mercredi 8 octobre 2014

La poésie sauvera le monde


L'ange gardien, c'est Berthet – comme l'écrivain. Il exerce depuis des années au sein de l'Unité, société secrète intervenant pour changer le cours des événements dès que le besoin s'en fait sentir, dès que les ordres tombent. Berthet est un barbouze à l'ancienne, proche de la retraite, promenant de par le monde ses méthodes de liquidateur de l'ombre, avec toujours en poche un recueil de poésie, si possible en édition originale et sous papier cristal. Un type complexe en somme, ne serait-ce que par sa simple appartenance au monde d'avant, cher à l'auteur. Sa protégée, issue des cités, son amour secrètement nabokovien, c'est Kardiatou Diop, icone black fabriquée par un parti de gauche au pouvoir dans le but de masquer son arrogance et son mépris du peuple. A la veille d'élections municipales appelées à installer le Bloc patriotique (celui du roman précédent de Leroy), et sentant sa fin inéluctable, Berthet fait rédiger ses mémoires par un écrivain dépressif, sorte de double caricatural de l'auteur qui ne se montre guère tendre avec lui-même. Les révélations seront rendues publiques après le scrutin alors que le pays est au bord du chaos. 
Jérôme Leroy – à ne pas confondre avec le talentueux footballeur toujours en activité malgré ses 40 ans tout proches – s'amuse avec les codes du polar, de l'autobiographie et de la politique-fiction, trois parties distinctes et toutes réjouissantes, pour nous dresser un tableau plutôt réaliste et effrayant de ce qu'il adviendrait de notre beau pays en cas de prise de pouvoir de l'extrême-droite polissée et banalisée. Mélancolique, Leroy pratique une autopsie sans aucune complaisance de notre société et de sa classe politique dont on reconnaît sans peine, tout juste déguisés par le récit romanesque, certains odieux personnages actuels, de droite comme de gauche. L'Unité, organisation imaginaire calquée sur le SAC de triste mémoire ou la Loge P2 italienne, échappe ainsi à la théorie paranoïaque du complot en ces temps de confiscation progressive mais certaine de la démocratie. Et de repenser aux propos, pourtant passés presque inaperçus, d'un Michel Rocard appelant de ses vœux il y a peu l'avènement d'un pouvoir autoritaire en Grèce afin d'appliquer la politique de rigueur imposée par la Troïka et que ce con de peuple analphabète n'entendait pas accepter…
Le salut, n'en doutons pas, passera par la poésie et l'amour, c'est ce que je me tue à dire à mes filles.

Jérôme Leroy, L'ange gardien, série noire, éd. Gallimard

photo : Jean-François Baumard ©


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