On n'avait pas 20 ans. Je ne connaissais rien au cinéma. Pascal en avait l'affiche dans sa chambre. Je n'avais jamais entendu parler de Jean Eustache, encore moins de ce film.
Un an avant, il y avait eu Sauve qui peut (la vie). Pascal avait insisté pour qu'on aille le voir. Le film se jouait dans le cinéma de notre banlieue. D'une cabine au coin de la rue, à cent mètres de chez moi, j'avais trouvé le courage d'appeler N. Je lui avais proposé de se joindre à nous. Pas plus que moi, elle ne connaissait Godard et en avait profité pour me conseiller de ne pas perdre mon temps avec elle. Piteux, je n'avais rien trouvé à lui répondre, avais raccroché et rejoint Pascal le lendemain. C'était un dimanche, je crois. La salle était aussi vide que ma culture cinématographique. Il y avait Duras aussi. Dutronc en lisait des passages. Et à la fin du film, lors de l'accident du chanteur playboy, Nathalie Baye demandait à sa fille de ne pas regarder, que tout cela ne les regardait pas. Je retenais ce jeu de mot. Ma première formule godardienne.
Un an avant, il y avait eu Sauve qui peut (la vie). Pascal avait insisté pour qu'on aille le voir. Le film se jouait dans le cinéma de notre banlieue. D'une cabine au coin de la rue, à cent mètres de chez moi, j'avais trouvé le courage d'appeler N. Je lui avais proposé de se joindre à nous. Pas plus que moi, elle ne connaissait Godard et en avait profité pour me conseiller de ne pas perdre mon temps avec elle. Piteux, je n'avais rien trouvé à lui répondre, avais raccroché et rejoint Pascal le lendemain. C'était un dimanche, je crois. La salle était aussi vide que ma culture cinématographique. Il y avait Duras aussi. Dutronc en lisait des passages. Et à la fin du film, lors de l'accident du chanteur playboy, Nathalie Baye demandait à sa fille de ne pas regarder, que tout cela ne les regardait pas. Je retenais ce jeu de mot. Ma première formule godardienne.
Ainsi, on pouvait faire ce genre de film. Truffé de références qui m'échappaient. Jusqu'ici le cinéma était pour moi une distraction que mes parents pauvres ne m'offraient pour ainsi dire jamais. Lors des premiers flirts, le cinéma fut accessible grâce aux cours d'anglais que je donnais à un gamin, mais les films n'étaient qu'un prétexte pour être collé à une fille et passer les mains sous son pull. Des comédies à peine vues et aussitôt oubliées. Les livres, il n'y en avait pas à la maison. Avec Godard, je découvrais à la fois une forme inédite de cinéma, dans laquelle la littérature était un personnage important, une clé. Du bas de mon ignorance, j'étais terrorisé par ce que je pensais être la grande culture française. C'était très loin de moi, de ma vie de misère, mais en bon élève de l'immigration, je tenais absolument à me fondre dans la France. Je me mis à voler des livres de Duras et à acheter Les Cahiers du cinéma que je dévorais religieusement. Tous les films dont il était question, je me devrais de les avoir vus. Plus j'allais voir et lire, plus je sonderais la profondeur de ma vacuité crasse. C'était sans fin.
L'année suivante, j'ai vu N. pleurer sur un trottoir le long du lycée. Une fille de la classe la consolait. J'étais assez con, mais je me doutais qu'il s'agissait d'une peine d'amour et espérais secrètement que ça pouvait faire mes affaires. Peu de temps après, un soir, en rentrant du lycée, je constatais que N. marchait quelques pas derrière moi. Ce n'était pas son chemin. Je n'en revenais pas. J'accélérais tout en jetant de furtifs coups d'œil derrière moi. Arrivé à la maison, je me postais à bonne distance derrière les rideaux pour surveiller la rue. Elle était bien là. Elle m'avait suivi jusqu'ici. Le soir même, le téléphone sonnait. Nous ne l'avions que depuis quelques jours. C'était pour moi. C'était elle. Elle me disait que c'était trop con, me demandait si j'avais quelqu'un, si on pouvait se voir. Nous sommes allés au cinéma le samedi suivant. C'était Georgia, le film d'Arthur Penn, sur un scénario de Steve Tesich. Je l'avais vu quelques jours avant avec Pascal. Je savais que c'était une bonne carte à jouer.
Il y a eu le bac, la première fois quelques jours avant. Et la fac dans le quartier latin. Rue de la Harpe, de la Huchette, des Ecoles, Champollion, je me mis à fréquenter davantage les salles obscures (que j'ai vu se fermer les unes après les autres) que les salles de cours, seul ou avec N. Mais c'est dans notre ville que La maman et la putain fut projetée dans le cadre d'une rétrospective de films français ayant marqué le septième art. J'y ai emmené N. Je crois qu'elle l'a aimé. Peut-être pas autant que moi. J'étais hypnotisé. Les jours suivants, je citais Eustache ("Les films doivent respirer leur durée"), parlais comme Léaud, rêvais d'écrire dans des cafés, puis trompais N. avec son consentement. Avec une fille qui n'avait rien d'une putain. Du haut de ma jeunesse arrogante, j'avais l'illusion de comprendre quelque chose d'essentiel de la vie, que la vie, c'était ça, les histoires d'amour, le sexe, les trahisons, les cafés, la littérature, les beaux discours, le cinéma. Tout ce qui manquait chez moi. Le film est repassé peu après dans une salle du 9e aujourd'hui également disparue, j'y ai emméné ma sœur. Il est repassé encore ailleurs et j'y étais de nouveau.
Il y a plus de vingt ans que je refuse de le revoir. Aujourd'hui, en découvrant ces images, je me sens gêné et remonte à la surface ma connerie.
Un régal. Vous me consolez de l'adversité.
RépondreSupprimerN'exagérons rien, Frédéric…
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