lundi 22 février 2016

Femmes en pleine crise






Je viens de voir ce teaser du dernier film de Pedro Almodóvar, semble-t-il assagi après sa tentative ratée, voire gênante, d'un retour forcé aux sources, (trop) plein de saturation de couleurs, références, effets et chansons (Les Amants passagers). Si j'ai les bonnes infos – Almodóvar aimant cultiver le secret sur ses films, ou tout au moins en avoir l'air –, il s'agit d'une histoire de… secret de famille, dans laquelle l'humour a peu de place. Et j'imagine ce bon Pedro viser une dernière fois avec ce drame intimiste la Palme cannoise tant convoitée et toujours (parfois injustement) loupée. 
D'autres films espagnols, dans lesquels la femme tient un rôle prépondérant, sont attendus ici avec grand intérêt. Ils appartiennent à un courant plus réaliste, à des années lumière de celui de l'enfant-chéri de la Movida, une tradition que le baobab Almodóvar a bien caché ces dernières années.
On sait que dans les années 1950, aux heures les plus noires de la dictature franquiste, l'influence du néoréalisme italien, mais aussi de la comédie transalpine, s'exerça sur le cinéma ibère. Et on se souviendra que les deux premiers films de Marco Ferreri, chefs-d'oeuvre non dénués d'une charge sociale déguisée en farce, sont tournés à Madrid, sur un scénario du génial anarchiste Rafael Azcona. 



Déjà, quelques années plus tôt, s'était formé l'étrange duo Berlanga-Bardem qui, en 1953, signait Esa pareja feliz (Ce couple heureux), dénonciation burlesque du sort réservé aux jeunes mariés dans une société bloquée. Berlanga poursuivra sur cette voie jusqu'au bout, signant dix ans plus tard le classique El Verdugo (Le Bourreau), tandis que Bardem optera davantage pour le drame psychologique et bourgeois dans la lignée d'un Antonioni (Calle Mayor, Mort d'un cycliste…)
 



On sait peu, en revanche, que le cinéma fut, dès le début de la Guerre d'Espagne – l'un des premiers grands conflits filmés , un instrument de propagande extraordinaire. Au lendemain du soulèvement militaire, terres et usines sont collectivisées par l'insurrection anarchiste et républicaine la CNT, syndicat libertaire compte alors 1,5 millions d'ouvriers et paysans adhérents. L'industrie du cinéma, art on ne peut plus populaire, devient propriété du peuple révolutionnaire et voit le jour un certain nombre de fictions, parfois édifiantes il faut le reconnaître, proches du réalisme poétique français. 
Ces dernières années, la nouvelle génération de cinéastes espagnole a développé un cinéma de genre, à l'américaine, avec pour chef de file Alejandro Amenabar. Mais la crise de 2008 ayant durement frappé la péninsule a réduit le volume de production et la galère a naturellement été le pain quotidien de bien des cinéastes et comédiens. Le cinéma espagnol a retrouvé une certaine tradition et la scandaleuse situation sociale s'est progressivement immiscée dans les scénarios. Certains films ont pu se faire au sein de l'industrie, avec l'aide des télévisions et des régions toujours plus fragiles – et corrompues. D'autres ont dû sacrifier à la mode du crowdfunding ou de la débrouille pour exister.




Cerca de tu casa (littéralement Près de chez toi) n'a pas encore été distribué en Espagne. Ça ne saurait tarder, on l'espère. Il compte notamment sur la présence et la musique de la merveilleuse catalane Silvia Perez Cruz.



Aux derniers goyas, les récompenses nationales équivalentes de nos césars, fut couronnée l'interprétation me dit-on remarquable de la jeune Andalouse Natalia de Molina pour Techo y comida (littéralement Toit et nourriture, sans date de sortie française pour le moment), mélo de la crise et portrait d'une mère-courage au chômage qui a bouleversé le public. Le prix du meilleur film est revenu à une production plus conventionnelle et gentille (Truman, de Cesc Gay), et que l'on pourra voir, et on ira, en avril chez nous.
 



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