter, ça te met dans ces états…
- S'il n'y avait que ça…


4 commentaires:

  1. A propos de France Inter et de cinéma, dimanche matin j’ai écouté Clément Rosset à l’émission d’Eva Bester, il n’avait évidemment pas de remède à la mélancolie. Il a parlé de cinéma, de Bunuel (je n’arrive pas à mettre le tilde) ,de La voix lactée (son meilleur film dit-il), de Piccoli, de son copain Carrière. Bref il faut choisir son heure sur France Inter et pour le reste, je partage votre accablement.
    Salutations inconsolables,
    Lucm

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  2. Cher Luc, averti par un ami de la participation de Clément Rosset à ce bidule, je me suis rebranché avec effroi et embarras sur France inter. La pauvre speakerine semblait perdue et ne trouvait pas mieux que de couper la parole à notre ami en balançant des inepties et de la musique agressive censée réveiller les auditeurs. Mais si ça peut donner envie à des égarés du service public de lire Rosset, je m'en réjouis bien évidemment. Bien à vous.

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  3. France Inter vient, par ailleurs, de virer sa seule émission de chanson écoutable.
    Quant à France Culture, elle devient toute aussi réac, lisse et vaine.
    Pour votre consolation, on se permet de vous conseiller un petit bijou de film venu du Kazakhstan : "L'Ange blessé" d'Émir Baigazin.
    Même si je crains bien que les salles qui le passent encore ne doivent se compter sur les doigts d'une main. Après tout, ce film est sorti il y a déjà deux mois.

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    1. Merci pour le conseil kazak cher Jules ! Bien entendu, le film a disparu des écrans radar mais je tenterai de le trouver sous une autre forme...

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