Je repensais ce matin à mon ami Pierre qui me reprochait hier soir d'avoir parlé de sa vie sexuelle sur ce blogue. J'avais tenté de le rassurer en lui certifiant que personne ne lisait mes billets et que les égarés et les fous qui s'adonnent à cette activité s'imagineront sans doute que Pierre est un faux prénom. Il devait accepter de vivre avec une époque dans laquelle les réseaux sociaux avaient abattu les murs de l'intime. Et puis, j'ai pensé à C., dont j'avais également lâchement exposé la misère affective. Je me demandais si elle s'était enfin décidée à passer sérieusement à l'attaque question rencontres en rentrant chez elle après notre dîner. Toutes ces questions existentielles polluaient mon esprit mal éveillé, maudissant l'esclavage du travail et de ses horaires, lorsque France culture envoya la chronique hebdomadaire de la femme psychanalyste de Marin Karmitz. J'écoutais ça d'une oreille distraite, en préparant mon café. Elle évoquait une plainte déposée par les Associations de famille catholiques (AFC) contre un site de rencontres qui fait l'apologie du cul sur le cul des bus. L'attrape-nigauds en question est "pensé par des femmes" et propose à tous les libertins de la terre de tromper son (sa) conjoint(e).
Ces bons apôtres de l'AFC ne s'insurgent nullement contre les fausses infos - le site ayant été pensé par un homme, par exemple -, mais défendent avant tout, nous dit-on, le mariage, le couple, la famille, les valeurs chrétiennes, plaçant la fidélité au centre de leur combat et de la démocratie.
Au bureau, à l'heure du thé, j'ai fait ma petite recherche, suis tombé dans un abîme sans faim et de perplexité, et découvert notamment que tout cela datait de plusieurs jours.
A l'origine de la fronde, une poignée d'élus de droite dont Grégoire de la Roncière, maire de Sèvres (Hauts-de-Seine), Olivier Lebrun, maire de Viroflay (Yvelines), rejoints par l'édile de Rambouillet (Yvelines aussi), Marc Robert, trois personnages irréprochables dont le courage a été salué par l'inénarrable Christine Boutin. Le premier s'est adressé aux responsables des transports en commun de la région en ces termes : « En tant qu'officier d'état-civil, je m'interroge d'abord sur le caractère licite du message délivré via votre compagnie. En effet, cette publicité apparaît clairement comme une incitation à violer une obligation que l'on contracte au moment du mariage, la fidélité. En tant qu'époux et père de famille, je suis très choqué du message colporté par les véhicules de transport public placés sous votre responsabilité. » La campagne a été stoppée net. Les arguments avancés par un dirigeant de Phébus, compagnie gérant les transports à Versailles, sont imparables : « Habituellement, j'ai 900 plaintes sur l'année. En une semaine, j'ai reçu près de 500 réclamations d'usagers et de riverains qui jugeaient la campagne non conforme à la morale et aux bonnes mœurs. Je n'ai jamais eu autant de mécontents ! » Il oublie au passage d'évoquer le montant du préjudice que la régie versera à l'annonceur pour rupture de contrat, ça ferait désordre. Mieux vaut fermer les yeux, déjà bien malmenés, des contribuables du coin.
Quelques jours plus tard, la-France-qui-a-peur-et-réclame-de-l'ordre s'exprimait donc à travers les AFC contre « la promotion publique de la duplicité, du mensonge et de la violation de la loi », les époux se devant mutuellement, selon elles, « respect, fidélité, secours, assistance ».
« Derrière l'infidélité, il y a des enfants, des familles brisées, des drames familiaux... », rajoute l'avocat des AFC. Une pétition est lancée et recueille rapidement plus de 20 000 signatures. « On n'oblige personne, c'est un service qu'on rend », se défend-on chez Gleeden qui affirme dénombrer pas moins de 11% de clients dans la ville traditionnaliste de Versailles ! On ne sait si ces infidèles en puissance se sont inscrits avant ou après les plaintes et si parmi eux figurent quelques élus.
Dans ces querelles d'un autre âge, chaque intervention pourrait à elle seule faire l'objet sinon d'une plainte du moins d'un sketch. En finissant mes tartines, je me demandais aussi comment allait s'en sortir G., avec ses quatre enfants, après le départ-retour déstabilisant de leur mère en pleine passion amoureuse. La morale a peu à voir là-dedans. Après l'ego flatté ou mis à mal, c'est davantage l'aspect purement pratique qui importe et qui se transforme en champ de bataille : garde, divorce, pension, et autres distractions sordides. Après tout, chacun essaie de se débrouiller comme il le peut avec sa sexualité, ses affects, sa duplicité et ses névroses. Non seulement la vie est horrible, mais en plus, elle est courte, comme disait l'autre.
Dans nos sociétés de l'accès et de judiciarisation - je ne suis pas qualifié pour savoir s'il y a corrélation entre ces deux phénomènes mais on peut se poser la question -, je m'étonne du manque de médiatisation de combats bien plus poilants - si j'ose dire. Je pense notamment à cette autre campagne de pub d'un autre site de rencontres et de son utilisation approximative de la langue...
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