mardi 10 février 2015

Retour à Madrid



Pour la première fois, je crois, je n'ai pas apprécié d'être à Madrid. Je me suis à peine baladé. J'aurais pourtant aimé retourner dans le quartier de mon enfance, le barrio populaire de ma grand-mère que j'avais tenté rapidement de repérer il y a quelques années. Tout semblait alors avoir été détruit. La calle Adrian Pulido existe encore mais elle n'est plus constituée que de laids immeubles contemporains, rien à voir avec le quartier ouvrier que j'ai connu enfant. Son nom, Estrecho, nous amusait à cette époque. Nous le prenions au pied de la lettre, cet adjectif signifiant étroit. Nous ne savions pas qu'il faisait référence au Détroit de Gibraltar, à l'instar du district auquel il appartient, nommé Tetuan, en hommage aux restes de l'empire espagnol et aux guerres nord-africaines de 1860. 
C'était, jusque dans les années 1980 il me semble, un quartier de petits immeubles de rapport, de cours infestées de cucarachas où l'on aimait pourtant sortir sa chaise pour discuter avec ses voisins. Ma grand-mère vivait dans le deux-pièces où elle avait élevé, quasiment seule, 8 enfants, nés avant la Guerre civile. Son mari, un employé de bodega, avait laissé sa vie dans la boutique, non par zèle professionnel, mais par un goût trop appuyé pour les produits qu'il était chargé de vendre. Mon père nous racontait volontiers avoir lui aussi travaillé dans une bodega, sans préciser s'il s'agissait de celle dans laquelle avait officié mon grand-père. Ma mère n'en croyait pas un mot. Son mari était, selon elle, un grand affabulateur. Mais il est fort probable qu'elle lui en voulait pour bien autre chose, pour le simple fait de s'être trouvé sur son chemin un jour de 1960 à Paris. Ce père aimait aussi montrer les cicatrices qu'il avait derrière les genoux dûes, racontait-il, à un accident, un camion l'avait renversé et lui avait broyé les jambes quand il avait 8 ans, en pleine guerre. Ces traces, je les vois encore parfaitement, qui ressemblaient davantage à des brûlures. 
Enfant, je me souviens du sereno, ce veilleur de nuit de la ville. Il y en avait un par quartier. Sa principale fonction je crois était d'allumer les lampadaires, surveiller les rues - il était armé pour cela - et annoncer les heures toute la nuit. Il possédait les clés de tous les immeubles. Aussi, quand on rentrait un peu éméché ou après l'heure autorisée, qu'on ne retrouvait plus ses clés, on le sifflait et il apparaissait. C'était un personnage assez effrayant pour les enfants. J'ai appris, il y a quelques années qu'un quartier chic de la capitale espagnole avait réhabilité la fonction de sereno afin d'assurer sa sécurité. Les temps changent.
L'autre personnage qui nous intriguait enfants était le marchand de glace. Je ne parle pas des sorbets que nous aimions déguster sous forme de polos (esquimaux) ou les crèmes glacées sous forme de corte - une tranche de glace fraise-vanille maintenue par deux gaufrettes. Non, les vrais blocs de glace, immenses, que l'on vendait à la découpe à toutes ces familles trop pauvres pour se payer les premiers réfrigérateurs. Le type poussait ça dans une cariole conduite à la seule force de ses bras, comme l'afilador (rémouleur) et sa meule sur roues, son sifflet à trois notes et ses cris stridents pour annoncer son passage dans la rue. 
Joue-t-on encore au mus, au tute ou aux dominos dans les cafés du quartier ? Enfant, je détestais ces jeux car ils étaient liés à mes allées et venues dans les bars à la recherche de mon père, qui lui les aimait tous. Aujourd'hui, je donnerais cher pour assister à une partie entre habitués, voire pour y participer. 
Le quartier concentre désormais le plus grand pourcentage de population immigrée de la ville. La plupart de ces personnes sont arrivées ces vingt dernières années et sont les nouveaux prolétaires comme on le sait, même si ce terme a également disparu au prix d'une javelisation de la langue. 
Je n'étais pas venu à Madrid depuis 3 ans lorsque mon amie P. m'avait demandé de l'accompagner à la cérémonie des goyas, l'équivalent espagnol de nos césars. Déjà, quelques jours avant mon départ, j'étais tombé malade. Une urticaire chronique. Le matin du gala, je m'étais réveillé la bouche tuméfiée, sorte d'hommage à Elephant man assez saisissant. Le soir, ça avait disparu, puis revenu, ailleurs, le lendemain, et ainsi de suite durant deux ans. Un cauchemar dont je croyais m'être sorti depuis un an environ, jusqu'à la veille donc de mon nouveau séjour à Madrid. Le virus et la température en étaient la cause cette fois. Elle a disparu en deux jours. 
Lauréate à 23 ans de la récompense suprême, mon amie était il y a trois ans, nommée pour un second rôle dans un film d'action. Et cette année, son rôle consistait à remettre une statuette
P. déroute de nombreux professionnels de la profession. Elle ne pose pas dans les magazines, ne fait pas de pub, refuse tout rôle ne respectant pas certaines de ses valeurs, préfère ne pas tourner plutôt que faire n'importe quoi, a travaillé avec certaines pointures après avoir débuté ado dans des séries, et surtout, ne la ramène jamais. Et après quelques projets en Argentine, elle fait des études aux Etats-Unis depuis plus d'un an. J'aime beaucoup cette fille. Et je n'ai pu refuser son invitation. Sauf que donc, la veille...
Vendredi, jour de mon arrivée, je me suis couché vers 19h, devant la TV, consterné par tout ce que j'y trouvais : des jeux et des infos essentiellement consacrées au grand froid qui s'abattait dans la région de Madrid. J'ai finalement jeté un oeil sur un docu sur Elias Querejeta, cet ancien footballeur devenu l'un des plus grands producteurs espagnols suite à une grave fracture de la jambe. J'ai dû éteindre vers 21h pour ne plus réapparaître avant 8h30 le lendemain.
Le jour de la cérémonie, arrivés vers 16h sur le lieu, un palais des congrès immense surmonté d'un hôtel de luxe froid et inhumain, j'ai immédiatement filé au bar pour suivre la rencontre choc entre les deux clubs phare de Madrid, Atlético et Real. P., durant ce temps, se faisait maquiller et coiffer. Si je me suis régalé de la déculottée du Real (4-0), j'ai moins apprécié les courants d'air de ce hall malfoutu.
Je n'ai jamais beaucoup aimé ce genre d'autocongratulation publique et interminable. Et malade, c'est un vrai calvaire. Nous étions assignés backstage avec quelques autres invités de marque. En sous-sol et... en plein courant d'air, là encore. J'ai maudit ma faiblesse, mon incapacité à dire non à un séjour improvisé dans ma ville chérie. Fort heureusement, P. avait un problème avec sa robe et a du faire un saut dans la loge des habilleuses - chauffée ! Je l'ai rejointe sans me faire prier et nous y avons passé presque toute la soirée, terminée vers 1h30, horaire peu étrange pour un Espagnol. La suite sous forme de fête select allait finir par m'achever. J'avais prévenu mon amie que je n'y resterais pas longtemps. Ma compagne m'y avait pourtant prédit une rencontre. La party se déroulait de l'autre côté du bâtiment, dans de vastes salles également soumises aux courants d'air. J'y ai surtout bu de l'eau, c'est dire. L'ambiance était aussi pénible que sur un quai de métro aux heures de pointe, une insupportable musique techno en sus. Je dormais debout. J'attendais que mon amie et son agent en finissent avec leurs mondanités pour les saluer et regagner ma chambre au-dessus, lorsque deux filles m'ont abordé. Une technique de drague à peine digne d'un Franck Dubosc. Je crois que ma réponse était dans le même ton. Un vent direct, auraient dit mes filles. Comment pouvais-je, dans mon état, intéresser qui que ce soit ? Ma douce avait vu juste. C'est pourquoi elle ne me croit pas lorsque je lui dis que je me suis couché seul et que ma nuit agitée et courte n'est dûe qu'au boucan lancé dans les couloirs de cet hôtel de luxe par une bande d'Espagnols alcoolisés et fiers de vivre. 
Cette fille me rend heureux. La plupart du temps. Et, est-ce également dû à l'âge ?, je n'éprouve aucun désir pour une autre. Et renonce sans mal au fantasme de bien des hommes de se retrouver avec deux filles dans son lit. Mais allez expliquer tout cela à quelqu'un à ce point dominé par la jalousie et le besoin d'être aimée. Je me demande même, avec le recul, si ce n'est pas elle qui a embauché ces deux filles pour me tester. Je ne vois pas d'autre explication.

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