Xavier Dolan : «J'ai le droit de m'exprimer»
En sortant du métro, ce soir, je grimaçais à la perspective d'être de nouveau mouillé, ralais discrètement en mon for très intérieur contre la chute soudaine des températures, le peu de temps passé dans les transports qui ne m'avait pas permis de lire les dernières pages de L'ange gardien – de toute manière, être entouré de crétins hyperconnectés déblatérant fièrement leurs vies aussi affligeantes que la mienne à tout bout de champ avait mis à mal ma concentration et fait regretter l'époque bénie où je circulais en scooter – même si, il faut bien le dire, il est encore plus difficile de lire en tenant un guidon et un casque sur la tête. Toujours est-il, ou presque, qu'en m'approchant du cinéma de chez moi, j'aperçus derrière le rideau de pluie, et sans mes lunettes de vue, un attroupement que je ne sus identifier, la mise en place d'un semblant de réception en bonne et due forme, une petite foule commençant à se former. Je n'attardais pas mon regard, trop pressé d'aller m'occuper du chien de la fille de ma compagne.
C'est lorsqu'elles sont rentrées navrées du cinéma, ma compagne et sa fille, après la projection d'un film de Benoît Jacquot – mais, est-ce vraiment étonnant ? – que j'ai appris qu'avait lieu ce soir, à deux minutes de chez moi, l'avant-première de Mommy. Je sais bien que je donnais moi aussi une image navrante, affalé sur le canapé à me marrer tout seul devant la documentation que je venais de trouver sur internet. Mais était-ce une raison de m'infliger le souvenir de ce film et de son génial réalisateur ? Sorte de cerise sur le gateau – au demeurant, j'ai toujours trouvé de mauvais goût, voire dégueulasse cette mesquine garniture sur les pâtisseries – d'une journée à oublier (si ce n'est une mini-sieste crapuleuse avec ma compagne juste avant ma séance de kiné et donc cette trouvaille sur internet), cette information me renvoyait à ma misérable condition de lecteur pollué par des conversations plates bien que littéralement hurlées dans les wagons faussement chaleureux de la Régie autonome des transports parisiens.
Quelques semaines plus tôt, grâce à la bienveillance d'une attachée de presse qui m'envoie encore plus ou moins régulièrement des mails m'annonçant les projections qu'elle organise pour mes anciens confrères, j'avais vu l'énième film de ce génie québécois de 25 ans. Car Xavier Dolan est un génie, personne ne le conteste et on lui donne suffisamment les moyens de nous le rappeler d'année en année, de festival de Cannes en festival de Cannes – car Cannes est ainsi fait : quand on tient un génie, on ne le lâche plus et il se voit offrir son rond de serviette à vie. Ne parlons pas des unes et des couvertures qui lui sont consacrées ces derniers jours.
J'avais bien aimé son premier film, à Xavier. Genre jeune homme en colère. Mal foutu, hystérique, mais semble-t-il sincère, il m'avait touché par son aspect autofictif à peine scénarisé. Son deuxième film m'avait dérouté. L'esthétique était parfois outrée - Ah, cette soupe de ralentis, Xavier ! –, et même l'hystérie avait comme disparu. C'est au troisième que j'ai craqué. Au bout d'une vingtaine de minutes, j'ai craint le pire et pensé que la vie était trop courte et le film trop long pour prendre le risque de me l'infliger. J'ai laissé passer le quatrième, me sentant soudain très vieux, et me suis étrangement rendu, non sans une certaine appréhension et une part d'inconscience, à la vision du cinquième. Eprouvé par ces plus de deux heures d'hystérie retrouvée, de pleurs et de cris incessants, de meubles renversés et de personnages tous plus insupportables les uns que les autres, et malgré de jolis plans, je suis rentré sonné à la maison. C'est le lendemain, avec une toute autre appréhension, que j'ai relâché un court instant ma vigilance, au moment même où la voiture me précédant pilait pour laisser passer de jeunes écoliers traversant la rue précipitamment. Cette chute de scooter allait me priver pour quelques semaines de la mobilité de mon coude droit, me renvoyant à la triste condition d'usager de la ratp.
Repenser ce soir à ce film, à son lendemain, m'a profondément déprimé. Après le dîner, j'ai voulu montrer à ma compagne ce qui m'amusait tant quand elle est rentrée du cinéma. En faisant des recherches d'images en mouvement de Romain Gary, j'étais tombé sur un extrait d'une émission de Midi Première archivée par l'Ina dans laquelle l'inénarrable Danièle Gilbert s'entretenait avec l'auteur de La promesse de l'aube. A peine la vidéo lancée, qui nécessitait, en raison de la faible qualité du son, un minimum d'attention et de concentration (on y revient !), "Mommy !" criait la fille de ma compagne. Le chien présentait une excroissance inquiétante à l'une de ses pattes. Il ne manquait plus que ça. C'était rouge et avait la forme d'une cerise…
Repenser ce soir à ce film, à son lendemain, m'a profondément déprimé. Après le dîner, j'ai voulu montrer à ma compagne ce qui m'amusait tant quand elle est rentrée du cinéma. En faisant des recherches d'images en mouvement de Romain Gary, j'étais tombé sur un extrait d'une émission de Midi Première archivée par l'Ina dans laquelle l'inénarrable Danièle Gilbert s'entretenait avec l'auteur de La promesse de l'aube. A peine la vidéo lancée, qui nécessitait, en raison de la faible qualité du son, un minimum d'attention et de concentration (on y revient !), "Mommy !" criait la fille de ma compagne. Le chien présentait une excroissance inquiétante à l'une de ses pattes. Il ne manquait plus que ça. C'était rouge et avait la forme d'une cerise…
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