mercredi 8 juin 2016

A la main


J’ai beaucoup de mal à parler de ma vie et de mes livres. Parce que ma vie se confond avec mes livres et que dans mes livres quand je parle de moi je confonds résolument ce que j’ai vécu et ce que j’ai rêvé et imaginé. J’ai toujours pensé aussi qu’un écrivain, parlant de lui, se devait de mentir - mais de « mentir-vrai » - comme le dit superbement Aragon. Est-il vrai, par exemple comme je l’écris dans mes Souvenirs littéraires, qu’à l’âge de sept ans, j’ai rencontré Jules Romains, de l’Académie Française, sur un quai de gare et que cet événement considérable a suscité en moi la naissance fulgurante d’une « vocation » ? Est-il vrai que j’ai rencontré le Bon Dieu dans une pissotière de Strasbourg, comme je le raconte dans l’une de mes Virginales, mon premier recueil de nouvelles, qui me valut d’emblée, comme je le voulais tant, d’être reconnu comme un écrivain, par et parmi les écrivains ? Ai-je vraiment conduit en voiture, à travers la France en guerre, un responsable du Front de Libération Nationale de l’Algérie, comme dans mon récit Le passager de la nuit. Ai-je vraiment vu des prêtres en soutane blanche enterrer dans le sable, en plein désert, le cadavre de ma sœur Enina ? Mais non ! Je ne suis jamais allé dans le désert et je n’ai jamais eu de sœur prénommée Enina sauf dans Les Saisons ! Tels sont quelques-uns des livres qu’au fil des ans, j’ai rêvés, imaginés ou vécus - mais surtout écrits, façonnés de mots en mots avec des voyelles et des consonnes. Et à la main ! Un peu comme un vannier façonne ses paniers et ses corbeilles avec le fol espoir d’attraper un peu de beauté...
Maurice Pons 




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