samedi 27 février 2016

Un petit homme de dos


Fernell Franco via Pop9

Cette préférence marquée pour les vieux livres et les vieilles histoires, ce goût d'un passé révolu ne sont, je m'en rends compte, qu'une manière de tourner le dos à mon époque, laquelle se vante trop de ses « progrès » pour n'avoir point à cacher quelque barbarie secrète. Son arrogance, que l'on peut simplement trouver naïve, m'a toujours parue à la fois vulgaire et terrifiante. Les « grands hommes » qu'elle a dressés pour notre édification sur les tréteaux de la politique se sont généreusement chargés de justifier mes pires appréhensions à cet égard, et mieux encore s'il se peut. Voilà de quoi m'ont préservé tant bien que mal les livres anciens, alors que je retrouve presque toujours dans les lettres contemporaines les vices de notre époque fiévreuse, brutale, avide d'actualité, de vitesse et de technique. Volontairement privé des moyens de communication qui si fort plaisent à mes semblables, impatients dirait-on d'ingurgiter tous, et si possible aux mêmes heures, la même bouillie d'information, je suis devenu indifférent, voire réfractaire, aux débats d'idées et aux modes qui les rassemblent, et à la Mode tout court, ce monstre qui domine et tyrannise notre aimable société. Ma vie s'en est ressentie, mais aussi ma façon de vivre, de penser, ma conception des arts, de la politique, du sport et de tout le reste. Ayant de bonne heure senti en moi la vocation d'écrire, et placé comme j'étais en marge de mon temps, je me voyais voué de prime abord à l'insuccès. Aussi ai-je préféré écrire pour moi, et pour moi seul.

Marcel Lévy, La Vie et moi

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