mercredi 15 juin 2016

Refusons la tolérance !


« Est-ce que nous ne sommes pas en chair et en os au contraire, remuant des idées comme si c'était de la dynamite, libres de nous lever, de nous coucher, de piquer nos crises de rage, d'avoir nos crises de bonté, tout un programme de vie en somme? Seulement, j'ai beau me tâter, faire le tour de mes glandes, jauger la moyenne de mes complexes, reconnaître la part de ma volonté, il n'empêche  que l'essentiel de ma vie se décide en dehors de moi. Quel que soit le total de l'opération, je ne suis en fin de compte qu'un rapport de bureau rédigé dans un style impersonnel sur des fiches indestructibles manipulées par des machines objectives. Alors pourquoi voulez-vous que je juge Catherine quand c'est la situation qu'il faut juger? Quand seule la Cité est justiciable? Quels que nous soyons, Dominique, nous ne sommes plus que tolérés, et le mieux que nous puissions faire est de refuser cette tolérance. » Mais nous ne dévoilerons rien de plus : car il t'appartient à toi, lectrice, lecteur, de faire l'expérience déconcertante de ce roman. Sache juste que tu vas y trouver de l'oppression et de la surveillance orwellienne, des administrations et des bureaux kafkaïens, des VRP, des fonctionnaires, des employés, des instituts nationaux, des hiérarchies déresponsabilisantes, des (mauvaises) blagues, des situations chaplinesques, des tours de force narratifs, des raisonnements abscons, de la logique absurde, et un long cri dénonçant l'acharnement que met l'ordre établi à broyer le moi. L'émancipation encore et toujours. Malaquais n'a jamais lâché le morceau.

Extrait de la préface signée Sebastián Cortès pour la réédition (en vert, quelle idée !)
du roman de Jean Malaquais, Le Gaffeur (1953),
éditions de l'échappée, coll. lampe-tempête, Paris, 2016

5 commentaires:

  1. On en profite pour vous recommander chaudement la correspondance entre André Gide et Jean Malaquais publiée chez Phébus.

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  2. Dommage, j'ignorais...
    Va falloir hanter les bouquinistes, c'est assez savoureux.

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  3. Quelle prose magnifique en tout cas. Je cours l'acheter...

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