jeudi 16 juin 2016

Le scanner de Flaubert




- Désolé de te recevoir comme ça. Et n’essaie pas d’en profiter.
- Tu passes tes journées allongé ?
- Parfois je me lève pour aller pisser. Je t’offre un thé ?
- J’en prends jamais. Je ne reste pas longtemps.
- Un verre d’eau ?
- Merci, ne te dérange pas. Avec tout ce que tu enchaînes, j'espère que t’as une bonne mutuelle
- Depuis peu, oui. J’ai senti le coup venir…
- Moi, je vais si peu chez le médecin que je n’ai jamais pris de mutuelle.
- Et sinon ?
- C’est vrai que tout le monde ne doit te parler que de ta santé. Tu devrais faire comme Houellebecq.
- Tu lis Houellebecq, toi ?
- Non, mais t’es pas au courant de sa dernière trouvaille ?
- J’ai plus que jamais l’impression de vivre en ermite.
- Tu ne sais pas la chance que tu as.
- J’aimerais bien en avoir une autre.
- Non, ce que je voulais dire, c’est que tu fous rien de tes journées, tu ne vas pas bosser, tu lis, tu mates des dvd, des matchs…
- Oui, j’avais compris et je te dis, j’aimerais bien avoir un autre type de chance. C’est quoi la nouvelle histoire de Houellebecq ?
- Attends, je vais te retrouver ça. C’est quoi le mot de passe de ton réseau ?
- Ne me fais pas chier avec ça. C’est un code impossible à retenir inscrit sur le boitier de la wifi et je n’ai pas l’intention vieux salopard de me lever ni que tu me lises un article trouvé sur 20 Minutes ou L’Obs. Tu me résumes l’affaire et on n’en parle plus.
- Je ne sais plus dans quelle expo, ou biennale d’art contemporain, en Suisse je crois, on n’a rien trouvé de mieux que de présenter les examens médicaux de Houellebecq.
- Il était malade ?
- Non, il est en parfaite santé, c’est une œuvre d’art.
- Sa santé ?
- Ses analyses médicales.
- Parce qu’elles étaient faites par un ponte quelconque ?
- Je n’en sais rien, mais c’est marrant, non ?
- Ah oui ?
- Tu trouves pas ?
- On en est là ?
- Ça fait le buzz, en tous cas.
- C’est l’essentiel.
- Je ne sais plus si c’est une idée qui vient de lui ou du commissaire d’exposition.
- Une lumière, certainement.
- Le papier citait une artiste qui était enthousiaste, presque jalouse de cette idée fabuleuse.
- J’imagine, la pauvre.
- Tu ne l’aimes pas beaucoup, hein ?
- Houellebecq ? Pourquoi devrais-je l’aimer ? Ça ne m’intéresse pas. Je n’ai lu qu’un seul de ses bouquins et j’ai eu l’impression de regarder BFM en boucle. Et son style wikipédia, je ne peux pas…
- Tu exagères.
- Peut-être. Mais est-ce que tu imagines Dostoievski, Flaubert, Céline…, je ne sais pas, un de ses auteurs de référence, Huysmans, se prétendre artiste en exposant une radio des poumons ou une analyse d’urine ?
- Je ne connais pas bien l’art contemporain, mais je suis sûr que ce genre de chose s’est déjà fait.
- Certainement, nos artistes sont remarquables…
- Y’a pas une artiste qui expose ses opérations de chirurgie ethétique ?
- Si, si, ça existe… Mais ça ne m’intéresse pas plus que Houellebecq.
- C’est son côté provocateur qui t’énerve ?
- Si le moindre pet de ce grand écrivain fait le buzz, je suis ravi pour tous ceux qui le suivent, j’espère qu’il a un compte Facebook, twitter ou machin-chose avec plein de followers, de likes, que son éditeur s’en fout plein les fouilles, que la clique médiatico-politique s’encanaille à souhait à son contact…
- Ce matin, j’ai entendu Montebourg à la radio dire que Houellebecq était son écrivain préféré…
- Oui, voilà, parfait. Une autre lumière, celui-là. L’ancien ministre du redressement national passé dans la vente de meubles suédois ? Ce sont des gens de leur époque, qui se reproduisent entre eux. Une époque de couilles molles. Tu aurais pu venir avec une bouteille !
- Tu m'as dit que tu ne buvais plus.
-
C'est toi, tu me donnes soif avec tes conneries. Tu as d’autres choses merveilleuses à me raconter et qui m’auraient échappé ?
- Non, je ne vais pas tarder.
- Tu vas voir un match ?
- Oui, j’ai rendez-vous au café avec un ancien élève.
- File vite, alors. Et salue Ahmed de ma part.
- J'y manquerai pas. Tu vas regarder ?
- Non, la wifi ne passe pas dans la chambre. Pas assez bien pour un streaming clandestin en tous cas. Et puis, je ne sais pas, tout ce matraquage sur le foot dès que tu ouvres la radio me fatigue. Je préfère lire Malaquais.
- T’as rien regardé ?
- Un ou deux matchs. Insipides, avec des commentaires débiles… Tu as vu de belles choses, toi ?
- Pas vraiment. Mais ce soir, ça doit valoir le coup, Allemagne-Pologne, l’Anschluss, tout ça…
- Je crois que tu confonds Anschluss et Auschwitz, mon vieux.
- Tu crois ?
- On s’en fout, c’est du pareil au même, l’un ne va pas sans l’autre. Ça n'intéresse plus personne, c'est un buzz dépassé. File voir ton match, tu me raconteras. Par mail – hein ? –, pas la peine de venir jusqu’ici pour ça ! J'ai une expo à préparer !

2 commentaires:

  1. Je me répète : il faut que vous réunissiez ces dialogues en un recueil pour un éditeur. Car, hormis le talent certain dont vous faites preuve (et qui m'amène, malgré cette heure très matutinale, à faire dans la dithyrambe), ils constituent un document précieux sur l'âme de l'époque - étant entendu qu'elle en aurait une.

    Bon courage.
    Mon bonjour de derrière les fagots.

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  2. Merci cher Promeneur. Prenez un bon café et on en reparle !

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